Acid Cop

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Acid Cop est enfin disponible chez Zone 52. Je remercie toute l'équipe et les divers intervenants de cette belle aventure. Le rêve gore se prolonge avec Karnage et je me souviens du formidable élan initié par TRASH pour relancer une collection digne de ce nom. Depuis, mes contacts avec cette grande famille sont restés indéfectibles. Je souhaite que Karnage poursuive « le bel effet gore » le plus longtemps possible car la littérature populaire sale et méchante doit survivre. Mes remerciements chaleureux vont aussi à Will Argunas pour cette couverture remarquable qui retranscrit parfaitement l'atmosphère de mon roman.

De nombreuses influences ont guidé mon inspiration lors de l'écriture. Je cite mes films majeurs en préface et j'en oublie beaucoup d'autres. Le nœud central est le vigilante et revenge movies. L'auto-justice, le rapport tortueux avec la hiérarchie et la paranoïa. C'est souvent le cas dans ce domaine où l'homme finit seul dans un délire insidieux. Et les éléments déclencheurs sont multiples dans les œuvres cinématographiques : la vengeance, le viol, l'impunité politique, la corruption, le stress post-traumatique, la non-reconnaissance, l'oubli, l'alcool, la déchéance, le chômage, la société individualiste...

Le vigilante est souvent l'affaire d'un territoire : quartier, bayou, marais, maison, famille et le mien est celui de Hell's Kitchen à New York. Quartier de naissance de Stallone. Il me fallait un flic : Bereglia, origines italiennes. Pour le prénom, j'ai pensé à Serpico. Donc, Frank. Un mobile pour l'enquête : la disparition d'une femme de haute bourgeoisie dans une ruelle sombre, le mari est retrouvé mort. La voiture du couple : forcément la Mustang de Bullitt. Mes idées deviennent claires et le décor se pose. Les dialogues sont clairement orientés vers de l'humour gras, comme les doublages de nos bonnes vieilles VHS.

Il me faut une bande de sales mecs. Et je me souviens des Morlocks de H .G Wells dont j'ai revu le film de 1960 dernièrement avec Rod Taylor en guest star. Égouts et hommes-taupes. Tout s'imbrique à merveille. Le destin de ce flic doit être horrible et je pense à Maniac Cop pour le visage défiguré... sans oublier le physique de Vincent Price dans le rôle du docteur Phibes. Vous voyez que c'est important de visionner des centaines de films pour articuler une intrigue ! Il ne faut jamais se contenter d'une seule idée. Un roman doit être tissé avec des fils d'origine diverses. Après le monde souterrain new-yorkais, je dois trouver un autre lieu pour continuer mon histoire. Toxic Avenger surgit dans mon cerveau. Il me faut une décharge ! Et qui s'en occupe ? Alors là, je me tourne vers la seconde guerre mondiale. Aucune logique, me direz-vous ! Mais un roman gore ne se soucie jamais de ce genre de questionnement !

Les fondations en place, on pose des scènes cradingues et pornos... c'est le minimum syndical ! Pour resserrer l'intrigue, on supprime un chapitre entier de 10 000 signes. Ça fait toujours mal de se séparer d'un morceau de roman où on a tout donné. Mais le roman en sort plus vif et il ne faut jamais hésiter à couper (n'est-ce pas Shaun Hutson ?) pour le bien d'une intrigue. Le final part en vrille et nous abordons le thème du spree killer, un meurtrier qui tue en masse en une seule fois. Les lieux évoqués dans Acid Cop existent ou ont existé : Central Park, le Peep Land, les Narrows, Times Square... dans cette ambiance posée en 1986. Voilà ! J'espère que ce roman vous plaira autant que j'ai eu à l'écrire au fil des semaines. Et surtout qu'il ravivera des bons souvenirs aux cinéphiles que nous sommes : je l'ai rédigé en ce sens.

Le site de Karnage.

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Entretien avec Xavier Dollo / Thomas Geha

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Actualité oblige, parle-nous de « L'Histoire de la SF en bande dessinée ». Quelle est sa genèse, et comment le public réagit-il ?

 

Sa genèse est simple. Je suis un passionné de SF depuis que j’ai douze ans. Je dirais que toute mon existence a tendu vers l’écriture de cette BD. J’ai l’impression que j’avais envie de la faire depuis ce temps-là, comme tous ceux qui m’avaient fait rêver. Je pense à Sadoul, Stan Barets, Pierre Versins. Ensuite, eh bien j’ai pu faire un test aux Humanos, qui recherchaient un scénariste pour une histoire de la SF. Il se trouve que je l’ai réussi et que ça m’a permis deux choses : accomplir un rêve et payer mon mariage. Pas mal, non ? Quant à ta deuxième question, à savoir comment réagit le public, j’ai désormais un peu de recul puisque l’album est paru en novembre dernier déjà ! Et je dois avouer que j’ai d’excellents retours du public. Beaucoup de messages privés sur mes réseaux sociaux, de personnes qui me disent qu’elles se sont remises à lire de la SF, ou qu’elles ont fait des piles, ou qu’elles ont acheté cinq exemplaires pour les offrir. Parfois je lis que l’ouvrage n’est pas si accessible que cela au grand public. Pourtant, les retours que j’ai semblent m’indiquer complètement le contraire. Du coup je suis ravi, l’album semble plaire au grand public tout comme aux spécialistes. Il y a bien quelques râleurs, mais même ceux-là sont rares. Je suis donc très heureux, je ne peux pas prétendre le contraire. Qui plus est, je me suis replongé dans l’écriture du scénario car la version américaine publiée en fin d’année doit comporter de nouvelles pages.

 

La scénarisation d'une BD est-elle une première pour toi ?

 

Oui. Enfin, j’avais déjà scénarisé quelques strips avec Eric Scala, « Les Zippoz », mais c’était plus un amusement avec un pote qu’un projet destiné à publication. Avec Éric, on avait songé adapter une de mes nouvelles, Sumus Vicinae, mais il a fait en tout et pour tout un seul dessin ! Un dessin magnifique d’ailleurs. Éric n’est tout simplement pas un auteur de BD, en revanche c’est un type extra et un artiste exceptionnel.

 

 

 

 

Et cette expérience a-t-elle modifié ta façon d'écrire, ou ton rapport à l'écriture ?

 

Oui, je pense que cette expérience a modifié mon approche de l’écriture. J’ai été obligé de devenir beaucoup plus structurant que je ne le suis dans les faits. Je suis plus ce qu’on appelle un « jardinier ». Faire un essai un peu comme une fiction, c’était aussi le challenge. C’était sympa. Je n’ai pas totalement renoncé à mon côté jardinier dans cette BD car parfois j’ai renoncé à des procédés scénaristiques que j’avais établi pour les remplacer par d’autres, venus d’un coup, et plus funs. Comme le voyage en cabine du Dr. Who quand je traite de la SF anglaise. En quoi cette expérience influera sur mes romans ? Je n’en sais rien, je n’en ai pas écrit depuis. J’ai même l’impression, aujourd’hui – mais peut-être est-ce dû à un peu de lassitude – que celui que j’ai commencé pour Les Moutons Électriques sera parmi mes derniers. Si je peux (parce qu’il faut aussi remplir le frigo), je me focaliserai plus, désormais, sur des projets plus atypiques, faits de nouvelles et de BD, voire de poésie. Et même mes prochains romans seront plus expérimentaux. J’ai juste envie d’écrire ce qu’il me plaît d’écrire, sans que l’on m’impose quoi que ce soit. Si un éditeur veut publier mes trucs, tant mieux, si aucun ne veut, eh bien, tant pis.

 

Maintenant, on aimerait en savoir plus sur Thomas Geha. Ou Xavier Dollo. Comment a-t-il débuté sa carrière d'auteur ?

 

