Le festin des charognes - Max Roussel

Publié le par Léonox

 

Allemagne, année 0 : Le festin des charognes, de Max Roussel.

 

Accord parental souhaitable (à moins, bien sûr, que vos enfants ne ressemblent à ceux du Village des damnés, auquel cas ils devraient abandonner la lecture de Jules et Henri Verne(s) pour passer à des choses que la morale si elle existait réprouverait certainement…). Être hostile à toute forme de censure ne signifie pas en effet mettre n’importe quoi dans les mains de n’importe qui à n’importe quel moment. Et ce roman n’est vraiment pas n’importe lequel… même si son auteur, lui, pourrait être n’importe qui.

Car Max Roussel est un « John Doe » de la littérature, ce nom générique donné aux cadavres anonymes dans les morgues américaines… L’homme n’a pu être identifié, et « Max Roussel » était peut-être un pseudonyme dont aucun héritier ne s’est jamais réclamé… Le festin des charognes, écrit en 1946, a ainsi passé un demi-siècle dans les oubliettes de l’histoire avant que le regretté Jean Rollin ne l’exhume en 1998 pour faire de lui l’emblème de sa collection « Les anges du bizarre », aux éditions Sortilèges. On n’aurait pu rêver choix mieux adapté…

1946. Quelque part en Allemagne. Siegfried est un loup aux abois, efflanqué et famélique. Sa meute a disparu, lui est coupable d’être encore en vie. Dans ses yeux brûle une lueur de folie qui le protège tant bien que mal d’un monde dévasté sur lequel règnent toutes sortes de prédateurs… Des bourgeois gras comme des porcs, des satanistes avides de sacrifices, des infirmiers transformés en bouchers, et puis il y a « ceux des ruines » qui ont tellement faim qu’ils sont prêts à manger VRAIMENT n’importe quoi… Le festin des charognes ne relève pas à proprement parler du Fantastique… sauf si l’on considère que l’apocalypse a eu lieu entre 1939 et 1945, et qu’un mystérieux poète du putride a décidé de s’y tremper tout entier en répondant à la question essentielle : que peut-il rester après ? Comme si l’outrageant Richard Kern, réalisateur des fameux courts-métrages rassemblés sous le titre Hardcore décidait brutalement d’entreprendre un remake du film de Rossellini cité en préambule…

Innombrables sont les œuvres ayant abordé cette période-clé du vingtième siècle. Le terrible livre de Max Roussel se distingue toutefois par son point de vue narratif, lequel n’est ni celui des victimes, ni celui des bourreaux, mais celui des laissés-pour-compte. Certains disaient à cette époque « ici Londres ». Le festin des charognes, c’est « ici l’ombre », ici la nuit épaisse et la mort qui rôde, ici la faim qui tord le ventre des anonymes, ici le froid qui raidit l’échine des survivants, ici les tristes étreintes aveugles sous les portes cochères, ici les enfants qui se suicident pour ne pas être abusés, mutilés ou dévorés, ici l’horreur qui seule demeure quand tout le reste vient à manquer… C’est ainsi que cet ouvrage, loin de se limiter à son titre accrocheur, s’avère un roman ignoble et magnifique qui tient toutes ses promesses en offrant un état des lieux saisissant, à situer quelque part entre Voyage au bout de la nuit, la Trilogie noire de Léo Malet, avec une touche sadienne anticipant Peter Sotos…

Ne laissez plus jamais quelqu’un qui n’a jamais lu Le festin des charognes employer le mot « désespoir ». Le désespoir, son sang irrigue toutes les pages de ce livre insensé, et son cadavre est dévoré par des harpies qui n’ont que faire des tabous des hommes. Et puis les hommes c’est dépassé, intelligence et compassion sont des baudruches déchirées par la griffe de l’instinct, et à l’heure de la Bombe le sommeil de la raison a engendré des monstres alléchés par l’odeur du charnier… Voilà donc un roman aussi éprouvant qu’indispensable, que je vous conseille d’offrir à vos amis afin de les tester : s’ils ne l’aiment pas, ne perdez plus votre temps avec eux ! Mieux : si vous en avez l’occasion, faites lire Le festin des charognes, et si besoin avec un Lüger pointé sur la tempe, à tous les fous de la messe, matamores encagoulés, fanatiques à poil ras ou barbe longue et autres imbéciles qui osent encore bramer « Dieu, que la guerre est jolie »…

Commenter cet article

Z
Merveilleuse chronique mon cher Léonox. Je possède le même ouvrage mais je ne l'ai pas encore lu. Il va falloir que je répare cet outrage...
Répondre
L
Merci beaucoup pour ton appréciation.<br /> Oui, je pense que tu devrais lire ce satané bouquin.<br /> Il a tout pour te glacer le sang et te nouer les tripes.