Chuchoteurs du dragon & Autres murmures - Thomas Geha

Publié le par Léonox

 

 

 

 

Celui qui murmurait sous l’ombre de la lune rouge : Chuchoteurs du dragon, de Thomas Geha

 

 

 

 

Celles et ceux qui me connaissent le savent : je ne suis pas un grand amateur de Fantasy. Seulement il se trouve que je suis très friand de nouvelles. Et que j’apprécie par ailleurs beaucoup les écrits de Thomas Geha. Alors quand j’ai entendu parler d’un nouveau recueil de l’auteur à paraître aux Éditions Elenya, sept trop longues années après son très beau Les Créateurs, mon sang n’a fait qu’un tour. Fantasy ou pas, ce Chuchoteurs du dragon serait mien.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, je me suis donc engagé gaillardement dans l’antre des dragons. Et j’en suis ressorti sain et sauf, à la fois émerveillé et étonné. Car si le recueil de Thomas Geha présente bien des nouvelles relevant de la Fantasy (les trois premières, en l’occurrence), les sept autres textes qui figurent au sommaire permettent d’explorer des chemins moins balisés… Ou de rappeler que la Fantasy est un nom moderne employé pour désigner ce que l’on appelait autrefois les Contes et le Merveilleux, et que la magie n’a pas besoin des trolls et des fées.

 

Mais commençons par le commencement. Ou plutôt avant. Car avant le commencement était une préface. Un texte intitulé Le laboratoire du démiurge, signé par l’auteur en personne. Soit la manière idéale d’introduire un tel recueil. Car tout est là, en fait : le pourquoi et le comment de la nouvelle, les avantages et les inconvénients du format, la grande histoire de ces « petites » histoires, avec ses auteurs illustres et ses textes fondateurs, le tout délivré avec éloquence et simplicité. Que les choses soient claires : Thomas Geha ne donne pas là un cours magistral, et les pistes de réflexion qu’il propose n’en apparaissent que plus convaincantes.

 

D’autant qu’il passe ensuite de la théorie à la pratique, avec le flamboyant triptyque inaugural composé de Chuchoteurs du dragon, Le guetteur de nuages et La Tête qui crachait des dragons. Initialement publiées dans des anthologies chez Mnémos et ActuSF, ces trois nouvelles relèvent, selon l’expression de l’auteur, de la « pure Fantasy ». Pour autant, si en effet les canons du genre y sont bel et bien respectés (notamment grâce à la convocation de certains personnages et créatures mythologiques), Thomas Geha ne se contente pas de broder sur des thèmes familiers. En injectant à ses histoires un souffle poétique et une mélancolie diffuse, il ouvre en grand les portes du laboratoire où le démiurge repousse le champ des possibles…

 

Autre trilogie, autre univers, avec les textes constituant le Cycle loguivien. Autres temps, autre ton, aussi, avec l’introduction d’une touche d’humour bienvenue. Loguivy-Plougras, terre de légendes, La nuit du Suner-Gwad et La fontaine égarée permettent ainsi à l’auteur d’explorer le foisonnant folklore breton, tout en adressant un clin d’œil appuyé à certaine série américaine fantastico-paranoïaque. La recette fonctionne à merveille, de même que le duo formé par Gwalarig et Kristell, et c’est un bonheur de suivre leurs (en)quêtes dans un cadre à la fois typique et décalé, où le surnaturel est si enraciné qu’il semble faire partie intégrante du paysage.

 

Viennent ensuite deux réécritures de contes, Le briquet de Noël et Trois petits cochons, où le ludique croise le politique pour mieux faire passer un message hélas des plus actuels...

 

La transition avec le texte suivant, Je serai Joseph, semble a priori toute trouvée, puisqu’il y est aussi question de Noël. Mais c’est d’un Noël noir qu’il s’agit ici. Un Noël où l’on ressent de façon viscérale toute la cruauté de l’enfance. Un Noël où Thomas Geha nous offre en cadeau du Fantastique horrifique qui fait mal et qui fait peur, pour une superbe nouvelle qui aurait eu toute sa place au sein des Créateurs si elle avait été écrite un an plus tôt. Néanmoins, grâce à son ancrage et au thème abordé, elle s’insère on ne peut mieux au sommaire des Chuchoteurs, donnant un supplément de couleur à sa palette déjà riche.

 

Enfin, le recueil se conclut sur Tombent les plumes, un texte aussi onirique qu’inclassable, fragment tombé du ciel pour mieux apporter une bien jolie note d’étrangeté.

 

En somme, il n’y a que de bonnes raisons pour soutenir la belle initiative des Éditions Elenya. D’une part, Chuchoteurs du dragon est un recueil d’une diversité réjouissante, qui présente un choix de nouvelles à même de séduire tout amateur d’imaginaire, au sens large. Ensuite, la lecture de ces textes permet de rappeler à quel point la forme courte est un art à la fois exigeant et subtil, dont Thomas Geha connaît tous les rouages. De plus – et cet ultime élément est tout sauf anodin – tous les droits du livre seront reversés à la ligue contre le cancer. Ou quand le talent rencontre la générosité : que des bonnes raisons, disais-je…

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