Tout dépend si par auteur on entend auteur publié. Sinon, j’ai envie de te répondre : en CM2 quand j’ai écrit mon premier poème… de SF. Bien sûr, ce n’est que l’interrupteur d’une envie qui va se développer par la suite, petit à petit. Par des poèmes, très nombreux, écrits sur des coins de table et des feuilles volantes, et des nouvelles maladroites proposées simplement à l’œil parental – enfin ma mère – dans un premier temps, puis, par la suite, à des fanzines. Comment j’ai découvert les fanzines reste assez légendaire à mon sens, car cela tient bien entendu à mes premières lectures de SF, toutes en poche, et globalement chez J’ai Lu. Cet éditeur était un des moins cher du marché, mes parents n’avaient pas une bourse bien garnie, donc le choix des livres, c’était avant tout les moins chers. J’ai Lu, c’était chouette. Je découpais les encadrés de numéros à la fin des volumes (tout comme pour obtenir les albums des images Poulain dans un autre style on découpait des points sur le papier des tablettes) et miracle, j’obtenais de magnifiques posters signés Michael Whelan ou Caza. À la fin des volumes, on trouvait également des publicités pour un truc étrange qui s’appelait le minitel. Il y avait un non moins étrange « 36 15 » à taper pour accéder à des pages fascinantes, sur lesquelles on pouvait aussi rencontrer des gens. Quand ce fameux engin est arrivé chez mes parents, je m’en suis emparé en douce, pour deux choses (et non, je ne suis jamais allé voir Ulla) : un 36 15 consacré à la poésie, dont j’ai oublié le nom, où je postais mes poèmes, et un autre, 36 15 CYB, consacré à la science-fiction. Il y avait une mine d’infos là-dessus, des pages théma, des articles, des jeux, et même un forum. Ça, je l’ai découvert assez tardivement. J’avais tout le temps un truc qui apparaissait en haut de mon écran, du genre « Artahe veut discuter », mais je ne voyais pas du tout ce que ça pouvait être. C’était en fait l’ancêtre des messages privés sur les réseaux sociaux et c’était un type étrange qui se cachait derrière le pseudo « Artahe ». Son vrai nom ? Philippe Laguerre. Son autre pseudo ? Philippe Ward. Le seul, l’unique, le vrai et en pixels des années 90. Bon, j’étais encore un poil ado, c’était en 1993 ou 1994, et j’allais sur le minitel dans le dos de mes parents qui ont, par ma faute, payé des notes de téléphone assez hallucinantes. Je m’en veux un peu sur le moment, je m’en veux bien plus aujourd’hui car mes parents n’étaient pas bien riches. Mais c’est comme ça que j’ai rencontré le Maître (qui était également présent sur d’autres serveurs minitel comme RTEL2 ou AKELA). C’est comme ça aussi qu’est né mon pseudo « Kanux ». Et c’est grâce aux discussions que j’ai pu avoir avec Philippe que j’ai pu découvrir mes premiers fanzines, les premiers qui m’ont publié comme Portique (en poésie) ou Dragon & Microchips (en nouvelles). Très vite, je suis devenu un assidu de ce dernier fanzine dirigé par Philippe Marlin (un autre Philippe important dans mon parcours), j’y ai publié des nouvelles, des poésies, quelques articles et faux articles, je crois. C’est dans ce fanzine que j’en ai découvert d’autres, grâce aux rubriques critiques, comme La Geste, OCTA, XUENSÉ, La Revue de L’imaginaire, Yellow Submarine (trop cher pour moi à l’époque), Mondes Parallèles et bien d’autres. Les fanzines restent mon école, ma principale zone d’apprentissage et de rencontres. Ils m’ont ouvert des mondes, et m’ont ouvert au monde. Sans eux, sans l’émulation que j’ai connue, je n’aurais certainement pas poussé dans cette voie. Voilà, ensuite c’est mon parcours à Rennes, mais c’est encore une autre vie.

 

 

 

 

Et quel conseil donnerais-tu à un auteur débutant ?

 

Je n’aime pas donner de conseils et, même si j’aime réfléchir à ces questions, je n’ai pas l’impression de posséder l’ombre d’un seul conseil valable. À la limite, j’ai envie de dire, simplement, comme disait La Fontaine : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». Hormis la patience, de fait, j’ai beaucoup lu, et la lecture est ma principale source d’inspiration, quel que soit le genre. La pensée se nourrit des autres, de leurs propres approches du monde, de la façon dont ils structurent les choses, de la vie qu’ils mènent. C’est comme ça que j’aime alimenter ma propre pensée, j’aime contempler, m’imprégner, analyser ce qui m’a plu, m’a fait rêver ou réfléchir. Tout cela me permet d’apporter à ce que j’écris ma propre singularité. Peut-être que d’autres à leur tour, en lisant mes fictions, y trouveront matière à alimenter aussi leur pensée et écriront à leur tour. Qui sait ?

 

Une autre question que posent souvent les nombreux lecteurs de notre blog : tous les six, ils voudraient savoir comment tu procèdes. Écris-tu des synopsis détaillés, prépares-tu des plans, des listes de personnages, ou bien te laisses-tu aller au fil de la plume au gré de ton imagination ?

 

Non. Non. Non. Oui, mais pas entièrement. Les synopsis détaillés m’ennuient chez les autres, je ne vois pas pourquoi j’en ferais pour moi, ce serait du masochisme. Les plans, là encore c’est un peu pareil. Cela m’arrive de les schématiser, mais l’imagination est perverse et vient bien souvent les chambouler car de meilleures idées que les plans initiaux me viennent toujours pendant l’écriture. Les personnages, quant à eux, me viennent quasi instantanément car ils sont la base de mes récits. Je n’ai pas besoin de me les décrire, je sais déjà qui ils sont. Bon, après, parfois, il peut arriver que d’une page à l’autre un personnage blond devienne roux. Heureusement, il existe des relecteurs attentifs, genre, des éditeurs ! Toutefois, je précise que cela m’arrive de moins en moins, avec l’expérience. Ce n’est pas parce que je suis ce qu’on appelle un jardinier que mon jardin n’est pas bien rangé. Et d’ailleurs, pour qu’un jardin vive bien, il faut qu’il soit soigné et organisé. La structuration mentale du jardinier est différente de celle de « l’architecte ». Il faut juste découvrir comment on fonctionne, où sont les outils dont on a besoin pour entretenir le jardin. Et comme le jardinier fonctionne beaucoup à l’instinct, à l’intuition, il doit apprendre surtout à mieux s’écouter, et à mieux interagir avec les éléments de son jardin. Ce n’est pas facile, le processus d’acquisition de l’expérience est peut-être un poil plus lent que chez les architectes mais au final peu importe le flacon tant que l’on parvient à donner l’ivresse. Bref, tout cela pour dire, que les écrivains tels que moi apprennent à maîtriser leur environnement pour laisser la plume agir au gré de l’impulsion imaginative.

 

 

 

 

Maintenant que nous connaissons ton lourd passé, parlons un peu du futur. Quels sont tes projets d'écriture, tes projets de parution en cours, on veut tout savoir !

 

Pas grand-chose. J’aimerais écrire une nouvelle BD avec Djibril, une fiction cette fois. J’ai aussi quelques nouvelles à rendre depuis des plombes – la honte me submerge. J’ai une élégie de SF, finie, qui n’attend que son illustratrice. Toujours dans la poésie, va paraître en mars « Un univers piqueté de rouilles » dans la nouvelle mouture de la revue Fiction. C’est de la fiction/poésie spatiale. Je ne pense pas que ça plaira à tout le monde mais j’avoue adorer écrire ce genre de textes. Pour le reste, j’ai un roman en cours, qui n’avance pas bien vite car j’ai beaucoup de boulot avec la boite que je monte avec quelques associés, Argyll. Avec l’éditeur, nous avons évoqué une publication en 2022, ce qui me laisse le temps de l’écrire tranquillement. J’aimerais aussi écrire un fix-up de textes fantastiques qui se déroulent dans un village imaginaire des Côtes d’Armor. D’ailleurs, le premier d’entre eux, « Ana des chemins creux », a paru dans une anthologie des éditions Goater, Le Dragon Rouge. En fait, c’est surtout hors écriture que j’ai de gros projets, je dois bien l’admettre.

 

« A comme Alone », ton premier roman de SF est paru chez Rivière Blanche, un éditeur cher à notre cœur. Veux-tu raconter cette rencontre avec Philippe Ward ?

 

Paf. J’ai déjà tout raconté avant. Spoilers mes amours. Mais bon, pour A comme Alone, Philippe m’avait dit qu’il se lançait dans cette grande aventure avec Jean-Marc Lofficier et qu’il cherchait des romans type Fleuve Noir Anticipation. Il en voulait bien un de moi. Ni une ni deux, j’ai ressorti une nouvelle parue dans le fanzine rennais « Est-ce-F ? », l’ai remise sur l’établi, et l’ai transformée en roman. Bon, ça m’a pris un an et des brouettes. J’étais content, c’était mon premier roman publié. Depuis, il a fait du chemin, avec diverses rééditions. Et quelques ajouts de nouvelles et d’un roman, Alone contre Alone.

 

 

 

 

Tu viens de lancer les éditions Argyll. Nous aimerions, ainsi qu'une foule de fans en délire, en savoir un peu plus sur le concept novateur qui a présidé à cette création ?

