La nuit myope - A.D.G

Publié le par Léonox

 

 

Il est cinq heures, Paris s’éveille : La nuit myope, d’A.D.G.

 

 

Un jour, il y a longtemps, mon père m’a dit « Tu devrais lire ça ». Et il m’a tendu deux Série Noire. Le petit bleu de la côte ouest, de Jean-Patrick Manchette, et Pour venger Pépère, d’A.D.G. Autrement dit le nec plus ultra du néo-Polar, dans sa plus extrême diversité. Un sacré grand écart. Et un sacré cadeau. Bien sûr, j’ai appris plus tard au sujet d’A.D.G. des choses qui m’ont déplu. Mais d’autres m’ont amené à nuancer mon avis. Comme son amitié avec le regretté Frédéric H. Fajardie, par exemple. Et aujourd’hui, c’est grâce à Jérôme Leroy que La nuit myope est réédité à La Table Ronde, dans la collection La Petite Vermillon.

 

Manchette, Fajardie et Leroy. Trois de mes auteurs préférés, tous genres et toutes époques confondues. Trois hommes dont les opinions se situent à l’opposé de celles d’A.D.G. Ce qui ne les a pas empêchés d’apprécier l’écrivain. Une position proche de celle du tireur couché, que je partage. C’est pourquoi je ne me suis jamais interdit de lire A.D.G. Sans compter que les interdits, je déteste un peu beaucoup passionnément. Surtout ceux qui pourraient conduire à ne pas entendre une des voix les plus singulières du Polar français.

 

Car A.D.G a laissé une œuvre hors-normes, dont La nuit myope est sans doute le plus singulier représentant. L’auteur y déploie toute sa gouaille poétique, et son insolence tantôt rigolarde, tantôt rageuse, fait merveille. On songe en lisant ce roman à des films comme La traversée de Paris ou Un singe en hiver, on pense à cette France d’hier dont il ne reste que des images jaunies avec un sourire un peu doux au coin des lèvres. On y pense, mais sans jamais se dire « c’était mieux avant ». Parce qu’A.D.G. savait très bien qu’ « avant », ce n’était pas mieux. Pas question de sombrer dans la nostalgie rance ni dans le passéisme veule. Pour autant, quand l’auteur écrit ce livre, les années quatre-vingt pointent leur vilain museau, et on sent que pour lui, quelque chose de moche se profile. Quelque chose qu’il faut fuir.

 

La nuit myope, c’est donc la tentation de l’extraordinaire. L’envie d’envoyer balader veaux, vaches, cochons et couvées pour repartir à zéro. Le rêve d’ailleurs d’un type qui a cassé ses lunettes, et qui ne voit plus grand-chose. C’est l’histoire de quelqu’un qui tombe en panne de cigarettes, et qui traverse la capitale à pied avec son chien comme d’autres traversent un désert. Et si le regard trouble que porte Domi sur ce Paris nocturne mettait paradoxalement en lumière une vérité cachée ? Mais avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. Et des bouteilles, Domi en a peut-être justement vidé quelques-unes de trop.

 

Qu’à cela ne tienne, il ne renoncera pas. Il ira au bout du voyage, au bout de sa nuit. Car Armelle l’attend. Et pour Armelle, notre aventurier est prêt à tout. Même à traiter le PDG de l’entreprise pour laquelle il travaille de « sale con ». Alors si comme le dit Jérôme Leroy « La nuit myope est un roman noir, mais sans morts et avec beaucoup de style », c’est aussi pour A.D.G. l’occasion de livrer un récit gouleyant aux allures d’ode à la liberté. Ce qui, pour un homme de sa réputation, n’est pas la moindre des provocations. Voilà donc un grand petit livre sur l’errance, l’ivresse et la révolte. Un doigt d’honneur, et trois de ouisquie, en argot dans le texte. Soit le type même de breuvage à consommer sans modération.

 

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 186, mai / juin 2017.

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