Dernière fenêtre sur l'aurore - David Coulon

Publié le par Léonox

 

Le mal à la racine : Dernière fenêtre sur l’aurore, de David Coulon.

 

Il arrive que certains livres vous tombent dessus sans crier gare. Qu’ils vous mettent le couteau sous la gorge ou vous placent sur le fil du rasoir. Dans ce type de cas, les lecteurs disent qu’ils « n’ont pas pu lâcher » tel ou tel roman. À mon avis, il s’agit d’une erreur de formulation. Car dans de telles circonstances, c’est le roman qui ne vous lâche plus. C’est lui qui vous grignote de l’intérieur, qui s’immisce dans les méandres de votre cerveau, c’est lui qui mène la danse macabre et enchaîne les gauche-droite et les uppercuts au foie. Et Dernière fenêtre sur l’aurore est un livre de cette trempe-là.

Bernard Longbey est flic. À la brigade des mineurs. Il passe donc son temps à recueillir les témoignages d’enfants et de mineurs victimes d’abus et de sévices. Quand on exerce une telle profession, il convient d’être soi-même équilibré et de savoir garder la tête froide en toute circonstance. Or ce n’est pas vraiment le cas de Bernard Longbey. Sa femme et sa fille ne sont plus là. Il ne cesse de penser à elles qu’en focalisant sur le meurtre d’Aurore Boischel. Une jeune fille de dix-huit ans qu’il connaissait. Dans le cadre de son travail, bien sûr… Patrick Bellec est le collègue de Bernard. Beau gosse d’une trentaine d’années, il multiplie les conquêtes féminines. Il se dit qu’il va bien. Se le dit un peu trop souvent, d’ailleurs, depuis que Béatrice l’a quitté. Mais l’autosuggestion a ses limites…

Et puis il y a Rudy Poller. Lui est détective privé. Il a été engagé par un certain Sam, qu’il n’a jamais vu, pour enquêter sur… Bernard Longbey. Reste à faire le lien avec ces quatre types enchaînés qui croupissent dans leur crasse et leurs déjections au fond de ce vieux bunker. Et avec ce réseau pédophile soigneusement dissimulé derrière la façade « respectable » d’une boîte de nuit où travaille l’ex-petit ami d’Aurore Boischel… Aurore encore plus présente depuis qu’elle est absente. Aurore qui hante chaque page de ce terrible livre, jusqu’à donner un double sens à son titre. Aurore prête à ouvrir pour vous la dernière fenêtre sur… l’horreur.

Il y a quelque chose du Brussolo de la période Thriller dans le roman de David Coulon. Le Brussolo de Dernières lueurs avant la nuit, au titre curieusement proche. Celui des familles en miettes, des relations perverties et des personnages en rupture. Parfois on pense aussi à la veine sociale d’un Thierry Jonquet, avec la banlieue qui gronde en arrière-plan, et les rumeurs d’émeutes. Mais ici la veine est tranchée, et coule le sang des bêtes… Enfin, sur le plan formel, ceux qui apprécient la viande hachée proposée par Christophe Siébert devraient se régaler. Car David Coulon écrit sec, près de l’os, ses phrases courtes cognent comme un tonfa de CRS, et son style est net et sans bavure. Contrairement aux flics qu’il met en scène…

Guère étonnant dès lors que quelqu’un comme Thomas Bauduret soit tombé sous le charme vénéneux de ce roman très noir et ait décidé de le choisir pour figurer au sein de la collection Zones d’Ombre, chez Asgard, qu’il dirige avec brio. Vous avez le droit de vous méfier de mes avis. Mais n’oubliez pas que Thomas Bauduret, on ne la lui fait pas. Cet homme a lu, écrit et traduit des milliers de pages. Ça fait longtemps qu’il est là, et il sait ce qui est bon. Or Dernière fenêtre sur l’aurore fait mal. Très mal. Et c’est ça qui est bon.

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 166, janvier / février 2014.

 

Note de Zaroff : j'ai aussi chroniqué ce bouquin ici !

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