 

Argyll est une société (SAS, mais future SCIC) multitâches, en économie solidaire et sociale. En gros, on en avait un peu ras la croute du plan-plan de la vie et moi, en particulier, de mon plan-plan de vie de libraire qui voyait sa passion s’effriter chaque jour un peu plus. J’ai donc choisi d’arpenter de nouvelles voies, plus conformes avec ce que je souhaitais être. Et je ne le regrette pas un instant. Argyll, la maison d’édition, se veut au plus près de ses auteurs, avec un bon accompagnement, humain (à défaut de les rendre riches), qui n’est pas de la coercition, ou de l’anonymisation du travail de l’auteur. De ce fait, nous avons interrogé des auteurs, leur demandant ce qu’ils souhaitaient et ne souhaitaient pas dans leur contrat. Avec tous ces échanges, nous avons pu élaborer un autre type de contrat, beaucoup plus collaboratif, dans lequel les auteurs contrôlent de A à Z ce qu’ils cèdent à l’éditeur. Nous avons développé une vision éthique et écologique au maximum, qui s’intéresse notamment à l’accessibilité. Par exemple, pour le numérique : un des membres de l’équipe, Frédéric Hugot, est un spécialiste de la création d’ebooks. Il développe des epubs 3 dignes de ce nom, qui plus est compatibles avec toutes les liseuses. Sur l’accessibilité, il propose des formats numériques que peuvent « lire » les malvoyants, voire les non-voyants grâce à un système audio incorporé, ou encore les « dys ». Nous sommes diffusés et distribués par Harmonia Mundi, qui nous a totalement suivis sur ces questions éthiques. Super de travailler avec eux, dans une direction qui n’est pas « que » commerciale. Pour le reste, nous développons deux autres pôles, le premier sera une librairie qui ouvrira à Rennes en 2021, si tout va bien. Là encore, ce sera un endroit alternatif, une sorte de tiers lieu où pourront se rencontrer de nombreux acteurs du livre, au travers de rencontres, de dédicaces, mais aussi d’une collaboration sociétaire qui permettra de faire participer à la vie de la librairie toutes celles et ceux qui le souhaitent, le tout dans une dimension sociale que nous souhaitons aider à réinventer, comme commence déjà à le faire à Rennes une autre super librairie collaborative, L’établi des mots. Le troisième pôle sera un incubateur. Je ne donne pas trop de détails là-dessus, mais si je parlais d’une sorte de tiers-lieu pour acteurs du livre à Rennes, c’est bien là l’idée : faire travailler tout le monde ensemble, qu’ils soient auteurs, libraires, éditeurs, lecteurs, collectivités, etc. Nous avons plein d’idées, et comme nous sommes bien accompagnés dans cette création d’entreprise par l’incubateur rennais Tag35, nous sommes pleins de confiance. Il faut bien, en cette période où l’on fait tout pour nous l’enlever.

 

C'est maintenant la tradition : la dixième et dernière partie de mes entrevues est en forme de carte blanche (en grande partie parce que j'ai la flemme de concocter des questions). Que voudrais-tu dire à nos lecteurs ?

 

J’aimerais leur dire d’arrêter d’être six, ce chiffre me stresse.

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L'autobus de minuit - Patrick Eris

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En quatrième vitesse : L’autobus de minuit, de Patrick Eris.

 

 

 

 

 

Il y a les romans linéaires, et les romans qui bifurquent. Il y a les auteurs qui respectent les codes, et ceux qui préfèrent les chemins de traverse. Il y a cet Autobus de minuit, qui fonce tous feux éteints la nuit en plein Paris, et le Diable seul sait où il va pouvoir nous conduire. Le Diable, qui a ici les traits de Patrick Eris, auteur de ce Thriller transgenre publié à l’origine en 2001 aux éditions Naturellement, puis réédité huit ans après par l’exigeante maison Malpertuis.

 

Patrick Eris, qui en trente ans de carrière, s’est constitué une étonnante bibliographie. De l’Espionnage au Cyberpunk en passant par le Fantastique et le Post-Apo, l’homme a flirté avec la plupart des « mauvais genres », sans toutefois jamais s’éloigner longtemps du Polar. Alors certes, L’autobus de minuit ne peut être considéré comme un pur Polar. Il n’en reste pas moins que noirceur, angoisse, mystère et suspense sont bel et bien au rendez-vous.

 

Après une soirée un peu arrosée, Caroline décide de rentrer seule chez sa mère. Pierrot proteste pour la forme, mais il sent bien que sa compagne ne changera pas d’avis. Alors il la laisse partir, malgré le mauvais pressentiment dont il peine à se débarrasser… Le jeune motard aurait dû insister, car dès le lendemain il apprend que Caro n’est jamais arrivée à bon port et demeure introuvable. Une disparition très inquiétante, a fortiori à l’heure où une espèce de vigilante surnommé « Le Nettoyeur » hante les rues de la capitale et décime les SDF…

 

Il existe d’ailleurs un autre danger, d’une nature encore plus trouble. Cet Autobus de Minuit, prédateur mécanique considéré par ceux qui n’ont jamais croisé son chemin comme une légende urbaine. Mais si, justement, il ne s’agissait pas d’une légende ? Et s’il s’agissait, au contraire, de la véritable valeur ajoutée du roman, de son « Cœur révélateur » battant sous ses « Habits noirs » ? Entre Poe et Féval, Patrick Eris ne choisit pas son camp, et prend garde à ne pas vendre la mèche trop tôt, distillant les informations au compte-gouttes. Il n’en a d’ailleurs que plus de mérite, car L’autobus de minuit est un roman assez court, qui file à toute allure.

 

Seule exception – notable – aux règles furieuses régissant cet univers nocturne en évolution rapide permanente : l’énigmatique G., personnage-clé qui semble toujours avoir une longueur d’avance sur les autres protagonistes. Lui évolue à un rythme différent, comme s’il se trouvait dans une dimension parallèle, sans pour autant qu’il soit présenté comme un être surnaturel. Une ambiguïté bienvenue, entretenue avec soin par l’auteur jusqu’à l’inévitable point de rupture. Lequel ne surviendra qu’après moult courses-poursuites haletantes, séquences d’action au découpage millimétré et autres règlements de comptes… flamboyants.

 

Autant de prouesses (pyro)techniques donnant au roman un cachet très visuel, voire cinématographique. Cependant, Patrick Eris ne se contente pas de livrer un spectacle son et lumière digne d’un 14 juillet sous amphétamines. L’auteur prend en effet un plaisir manifeste à pimenter son jeu de massacre de saillies cinglantes (les motivations du Nettoyeur sont notamment très éclairantes…) donnant à son propos un sous-texte sociétal bienvenu.

 

Telle une machine devenue folle, L’autobus de minuit file ainsi à toute allure vers une « Destination finale » que l’on devine funeste. Reste encore à savoir pour qui ? Mais ne comptez pas sur moi pour vous en dire davantage. Sachez simplement que toutes les réponses vous attendent au terminus. Une ultime mise en garde toutefois : Patrick Eris ne délivre qu’un aller simple. Pour le retour, il faudra vous débrouiller par vous-mêmes… Si retour il y a.

 

 

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 197, mars / avril 2019.

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Sanctions ! - Talion

Publié le par Zaroff - Commenter cet article et avis postés :

 

 

Saluons cette belle initiative de Zone 52 Éditions de relancer (enfin) une collection dédiée au gore en France après Trash. Pour les auteurs de notre catégorie, c'est un parcours du combattant pour publier nos écrits. Le puritanisme ambiant, la langue de bois, les réseaux sociaux, le politiquement (in)correct... autant de murailles à franchir comme « Blue » de Joël Houssin pour que le morbide littéraire survive.

Karnage, donc. Tout un programme à base de soufre, de porn, de vices, de foutre et d'hémoglobine. Et Talion tape fort avec son premier roman gore, même si le renégat est un vieux briscard dans divers domaines, du fanzinat aux fascicules, de préfaces DVDesques aux essais de toutes sortes. C'est aussi un conférencier habile dont le giallo est son thème de prédilection. Ses multiples influences se précisent dans « Sanctions ! » et tissent l'intrigue se déroulant dans une province française.

Un couple d'enseignants, véritables pervers sexuels aux fantasmes particuliers, se venge de certains étudiants récalcitrants à la médiocrité crasse. Aïcha, une jeune musulmane de banlieue, est la première à subir les outrages du professeur dans son sous-sol aménagé pour l'occasion. Rien n'est épargné aux lecteurs : nécrophilie, tortures, sévices, cannibalisme. L'épouse est l'axe central de ce couple perfide, celle qui attire le désir parmi les jeunes désœuvrés dont l'enseignement est un concept vague et inutile. Cette femme, une MILF en puissance, participe aux viols tout en stimulant leurs propres ébats à base de sodomie, scatophilie et autres déviances.

Talion a le talent de mélanger deux univers distincts pour articuler son récit. D'un côté, l'hommage assumé d'une horreur fondatrice en évoquant les œuvres de Bruno Mattéi, Deodato, d'Amato dont certaines scènes tirées de « Blue Holocaust », «Cannibal Holocaust » exacerbent les penchants sexuels du couple. L'aspect contemporain intervient ensuite par le Dark Web, le snuff et les fichiers illégaux que le couple conserve précieusement dans un ordinateur vérolé. D'ailleurs, leurs fantasmes sont filmés, mis en scène et diffusés sur le réseau caché du Net.

L'ambiance devient glauque et poisseuse au fil des chapitres et ça ne s'arrange pas avec le parcours d'un flic endeuillé (dont l'épouse est dépressive) en charge de l'enquête. Le tout engendre un roman percutant avec une vision sociale déprimante. Des jeunes désabusés, une éducation archaïque et dénuée de moyens, une sexualité naissante dépravée par le porno où la femme n'est qu'un objet, un vulgaire orifice à la bouche insatiable.

Roman particulier au traitement efficace et déroutant. Karnage réussit son pari avec ce premier gore dont la sanglante couverture de Will Argunas décrit parfaitement le sujet. Bravo Talion pour ce beau morceau de barbaque, il marquera les esprits durablement.

Notre interview de l'auteur.

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Sorcière de chair - Sarah Buschmann

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Sorcière de Chair... Voilà un roman qu'il est franchement bon et mérite d'être apprécié avec tout le "confort" de lecture qui convient. D'autant plus que cet ouvrage proposé par les éditions Noir d'Absinthe est d'une classe sobre mais de qualité. Et si la couverture peut éventuellement envoyer sur de mauvaises pistes (amateurs de « Young Adult », passez votre chemin !), n'en doutez point : Sorcière de Chair est définitivement à classer dans les mauvais genres qui nous intéressent ici.

