À bout de mères - Rachel D. Forêt

Publié le par Léonox

 

 

 

Blue devils : À bout de mères, de Rachel D. Forêt

 

 

 

 

À bout de mères est un court recueil de neuf nouvelles publié par les éditions Otherlands. Je ne connais pas son autrice Rachel D. Forêt personnellement, mais je ne crois pas me tromper en affirmant qu’elle a mis beaucoup d’elle-même dans ce petit livre aux allures de catharsis. Elle n’avait d’ailleurs pas vraiment le choix. Car traiter un thème comme celui de l’enfantement de façon distanciée ne présenterait guère d’intérêt. Alors Rachel a opté pour la seule option acceptable : elle a pris son sujet à bras-le-corps sans rien épargner au lecteur.

 

Le résultat est un ensemble frappant, qui permet d’explorer toute la palette d’émotions contradictoires liées à la procréation. Entre suggestion angoissante et horreur frontale, l’autrice va puiser en elle-même ses sentiments les plus secrets, et s’en sert pour livrer une série de variations noires sur un thème qu’elle maîtrise à merveille.

 

Avec Aokigahara et Shégé, les deux nouvelles les plus longues du livre, Rachel D. Forêt prend son temps pour instaurer un suspense de plus en plus insoutenable, et utilise les ressorts du Fantastique avec un art consommé, jusqu’à faire basculer ses récits dans la pure épouvante. Du Japon au Congo, d’un mari en pleine perte de contrôle à un pasteur fanatique, d’une forêt maudite à une église bien peu catholique, Rachel met en scène une succession de tableaux effrayants qui évoquent la maternité, la perte et la résilience – quand celle-ci est possible…

 

Difficile de rivaliser face à de telles figures de proue, mais les autres nouvelles, bien que plus brèves, n’en déméritent pas pour autant. L’une d’entre elles, Nuit invisible, se démarque d’ailleurs par le point de vue adopté, mais aussi par son propos. S’il y est toujours question de la famille, la mère n’est pas cette fois au premier plan. En est-elle moins impliquée pour autant ? Hors de question de déflorer le sujet de ce terrible récit, mais si l’autrice a jugé nécessaire d’insérer un avertissement le concernant dans l’avant-propos, ce n’est pas pour rien…

 

Quant à Apparences et J’aurais aimé…, placés en ouverture et en conclusion du recueil, il s’agit de deux textes très brefs plus proches de la prose poétique que de la nouvelle. Mais les apparences sont trompeuses : les sourires de façade dissimulent parfois une grande violence. Quant à la conclusion douce-amère, elle est aussi belle qu’émouvante.

 

À bout de mères est donc un recueil marquant. Tour à tour crue et cruelle, tendre et triste, Rachel D. Forêt joue avec les contrastes pour mieux interroger la parentalité. En ce qui concerne l’enfance, il règne en effet trop souvent une sorte de « prêt-à-penser » qui semblerait indiquer que certaines choses ne se disent pas. Or non seulement l’autrice d’À bout de mères les dit, ces choses, mais elle les dit bien. Haut et fort. En résumé, Rachel a eu le cran d’emprunter une voie singulière, et elle a une voix qui porte. J’espère avoir le plaisir de l’entendre à nouveau.

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