Bloodfist par Zone 52

Publié le par Léonox

 

Zone 52 est un remarquable fanzine dédié aux « mauvais genres » et à la culture populaire. Mon partenaire Julien H. et notre ami David Didelot ont été interviewés dans le numéro deux. Numéro deux qui comporte aussi une épatante série de chroniques de la collection TRASH. Voici celle de Bloodfist. Avec mes sincères remerciements à Jérémie Grima et Michel Jovet.

« Une escouade de morues sans âge échouée sur les trottoirs écoule sous le manteau une huile de mauvaise foi coupée avec le parfum Prisunic en promotion cette semaine. Tout le monde le sait et tout le monde le tait. Il faut bien que la terre tourne. Il faut bien que les têtes se tournent, et se détournent, dans tous les sens jusqu’à ce que les os craquent, pour tous la peine est capitale, et Guillotin le diablotin se frotte les mains en grimaçant. Il le « faut » ? Il le faux. »

Concentré : c’est le mot que j’utiliserais si je devais décrire le plus rapidement possible cette orfèvrerie gore que j’ai eu l’immense plaisir de me prendre en pleine gueule.

Concentré, parce que autant le dire tout de suite, on vous sert avec le sourire un concentré de boucherie, avec un détachement irréel qui renforce encore la gluance des actes, que je me garderai bien de vous décrire pour ne pas vous gâcher le repas. Le jeune garçon au mental sentant déjà un peu la charogne, qui voit la lumière au détour d’une dissection de grenouille au bahut, ça présage un adulte hautement divertissant.

Concentré, parce qu’il faut le rester – c’est un livre très exigeant. Le niveau de langage et le véritable déferlement d’outils stylistiques vous lacèrent sans relâche – un bonheur pour ceux qui ont fait Devos psychanalytique avec option Larousse au lycée Ed Gein de Satan sur Marne, une véritable torture pour les autres (vous êtes prévenus !).

On est bel et bien à l’exact opposé du roman qui se bouquine d’un œil distrait entre deux stations. Dans toute bonne œuvre, plusieurs passages sont nécessaires pour bien en goûter toute la substantifique moelle, mais dans le cas présent, prévoyez plutôt un régime de pauses bien régulières, histoire de pouvoir goûter correctement et digérer comme il faut ce que vous venez d’avaler.

Concentré, parce qu’on a l’impression, à la lecture, que le papier est dégoulinant d’un concentré de déséquilibre, de vertiges, et que c’est en train de passer par les pores de sa peau. Pourtant, ce qui aurait pu tourner à l’exercice psycho-littératuro-machin-auto-masturbatoire réussit au contraire la prouesse de placer efficacement le lecteur en plein milieu de l’âme du protagoniste, et à lui faire vivre sa vision déformée, maladive, torturée, pleine de remugles, d’êtres plus ou moins louches, de désirs et de répulsions, de fluides poisseux et malodorants. Et aussi comprendre ce qu’il peut y avoir d’anodin à farfouiller dans les tripes de quelqu’un quand on est cerné par une ambiance poisseuse, irréelle, et une atmosphère aussi lourde qu’un container d’abats non identifiés.

Si David Lynch et le boucher du coin se jetaient dans un hachoir à viande parce que Dario Argento vient de s’y balancer, le DVD de Maniac à la main, on obtiendrait sûrement ce petit bijou à la sortie. Une immersion totale, tranchante, goûteuse, et délicieusement réussie dans les bas-fonds psychopathogiques.

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