 

Bon, pour commencer, j'ai adoré l'univers décrit : un mix habilement réussi de thriller et de fantastique, avec cette idée des sorcières charnelles (en effet, le type de magie employé est bien spécifique) rôdant parmi les humains, loin des clichés ésotérico-mystiques "djeunz" à la Charmed et autres âneries post-adolescentes. Ici, le thème est traité à bras-le-corps et sans fausse pudeur : oui, il y a de la chair, du sang et bien pire encore ! L'aspect fantastique est bien présent, distillé parcimonieusement dans les premiers chapitres, tandis que l'on entre de plain-pied dans l'enquête criminelle, elle aussi fort réussie. Tout ça sonne très juste et donne l'impression que la demoiselle a effectué pas mal de recherches en amont. L'approche scientifique, notamment, très travaillée, qui apporte un joli relief à l'ensemble et permet d'accrocher le lecteur entre deux tranches de sorcellerie « moderne » et pas piquée des vers, par instants à la limite du trash. Tout comme l'angle psychologique des personnages, qui a fait l'attention d'un soin particulier.

 

Il en va de même pour le décor australien, plus vrai que nature et dont la nature, justement, ainsi que ses petites spécificités (climatiques ou autres), apportent elles aussi un certain cachet à l'ensemble, assez éloigné du panorama urbain habituellement de mise pour ce genre d'histoires (telles que les sempiternelles ruelles sombres de New York et leurs cohorte de clichés...). Un cadre peu habituel qui va comme un gant à un roman bien plus singulier que sa quatrième de couverture ne le laisse paraître... Bref, tout ce qui concerne la construction interne du récit se montre des plus solides et rend l'intrigue d'autant plus immersive. Concernant la plume, la prose de l'auteure est toujours plaisante à lire, accrocheuse (parfois franchement viscérale) et elle sait trouver le ton juste et le bon timing pour chaque scène, ce qui fait que l'on ne s'ennuie jamais.

 

D'autant plus que les différents personnages (Arabella en première ligne) sont brillamment conçus et exploités dans le récit. Au départ j'avoue avoir eu un peu du mal à m'identifier à celle-ci, notamment au niveau des problématiques : qu'est-ce que cache le passé de cet agent de l'ordre consciencieux et (un peu trop) propre sur elle ? Pourquoi s'oriente-t-elle d'emblée sur la piste d'une sorcière ? Et comment en connaît-elle aussi long sur ces dernières ? L'auteure met un certain temps à nous dévoiler ces bribes de passé et si j'ai eu peur un moment que l'alternance présent/flashbacks ne devienne systématique, les informations sont en fait distillées de façon naturelle et non redondante, ce qui permet d'aérer agréablement le corps du récit. J'ai peut-être juste trouvé la « révélation » sur l'identité d'Arabella un peu trop vite amenée, là où ce rebondissement aurait pu arriver plus loin dans le récit et lui donner davantage d'impact.

 

L'autre léger bémol (encore que...) se situe pour moi au niveau des scènes d'action, qui auraient peut-être pu se montrer un poil plus « percutantes », au vu des capacités des sorcières. Pas qu'en l'état celles-ci ne soient pas intéressantes, mais ça ne m'aurait pas dérangé de les voir poussées jusqu'à leur paroxysme, plutôt que de les couper par moments par des phases de dialogues explicatifs, diluant alors légèrement l'impact des péripéties. Mais rassurez-vous : ça reste quand même efficace et accrocheur tout du long, je ne me suis pas ennuyé une minute ! D'autant plus que les éclats gore parsemés ici et là produisent de belles ruptures de ton, parfaitement maîtrisées.

 

Et puis, au-delà, il y a aussi un vrai fond dans ce récit, à travers cette ambivalence d’Arabella, qui derrière sa haine et sa frustration cherche simplement à "exister", par le biais de cette douleur sourde qui la broie depuis des années. Ou à s'en absoudre. Hormis ça, que lui reste-t-il ? Derrière le désir de vengeance, quoi d'autre ? Comment gérer cette partie d'elle-même qu'elle exècre, tout en sachant que c'est à travers elle qu'elle pourra tourner la page et finir par se reconstruire ? Ainsi, la protagoniste principale présente des fêlures et des problématiques très personnelles, qui la rendent d'autant plus attachante.

 

La charge émotionnelle est forte, et encore une fois il y a un réel propos derrière, pertinent, sur ce qui fait de nous ce que nous sommes et ce que nous sommes prêts à laisser derrière pour être celui ou celle que l'on voudrait être. Ce que l'on choisit d'oublier et ce que l'on garde, tout en essayant d'avancer, malgré le fardeau que cela représente. Par moments, j'ai eu peur de touches « Young Adult » tendant vers la romance, mais non, l'auteure tient sa ligne et cela reste sombre et mature jusqu'à la fin, presque nihiliste, même, via cette conclusion abasourdissante de noirceur.

 

Donc en résumé, hormis les légers bémols de pure forme soulevés, j'ai pris énormément de plaisir à découvrir ce premier roman, qui oscille entre plusieurs registres, tout en restant ancré dans le Fantastique sombre, voire l'horreur pure, mais qui n'a pas peur non plus d'entrer dans la psychologie interne de personnages forts réussis. Que dire de plus ? Eh bien, j'ai tout simplement passé un très bon moment avec Sorcière de Chair, qui n'a pas peur d'aller jusqu'au bout de ses thématiques, quitte à se salir les mains et maltraiter ses personnages – dont aucun n'est tout blanc non plus, ce qui apporte aussi son lot appréciable d’ambiguïtés. Bref, un premier essai plus que réussi pour Sarah Buschmann ! Si la dame persiste dans ce genre et avec la même qualité d'écriture, je suivrai le reste de son parcours avec le plus grand intérêt. Lu et approuvé, of course !

 

 

 

Lire la chronique de Zaroff et aussi celle de Lester !

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Solomon Kane - R. E. Howard

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L’homme est une corde tendue entre l’animal et le Surhomme : Solomon Kane, de R. E. Howard.

 

 

 

 

 

Robert Erwin Howard connut une vie aussi brève que fulgurante (1906-1936), durant laquelle il écrivit intensément. Auteur d’une quantité de nouvelles considérable, il correspondit en outre avec Lovecraft, partageant avec l’inventeur de Cthulhu de nombreux points communs. Les deux hommes éprouvaient en effet la même passion pour le Fantastique et la Dark Fantasy : guère étonnant dès lors que ces deux genres irradient l’essentiel de la foisonnante production Howardienne, La postérité en a surtout retenu le personnage de Conan, barbare cimmérien immortalisé au cinéma sous les rudes traits et la musculature bigger than life de l’autrichien-californien Arnold Schwarzenegger. Mais si Conan fut une figure passionnante et récurrente dans l’œuvre d’Howard, il n’en était pas moins jusqu’à il y a peu l’arbre qui cache la forêt.

 

Fort heureusement, la situation tend aujourd’hui à s’arranger en France, grâce à une vague de rééditions qui rend enfin hommage à l’immense talent de l’écrivain texan. Ainsi de Solomon Kane, héros (héraut ?) de sept nouvelles et de trois poèmes sertis comme autant de joyaux dans un volume extraordinaire dirigé par l’excellent Fabrice Louinet pour les éditions Bragelonne. Tous les textes ont été retraduits, et sont ici proposés dans l’ordre exact de leur rédaction. Par ailleurs, figurent en complément l’ensemble des récits inachevés, fragments et esquisses mettant en scène Solomon Kane. Bref, un ouvrage idéal pour redécouvrir ce personnage sensationnel surnommé « le Puritain », austère protestant toujours vêtu de noir, bretteur redoutable et redresseur de torts obsessionnel – d’aucuns diraient peut-être « fanatique »…

 

Traquant le mal au-delà des frontières de son pays (Kane est anglais), il aborde l’Afrique dès la première nouvelle éponyme. Cette rencontre est décisive, et Howard donnera le meilleur de lui-même à chaque fois qu’il replongera son personnage au cœur du continent Noir. Peu à l’aise avec la modernité, le texan a souvent évité d’enfermer ses récits dans un cadre strictement contemporain, exception faite de quelques-unes de ses – excellentes – nouvelles d’épouvante et de ses récits consacrés à la boxe. Les aventures africaines de Solomon Kane sont symptomatiques de cet état de fait, comme si l’auteur, en proie à une sorte de transe, profitait de l’occasion pour jeter au feu le costume étriqué et mesquin de l’homme occidental « civilisé » pour lui opposer une fantasmatique pureté « primitive ».

 

Kane se transcendera en Afrique : il y trouvera des ennemis à sa (dé)mesure (la terrible et superbe reine Nakari dans La lune des crânes), des amis fiables au-delà de la mort (le sorcier N’Longa dans le récit éponyme Solomon Kane, puis La colline des morts), ainsi que des causes à défendre (le prêtre Goru et son peuple dans Des ailes dans la nuit). Le style d’écriture de Howard est naturellement pour beaucoup dans l’intensité de ces récits : à la fois vigoureux et flamboyant, précis et fluide, il épouse à merveille le rythme des tambours, créant une ambiance lourde et menaçante qui explose dans des tempêtes de corps à corps bestiaux. Solomon Kane ira même jusqu’au bout de ce voyage « au cœur des ténèbres » (pour citer Joseph Conrad) en concluant ce parcours initiatique par une rencontre fusionnelle avec un groupe de jeunes Noirs victimes de trafiquants d’esclaves arabes (Des bruits de pas à l’intérieur). Cette Afrique à la fois brute, païenne, cruelle et belle pourra ainsi ouvrir ses bras à son allié. Parce qu’il lui ressemble, le valeureux Puritain aura su la séduire.

 

Autre point d’orgue de ce recueil, les trois magnifiques poèmes consacrés à Kane : la puissance mélancolique qui les imprègne est digne de celle que l’on retrouve dans les Chants de guerre et de mort, mémorable recueil jadis publié par les Nouvelles Éditions Oswald. Cerise sur le gâteau, les anglicistes pourront aussi se délecter des versions originales… Souvent sans peur et presque sans reproches, chez Howard en tout cas les héros ne sont jamais fatigués, et le concept de « repos du guerrier » n’existe pas. Promenant son anguleuse et sombre silhouette aux quatre coins du monde, Solomon Kane annonce ainsi une figure qu’un autre Kane, Bob de son prénom, popularisera quelques années plus tard : celle du super-héros un peu trouble…

 

Les Anglo-Saxons ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, puisqu’il existe désormais un comic-book intitulé Solomon Kane, et qu’un jeune réalisateur plein d’allant nommé Michael J. Bassett a relevé le défi consistant à donner une nouvelle dimension au personnage… Déjà auteur des plutôt réjouissants La tranchée et Wilderness, cet impétueux britannique a ensuite enchaîné avec Solomon Kane – le film ! Des revues pulp aux rééditions en omnibus hardcover et de la bande dessinée au cinéma, la boucle est bouclée. Une triple consécration autant qu’un juste retour des choses, pour un personnage des plus charismatiques qui le méritait bien.

 

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Histoire de la science-fiction en bande dessinée - Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan

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Histoire de la science-fiction en bande dessinée,

par Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan

aux éditions Les Humanos/Critic

 

 

 

Une fois n'est pas coutume, le blog du Collectif ZLLT va chroniquer une BD. Mais pas n'importe laquelle : il s'agit aujourd'hui d'une bande dessinée « documentaire », très ambitieuse puisque voulant retracer l'histoire d'un genre littéraire qui nous est cher, la SF.

 

« Documentaire, ça veut dire plein de noms, de dates et d'informations, c'est chronologique et scolaire, bref, c'est chiant ! Rien à voir avec les petits miquets que j'aime lire ! », s'exclamera alors le bédéphile grognon et peu curieux.

 

Et il se plantera, le bougre !

 

Car les deux auteurs de ce gros (208 pages!) ouvrage, Xavier Dollo pour le scénario et Djibril Morissette-Phan, pour le dessin, ont réussi le pari un peu fou de fournir une œuvre à la fois distrayante pour le profane, et documentée pour l'amateur éclairé. Le texte est bien sûr didactique, mais le ton jamais ennuyeux ou professoral, ce qui donne davantage au lecteur le sentiment de se voir intégré à une conversation plutôt que de subir un cours magistral.

 

On suit donc les deux complices dans une balade qui nous mène des origines du genre (les grands mythes de l'humanité) jusqu'aux écrivains contemporains, en passant par les fondateurs modernes (Mary Shelley, Verne, Wells,,,) et par les différentes écoles et tendances de la science-fiction (l'Âge d'or américain, la nouvelle vague, les « punks » steam- et cyber-, sans oublier bien entendu les auteurs français, etc.) Le scénario est soutenu par différentes astuces de narration, et nous nous surprenons bientôt à dialoguer avec les auteurs évoqués. C'est un bonheur de suivre H-G Wells pendant qu'il nous explique la genèse de ses romans, ou lorsque nous nous retrouvons dans la cabine téléphonique du Docteur Who pour des téléportations dans les différentes époques. Nous nous voyons même conviés à un dîner organisé par le créateur d' « Astounding » où les invités ne sont autres que les grands écrivains de l'Âge d'Or qui nous racontent leurs vies et leurs carrières. L'ensemble se révèle ainsi ludique, amusant parfois, jamais lourd ou contraint, et nous oublions que nous tenons en main un « ouvrage documentaire ».

 

Le dessin se conjugue avec le texte de façon harmonieuse, la lecture aisée grâce à une mise en page claire, mais pas trop classique. On sent d'ailleurs dans le découpage et dans le choix des couleurs une influence des « comics » américains, qui s'accorde avec bonheur au thème général du livre. Enfin, cette BD s'avère une véritable mine de suggestions pour un lecteur néophyte désireux de découvrir la SF, et de se constituer une culture dans ce genre si complexe. En effet, en bas de nombreuses pages, on trouve des listes de lecture, des films à voir, des couvertures de collections à explorer, bref, tout ce qu'il faut pour avoir envie de se précipiter chez le libraire spécialisé du coin !

 

Le plaisir devient un peu différent pour un vieux lecteur de SF comme moi, modeste collectionneur d'anciennes éditions, car la plupart des titres fondateurs évoqués sont déjà en ma possession (parfois dans différentes versions), mais la lecture de « L'Histoire de la SF en BD » m'a parfois redonné l'envie de me replonger dans un classique du « Rayon Fantastique » ou d' « Ailleurs et Demain », et m'a surtout motivé pour me mettre en quête de certains titres manquants.

 

En guise de conclusion, j'ajouterai seulement qu'on peut lire cette BD pour le simple plaisir de la découverte d'un genre, et aussi parce que de nombreuses anecdotes se révèlent aussi passionnantes que certaines fictions ; mais aussi qu'il faut la garder à portée de main comme un ouvrage de travail permettant de vérifier faits et références. Enfin, je mets au défi les curieux de ne pas se constituer une liste de souhaits et de recherches pour se bâtir une bibliothèque idéale de SF. En tout cas, c'est tout le mal que je vous souhaite !

 

PS : Continuez à suivre le Collectif ! Si vous voulez en savoir plus sur Xavier Dollo, alias Thomas Géha, nous vous offrirons bientôt une interview de l'auteur de « Histoire de la SF en BD » !

 

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Alix Karol 1 et 2 - Patrice Dard

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Bon sang ne saurait mentir : Alix Karol, tomes 1 et 2, de Patrice Dard.

 

 

 

 

 

 

Milieu des années 70. Le Fleuve Noir règne sur le monde du roman dit « de gare », en particulier grâce à ses collections Anticipation, Spécial-Police et Espionnage. Frédéric Dard, tel un baron Frankenstein faisant corps avec sa créature, continue à livrer les aventures de San-Antonio presque aussi vite que son lectorat jamais rassasié ne peut les lire. Le contexte est donc à la fois des plus favorables à la littérature populaire – les ventes sont au beau fixe – et périlleux – difficile pour un jeune auteur de sortir du lot tant la concurrence est rude et de qualité.

 

Difficile de se faire un nom, et plus encore un prénom, surtout quand on s’appelle Patrice Dard. D’où l’intérêt de la double mystification mise en œuvre dans la série Alix Karol. En effet, non content de disparaître derrière un pseudonyme en forme de clin d’œil, l’auteur fusionne aussi avec le narrateur en adoptant son point de vue. Soit la même recette que celle utilisée par son père dans le cadre de sa célèbre série, mais adaptée ici au monde de l’espionnage.

 

Car Alix Carol et son binôme Bis sont bel et bel des espions, même s’ils agissent pour le compte d’une organisation quelque peu… décalée. Malgré leur appellation d’origine assez peu contrôlée, les « Services Secrets du Tiers-Monde » apparaissent néanmoins comme la première vraie bonne idée de la série. Car si En tout bien tout horreur démarre de façon assez classique après une explication de texte musclée avec de sombres empêcheurs d’espionner en rond, la suite du roman permet à l’auteur de subvertir à peu près tous les codes du genre. Du Lido à l’ambassade de Suède au Brésil, d’une prétendue danseuse de cabaret à une otage qui n’a rien de la princesse en détresse, Alix Carol fait feu de tout bois, pour notre plus grand plaisir.

 

Une formule débridée et impertinente reproduite dans Assassin pour tout le monde, le deuxième titre inclus dans ce volume, où Alix et Bis se trouvent cette fois confrontés au sinistre groupe terroriste Septembre Noir, avec rien moins que le Colonel Kadhafi en guest star ! Malgré ce contexte géopolitique pour le moins « chargé », où la guerre froide vient percuter de plein fouet la décolonisation, la série profite de l’occasion pour affirmer son caractère bien trempé, et les tribulations de ces drôles de barbouzes s’avèrent d’autant plus rafraîchissantes.

 

C’est drôle, vif, gaillard (voire même parfois paillard), et si on pense parfois à OSS 117 et à San-Antonio (tiens donc), l’ambiance générale des romans est plus proche du duo Audiard / Lautner que de James Bond. Pour autant, l’auteur évite l’écueil de la parodie, et parvient à trouver un improbable équilibre le long de l’étroite frontière séparant premier et second degré. Avec Alix Karol, Patrice Dard se révèle donc non seulement le digne fils de son père, mais il réussit aussi – et surtout – à s’émanciper d’un héritage qu’on aurait pu penser encombrant.

 

En conclusion, je ne saurais trop conseiller l’acquisition de ce volume aux amateurs de littérature populaire décloisonnée. « Décloisonnée », car si en effet la série Alix Karol relève avant tout de l’Espionnage, les amateurs d’Action et de Polar y trouveront aussi leur compte. Avec En tout bien tout horreur et Assassin pour tout le monde, vous aurez droit à une double dose d’aventures explosives, de jeux de dupes, d’agents doubles troubles triples, de femmes fatales et de sensations fortes et inversement. Tout ça et plus encore pour le prix d’un Poche, ce serait dommage de s’en priver. En espérant que French Pulp continuera à rééditer la série : avec 21 romans parus entre 1973 et 1977, il y a matière à une belle intégrale. À bon entendeur...

 

 

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 196, janvier / février 2019.

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Entretien avec David Didelot

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Est-il encore besoin de présenter David Didelot, le conférencier avisé, l'essayiste, le romancier et le rédacteur du défunt fanzine Vidéotopsie. Depuis quelques années, on se croise dans divers projets (dont ma préface pour ton « Monstre de Florence ») et on se respecte pour des goûts similaires dans l'effroi, les femmes veules et dévêtues, le scalpel et la traque. On va s'intéresser plus particulièrement à la sortie de ton premier roman gore « Sanctions ! » paru chez Zone 52 Éditions, dans la nouvelle collection Karnage. Et c'est l'occasion de rendre hommage à Trash qui a eu le courage de relancer le Gore en France avec la sortie de vingt romans. Quels souvenirs gardes-tu de cette série dont tu as évoqué certains titres dans ta Bible « Gore – Dissection d'une collection » ?

 

Des souvenirs encore très présents pour tout te dire, teintés évidemment de nostalgie puisque Trash est passé comme une étoile filante dans la galaxie gore… Mais quelle étoile ! Très honnêtement, je pense que les volumes estampillés Trash ont fait la nique à la plupart des volumes de la Collection Gore : mieux écrits souvent, plus aboutis et plus cohérents d'un point de vue éditorial, mais tout aussi dégueulasses et tout aussi viscéraux que les "pires" gore de chez Fleuve Noir. S'il ne fallait en garder qu'un, ce serait sûrement le Pestilence de Dugüellus, dont j'attends désespérément la suite ! Allez, un deuxième, le Nuit noire de Christophe Siebert : un ami me disait qu'après lecture de Nuit noire, on avait de la boue à la place du cerveau… Il avait tout dit. Et puis les deux brûlots d'un certain Zaroff évidemment, en particulier Night Stalker. Inutile de dire que je regrette vraiment l'arrêt de cette collection, d'autant que j'ai un peu suivi son évolution, et que je connaissais certains auteurs qui ont contribué et avec qui j'ai pu correspondre. Beaucoup ont vu dans Trash la résurrection de l'antique Collection Gore, et l'arrêt de la série a été un crève-cœur pour les amateurs de littérature qui tache.

 

Différencies-tu des styles dans le gore en fonction de la nationalité des auteurs ? Préfères-tu un Joël Houssin à John Russo ou encore un Shaun Hutson à Nécrorian ? Ces deux derniers sont mes références propres et quels sont tes écrivains de prédilection dans ce genre précis où le sang et le sexe se confondent sans limites ?

 

Alors oui pour répondre à ta première question. Il me semble que les écrivains anglo-saxons sont souvent sous influence cinématographique. Et du coup, les thématiques dans leurs livres sont très proches de la série B horrifique : par exemple, tu trouveras chez les Anglais et les Américains beaucoup de bouquins ayant pour thèmes l'attaque animale, l'invasion parasitaire, des monstres typiquement anglo-saxons du bestiaire fantastique. À la sauce gore évidemment ! Les écrivains US de la Collection Gore allaient beaucoup puiser là-dedans par exemple.

 

Les Français, c'est un fantastique et un gore plus "réaliste" on va dire, plus ancré dans une réalité un peu sombre, grisâtre, presque provinciale parfois. Je pense à Corsélien ou à Pierre Pelot par exemple. Ce sont des gore avec les pieds dans la terre et les mains dans le terroir. Je les trouve donc plus réalistes et sombres que les Gore américains et anglais - souvent plus ludiques et série B. Ceci dit, ce n'est pas aussi simple que cela car tu as aussi des écrivains français qui ont été drôlement influencés par la littérature et le cinéma américains. Je pense à Gilles Bergal notamment, et à son Cauchemar à Staten Island, où la narration est un peu "à l'américaine", avec une écriture très rythmée, très événementielle. La séparation n'est donc pas aussi évidente que cela, mais globalement, c'est vrai que les gore français sont plus malsains, plus réalistes. Plus sociaux aussi. Ça me plaît davantage je dois dire, et ça recoupe d'ailleurs mes goûts en matière de cinéma : je suis plus tourné vers le cinéma bis européen par exemple que vers le cinoche américain.

 

D'où mon amour pour L'Écho des suppliciés de Joël Houssin, véritable feu d'artifice de dégueulasseries en tous genres et de tortures absolument dingues, avec une belle ambiance et un argument typiquement fantastique qui n'est pas sans rappeler certains motifs chers à Lucio Fulci. Comme toi, le fameux Blood-Sex de Nécrorian m'a sacrément marqué aussi, dont le titre parle pour lui (gore et pornographie trash). J'adore aussi La Marée purulente de Daniel Walther, qui jouit d'une ambiance là encore très fulcienne dans sa première partie et qui annonce le motif de la contamination, du chaos urbain - tant à la mode aujourd'hui... Sans compter que le bouquin est extrêmement érotique ! Allez, je t'en cite un quatrième (pour ne pas oublier les Anglo-saxons), La Mort visqueuse de Shaun Hutson justement : bouquin exemplaire d'un motif très exploité dans le genre, l'invasion parasitaire bien sale.

 

Mais en dehors des écrivains marqués Collection Gore (ou ses avatars), je ne peux pas oublier le Marquis de Sade et ses 120 Journées de Sodome : comme je l'écrivais ailleurs, le livre hystérise comme jamais le sexe et la violence, au point que toutes les "Collections Gore" de la Terre semblent être de simples variations sur tout ce qu'a inventé Sade. Rien de plus.

 

En évoquant ce sadisme récurrent, tu as choisi cette voie pour ton premier gore paru en janvier 2021. Avec, en toile de fond, le constat terrible d'un milieu scolaire archaïque et dénué de moyens humains, financiers et fonctionnels. Pourquoi ce choix original pour l'intrigue d'un gore ? Quel fut le déclic ? Certains films ont traité ce thème où ce sont souvent les élèves qui mènent la danse envers les professeurs (je pense à « Class 1984 » par exemple) et dans « Sanctions ! », c'est l'inverse.

 

Alors écoute, c'est très simple : c'est un milieu que je connais bien puisque je suis prof en collège depuis plus de 20 ans. Pour mon premier roman, il m'a donc semblé opportun de choisir un cadre qui m'était familier. C'est d'ailleurs un décor que j'avais déjà exploité, dans une nouvelle également parue chez Zone 52. Je n'avais pas pensé au changement de point de vue dont tu parles (élèves dominants généralement, mais dominés dans mon petit bouquin), mais maintenant que tu le dis… Pourquoi fondamentalement ? Parce qu'il m'était amusant d'imaginer une révolution réactionnaire dans l'univers scolaire, aux antipodes de ce qu'impose la pédagogie moderne.

 

Évidemment, j'ai poussé le bouchon très loin (nous sommes en rayon gore), de manière caricaturale même, mais j'avais à cœur d'exemplifier cette verticalité et cette dissymétrie consubstantielles (selon moi) à l'acte d'éducation : mes personnages sont cinglés et confondent la notion de "magister" (l'enseignant) avec celle de "dominus" (le maître, à qui on se soumet). N'empêche que je voulais appuyer là où ça fait mal actuellement : crise de l'Autorité, libération anarchique de la parole, horizontalité des rapports dans la classe… Ce dont souffrent pas mal de professeurs (en silence, car il ne faudrait pas passer pour un salaud de réac), et ce qui parasite la transmission. Ceci dit, nous ne sommes pas dans un essai politico-pédagogique, et je souhaitais surtout m'amuser, dépasser les limites et proposer une image inversée des représentations communes que l'on se fait du monde enseignant : tout en bienveillance et en "positivité".

 

À la lecture de « Sanctions ! », on ressent que l'emprise de la femme du prof est la dominante dans le couple. Tu me diras si je m'égare mais on devine que les déviances de Gabriel surviennent après son mariage. Que les fantasmes pervers de l'épouse ont exacerbé les vices enfouis de son mari. Le sadisme puise-t-il ses origines dans la féminité ? Je trouve que les femmes vengeresses ont plus de force et d'impact dans les films, notamment dans les « rape and revenge » comme « I Spit On Your Grave ». Les tortures infligées par Gabriel n'ont-elles comme but subliminal de contenter avant tout son épouse ?

 

C’est vrai que dans ce couple infernal, le personnage féminin m’intéresse plus que son homologue masculin : ce fameux "continent noir" dont parlait l’ami Freud, et mon goût pour l’altérité sexuelle – tout simplement. Alors j’ai plutôt envisagé ce duo comme le fruit d’une rencontre "miraculeuse", l’un des partis exaltant les vices de l’autre, et vice-versa : les affinités électives dans la perversité en quelque sorte, héritées de lectures gore justement - comme celle du célèbre Blood-Sex. Mais c’est vrai : à l’heure où la femme est souvent représentée comme une victime, et comme le chantre très moderne des valeurs positives (la paix, la douceur, la bienveillance, la négociation à la place de la guerre…), je me suis bien amusé à en faire une allégorie de la crasse, du sadisme, de la violence et de la domination. Un être obsédé par la satisfaction de ses désirs (d’ordre sexuel, mais pas que), hyper individualiste et totalement imperméable aux impératifs moraux de son temps. En ce sens, elle est une figure dominatrice oui, et son époux un être joyeusement soumis, dont la satisfaction sexuelle dépend surtout du plaisir de son épouse. En fait, je m’aperçois que l’écriture de ce roman a été guidée par un agacement terrible : celui que j’éprouve face à mon époque et à son irénisme béat.

 

Cette forme de matriarchie perverse te vient-elle de ta passion du giallo ? On sait que tu es un fin connaisseur du genre et, pour toi, quelle est l’œuvre qui t'inspire le plus dans ce cadre de femme insatiable, autoritaire et vicieuse ? Ms 45 ? Misery ? L'infirmière Ratched ? Je constate souvent que les films où les femmes deviennent le nœud central dans l'horreur sont coréens ou asiatiques. Le machisme est-il purement occidental ?

 

Pour répondre à ta dernière question, je n’en suis pas sûr du tout… J’aurais même tendance à penser le contraire : machisme, virilisme, sexisme, patriarcat, structures familiales traditionnelles… Peu importe comment on appelle ça, mais il me semble que les sociétés orientales ont encore pas mal de chemin à faire en la matière. Je ne suis pas un spécialiste du sujet, mais pour prendre un exemple, la condition des femmes au Japon n’est pas vraiment celle de l’affranchissement absolu. Du moins me semble-t-il. Et je ne parle pas des sociétés africaines… Je sais bien que c’est un peu la mode de se battre la coulpe et de penser que l’herbe est plus verte ailleurs, mais sur ce sujet-là, ça va être difficile. En même temps, aucune leçon à donner : les peuples ont leur Histoire, leurs traditions et leurs particularismes, que je respecte profondément. Tout le monde n’est pas à l’heure du féminisme occidental, c’est ainsi. Et pour reprendre ton exemple du cinéma d’horreur coréen (ou asiatique plus généralement), la puissance donnée à la femme est peut-être de l’ordre du fantasme justement, de la catharsis et de la représentation métaphorique : comme une manière de bazarder – de manière radicale - les cadres du patriarcat et du pouvoir mâle…

 

C’est clair, le giallo est plein de ces femmes tueuses, manipulatrices et vicieuses. Même si le genre exploite à fond le motif de l’oie blanche poursuivie par un assassin, les nanas ne sont pas toujours victimes dans le giallo, tant s’en faut ! Et il est clair que ma passion pour le thriller italien et ses thèmes a dû infuser pour Sanctions !. Mais si l’on parle d’images cinématographiques pour dessiner Barbara Lodi, j’ai plutôt pensé à des personnages comme celui d’Iris dans Blue Holocaust (la gouvernante vicieuse dans la villa du héros nécrophile), ou à ces "warden" qui peuplent les WIP films (films de prison pour femmes) ou la nazisploitation du ciné bis : la fameuse Ilsa en est le plus bel exemple, mais je pense aussi aux films de Bruno Mattei ou à ceux de Jess Franco. Et puis tu vas rire, mais la représentation de la MILF sur toutes les plates-formes de la planète porno a aussi joué son rôle dans l’esquisse physique de Barbara 😊.

 

Ah oui, j'avais oublié la gouvernante que tu cites. Un visage dur et franchement érotique pour ma part. On peut citer également certains films du regretté Jean Rollin où les femmes s'imposent dans les intrigues. L'homme n'est souvent qu'une marionnette entre leurs mains. Dans ton roman, Barbara attire ses proies par son physique. Cruelle et gourmande, c'est tout le contraire de la femme du flic. J'ai aimé ce paradoxe qui pimente ton histoire. Et le sort de cette épouse endeuillée donne tout son sel. La réticence est l'essence même du désir porno. Une femme austère et farouche est, je trouve, plus susceptible d'attiser les fantasmes d'un lecteur ou spectateur. C'est le cas dans « Les marais de la haine » où la beauté sauvage de l'actrice rend une vengeance perfide et animale. Pourtant, tu places ton intrigue dans l’infamie du snuff. Cela change la donne. La femme ne devient plus qu'un objet de cruauté gratuite. T'es-tu documenté pour appréhender cette zone dantesque qui existe malheureusement ? Nous sommes au-delà de la pornographie. Dans le genre « public », on pense bien évidemment au contesté « A Serbian Film » et je dois t'avouer que ma connaissance sur ce sujet est mineure. Comment as-tu abordé ce sujet en ayant le recul nécessaire pour ne pas tomber dans le vulgaire ?

 

Oui oui, Franca Stoppi dans le rôle de la gouvernante, qui jouait d’ailleurs les gardiennes vachardes et vicieuses dans les films de prison signés Bruno Mattei. J’aime beaucoup cette actrice. Et j’entends parfaitement ce que tu dis sur les "profils" de séduction et le désir : qui cache son jeu réveille plus facilement la libido chez le lecteur ou le spectateur, c’est clair. Mais l’image que je voulais dessiner n’était pas celle-ci dans le cas de Barbara : je voulais une femme respirant le sexe et la dépravation, de celles que l’on peut trouver dans le cinéma porno pour faire vite. Et le pont avec le snuff m’est apparu presque évident dans le cas d’un roman gore, comme point ultime de la pornographie justement : l’ouverture et la béance des corps... jusqu’au bout. Oh, ce n’est pas nouveau, et le sujet a déjà été traité dans le genre (je pense à Cinéma d’éventreur de Richard Laymon), motif tout autant fascinant que répulsif. Encore une fois, mon objectif – mon pari presque – était de lâcher la bride et de ruer dans les brancards : aller le plus loin possible dans l’horreur, d’où ton expression de "cruauté gratuite".

 

Et j’accepte volontiers le commentaire, notamment si l’on parle de mes descriptions typiquement snuff quand l’inspecteur visionne les photos et les films chez le jeune Axel. Pour répondre à ta question (enfin !), je ne me suis pas particulièrement documenté : j’avais lu quelques livres sur le sujet, et puis j’ai vu plusieurs films empruntant à l’esthétique snuff, la mimant avec plus ou moins de bonheur, et quelques thrillers sacrifiés à ce thème. J’ai donc puisé dans mes souvenirs de lecture et de cinéma, en radicalisant encore l’horreur de la chose. Je n’ai pas finassé pour le coup, et j’ai traité le sujet frontalement, du moins je le crois, sans proposer de commentaires sociologiques ou politiques. D’autres l’ont fait bien mieux que moi.

 

En combien de temps as-tu rédigé ce premier gore ? As-tu trouvé l'exercice difficile pour une première ? Nous savons que tu as la prose prolifique et dans divers domaines. Travailles-tu directement sur ordinateur avec un plan ou seul l'instinct prime ? Les auteurs veulent savoir !

 

En très peu de temps en fait : c’était lors du premier confinement, l’année dernière. J’ai commencé mi-mars et j’ai mis le point final du premier jet à la mi-avril je crois. J’ai même laissé reposer le truc au milieu de cette période, et ce pendant quelques jours. Évidemment, je ne compte pas les phases de relectures et de corrections, qui sont presque plus longues que la phase de première écriture… Je tiens d’ailleurs à te remercier encore une fois, car sans Zaroff, pas de « Sanctions ! » je pense ! Alors oui, je travaille directement sur ordinateur, et sans aucun plan. Pour tout te dire, je suis parti d’une réplique qui me trottait dans la tête (la première du roman), et puis j’ai brodé, brodé, au gré de mon inspiration devant le clavier. L’intrigue s’est construite en même temps que j’écrivais si l’on peut dire. C’était presque de l’écriture automatique ! Donc, non, je n’ai pas trouvé ça très difficile : excitant plutôt, exaltant même.

 

C'est le moment de nous quitter et j'en suis désolé. Je souhaite un beau succès à ton livre. Tenteras-tu encore l'aventure dans le gore ? Quels sont tes projets futurs ? Au plaisir de se croiser un jour. Et juste pour nos lecteurs : si tu ne devais garder qu'un seul roman d'horreur, ce serait lequel ? Bon vent l'ami et à bientôt.

 

T'inquiète, c'est déjà bien sympa tout ça ! Pour ce qui est de la suite dans le rayon gore, je ne sais pas trop… J'ai bien quelques idées pour une suite à Sanctions !, mais tout dépendra aussi de la réception du livre. Sinon, j'ai quelques trucs sur le feu oui, des idées de fanzines "one-shot" (un peu à la manière du Monstre de Florence), et puis quelques livrets en court pour des éditions DVD/Blu-ray. A plus long terme, une idée de bouquin ciné me travaille, mais ce sera pour bien plus tard. Enfin, si je ne devais garder qu'un seul roman d'horreur (un supplice ça !), ce serait peut-être le God Save the Crime de Pierre Dubois : roman sorti chez La Brigandine en 1982, puis réédité chez Hoëbeke en 2014, dans une version corrigée et augmentée… Sublimement écrit pour commencer, furieusement sanglant et érotique, et qui exploite le mythe de Jack l'Éventreur de manière tout à fait originale. Un must de littérature horrifique et pornographique ! Merci encore à toi en tout cas, et au plaisir de bavarder encore et encore !

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Thanatéros - Catherine Robert

Publié le par Tak - Commenter cet article et avis postés :

 

 

 

 

 

 

 

Parlons donc aujourd'hui de Thanatéros, de Catherine Robert. Déjà, rien que ce titre méchamment explicite : un mot, deux idées. La mort, le sexe et beaucoup de bas instincts (les nôtres) flirtant bien souvent entre ces deux (s)extrêmes. Et effectivement, on retrouvera ces thématiques tout au long des deux mini-romans figurant au sommaire de cet ouvrage.

 

De ce côté-là, Larmes de Sexe remplit son contrat jusqu'au bout et même bien plus. Je connaissais déjà ce récit en grande partie sous sa forme « brute », mais j'étais curieux et impatient de découvrir la version finale, car je savais que de nouveaux chapitres et éléments y seraient ajoutés. De fait, j'ai non seulement adoré le roman sous sa forme définitive, mais également pu me questionner sur les ressorts sous-tendant cette vision dystopique cauchemardesque et bien plus pertinente qu'il n'y paraît. Car oui, comme dans toute forme de récit anticipatoire qui se respecte, celui-ci prend racine, se nourrit de certaines tendances ou dérives de nos sociétés actuelles. Orwell avançait l'idée du mensonge, de la peur et de la manipulation des masses par le prisme de la guerre. Huxley parlait d'eugénisme, etc.

 

Ici, sous couvert d'un monde bâti sur la seule notion de jouissance, ainsi que sur la mainmise de différentes castes à travers le sexe, Catherine Robert nous parle aussi de la dictature de la consommation et du plaisir instantané (ce qui revient finalement un peu au même). « Achetez vite, achetez bien, soyez heureux ! Jouissez donc et oubliez le reste ! ». Mais l'on pourrait également y voir un miroir déformant de nos médias ou des transformations subies par le paysage audiovisuel ces dernières décennies : rien ne compte plus maintenant que le plaisir facile, les tiédasseries sans réflexion portées par la même dictature du « beau », du lisse et de l'aseptisé. Celui qu'on nous montre et qu'on nous vend dans nos « reality-show » quotidiens (à ce point « réalistes » qu'ils sont maintenant tous joués ou surjoués par des comédiens débutants), sur nos écrans de cinéma, dans nos magazines, à travers l'écran de nos smartphones, etc.

 

Cette dictature de la beauté et du plaisir instantané, où rien ne dépasse. Un peu comme ces corps à la plastique parfaite s'ébattant dans les draps satinés des sexpertes, nous faisant oublier les parties de jambes en l'air sordides dans les parcs, réservées à ceux ou celles ayant moins bien réussi leurs tests. Tout doit confiner à la perfection. Ce qui est moche, bancal, disgracieux, finit immanquablement dans les bas-fonds, loin du regard des représentants de l'élite. Sous couvert de fiction, l'auteur porte un regard désenchanté sur le monde qui l'entoure. Ce qui ne l'empêche pas non plus d'y aller à fond dans le sexe crado, nauséeux, malsain et le gore le plus décomplexé, comme pour mieux souligner le côté viscéral de sa vision.

 

Mais outre la force du propos et l'aspect franchement craspec de certains passages (parfaitement réussis au demeurant), j'ai également été beaucoup séduit par la construction même du récit. Car même si l'on parle ici de « mini-roman », sa structure ainsi que son développement s'articulent de façon bien différente des canons habituels. Peu ou pas du tout de personnages récurrents (hormis la résurgence d'un perso ou deux, ici ou là, mais loin d'être des « héros » de toute façon), pas d'intrigue « classique » au sens propre du terme (même si l'enchaînement des chapitres/saynètes se construit bien sur une forme de crescendo) : l'univers de Larmes de Sexe est éclaté et disparate et il faut accepter de laisser ses idées préconçues au placard avant de s'y immerger. Ceci dit, même sans trame classique, l'enchaînement des chapitres est pensé dans une certaine logique, nous laissant découvrir les différents aspects de ce monde oppressant et factice, au fur et à mesure qu'un étrange fléau s'y répand... Mais je n'en dirai pas plus pour ne pas déflorer le plaisir de la découverte aux mécréants n'ayant pas encore dévoré ce bouquin !

 

En tout cas, j'ai passé un excellent moment avec ce Larmes de Sexe, dont la version embryonnaire laissait déjà promettre un sacré potentiel. Un récit de haute volée, à la plume toujours efficace et concise, nous collant le nez dans la matière la plus abjecte possible, tout en nous donnant envie de bouffer les pages et d'en redemander après (mention spéciale à l'avant-dernier chapitre, Sexode, vision post-apo désabusée et nihiliste qui m'a fait grincer des dents, même au vu de ce qui précède). Bref : c'est du lourd et bien que le roman pèse à peine de plus de 120 pages, les lecteurs curieux en auront pour leur argent. Du moins, ça a été mon cas.

 

Mais la fête ne s'arrête pas là, car après nous avoir trimbalé d'une aberration charnelle à l'autre, Catherine Robert nous retourne le cerveau avec un ensemble de textes plus courts, réunis sous la forme d’un autre mini-roman. Ici, le ton est encore plus noir, plus sombre et la plume plus crue et décapante que jamais pour nous faire partager le destin de ces femmes à la fois bourreaux et victimes, peu à peu gangrenées par la folie.

 

J'aimerais pouvoir dire que j'ai adoré les deux œuvres à parts égales, mais force est de constater que j'ai moins accroché sur Tranches de Mort. Pourtant, pris séparément, chacun des textes le constituant est d'une puissance émotionnelle proprement hallucinante (à l'image d'un Yin & Yang dont je ne me lasse pas), nous laissant à chaque fois groggy et lessivé après lecture. L'insondable gouffre de la folie humaine, sa violence innée ou celle qui se dévoile suite à la rupture de tout raisonnement logique. Un monstre devient-il un monstre par la force des choses, par sa seule volonté ou est-ce le monde qui le façonne ainsi ? Peu de réponse finalement dans cette suite de récits percutants et violemment trash : l'auteure se contente de nous décrire la descente aux enfers de ces femmes brisées, sans complaisance, mais sans demi-mesure non plus. À nous d'adhérer ou non à la démarche.

 

Personnellement j'ai apprécié, mais trouvé l'ensemble un peu plus « décousu » que Larmes de Sexe, surtout vers la fin (et le fameux Carré Noir, chapitre bonus que j’ai eu du mal à rattacher à ce qui précède). J'ai bien compris que l'on suivait un fil à travers les différents interludes, mais j'ai peur d'avoir légèrement perdu ce fil à travers les dernières pages, là où tout m'avait paru limpide au début. Ce léger bémol ne m'a toutefois pas empêché de goûter cette seconde partie dans son ensemble, où malgré les horreurs narrées surnage parfois une solide pointe d'humour noir et caustique, comme dans ce savoureux et franchement vicieux Vieillesse Active. Je ne reviendrai pas sur les textes que je connaissais déjà, toujours aussi bons, et qui s'insèrent parfaitement dans ce recueil des plus dérangeants. Quant aux autres, ils m'ont tous collé une sacrée torgnole dont j'ai encore du mal à me remettre... (notamment le tout premier, Je suis méchante, où l'on passe du malaise diffus au rire nerveux, en passant par l'incompréhension horrifiée : tout cela en quelques pages à peine !).

 

En conclusion, je vais simplement résumer en affirmant que j'ai littéralement été soufflé par Thanatéros. Bien sûr, un tel livre n'est pas à mettre entre toutes les mains, et si l’univers original et parfaitement construit de Larmes de Sexe pourrait à la limite « faire passer la pilule » malgré son accumulation d'outrances porno-gorasses, le lecteur aventureux mais peu tolérant aux extrêmes aura franchement du mal sur Tranches de Mort, pourtant tout aussi intéressant d'un point de vue thématique comme stylistique. Oui, la plume de Catherine Robert fait mouche et fait mal, mais elle n'a jamais été là pour nous brosser dans le sens du poil, bien au contraire ! Un ouvrage saisissant à plus d'un titre par conséquent, qui malgré le goût rance laissé en bouche, donne immanquablement envie d'y revenir, pour ce qu'il dit à la fois sur l'âme humaine mais aussi sur le monde déshumanisé et désespéré dans lequel celle-ci s'épanouit... Une véritable perle noire, donc.

 

 

La chronique de Zaroff.

 

Notre interview de Catherine Robert.

 

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