Crache-béton - Serge Brussolo

Publié le par Lester

 

 

 

 

Entrer dans un roman de Serge Brussolo, c'est prendre un ticket pour l'attraction la plus périlleuse de tout le parc de sa plantureuse bibliographie. Chacun de ses livres devient une découverte, une aventure, souvent saugrenue, toujours déstabilisante, et on en ressort avec une sensation de vertige, et une seule envie : retourner visiter ce qui tient à la fois de la maison hantée et du grand huit. Embarquons donc pour le monde des Crache-béton, ces énormes baleines mutantes qui transforment les eaux salées d'un lac en cailloux qu'elles recrachent ensuite sur la station balnéaire du rivage. Les immeubles sont mitraillés de galets, les bâtiments croulent sous l'accumulation de roche, et les habitants qui ne se sont pas pliés au pouvoir dictatorial de la milice omniprésente se sont réfugiés dans les égouts... En quelques descriptions rapides, Serge Brussolo nous brosse le tableau apocalyptique d'un monde ordinaire en plein délitement, d'une société où la férocité et le chacun pour soi sont devenus les règles acceptées par tous. Le héros de cette aventure se voit ballotté bien malgré lui dans cette suite d'événements absurdes, à une époque indéfinie, dans un lieu indéterminé. Lui qui ne souhaitait que gagner un peu d'argent en vendant une cargaison de chats mutants à peindre soi-même (?) se retrouve embringué dans une chasse à la baleine, à bord de galères bricolées dans un bois trop tendre, en une sorte de parodie déjantée de « Moby Dick ».

 

Aujourd'hui, dans un futur lointain, sur terre ou dans une colonie spatiale ? L'auteur ne le précise pas, et le lecteur s'en moque un peu, pris qu'il se trouve dans une succession de scènes d'action improbables et de rebondissements spectaculaires. Brussolo se déchaîne, donne libre cours à son imagination et foisonne d'idées toutes plus délirantes les unes que les autres. Ce roman donne l'impression de se retrouver dans un monde onirique livré à une logique interne tordue, c'est ce qui fait sa force car, après quelques pages on a le sentiment d'évoluer à l'intérieur d'un cauchemar dont on peine à s'extirper.

 

Le talent de l'auteur, son métier, consistent à nous faire accepter des situations absurdes comme allant de soi, et nous nous retrouvons alors dans un univers obéissant à des règles faussées, mais présentant une cohérence interne. Dans cette logique du non-sens, on peut penser à Lewis Caroll, sans le côté british, et certaines scènes très graphiques évoquent des peintures surréalistes où le quotidien le plus sordide côtoie l'impossible.

 

Un lecteur par trop rationnel pourrait reprocher ce foisonnement d'idées dans un si court volume (à peine plus de deux cents pages) mais il faut y voir plutôt un festival de créativité et de culot, servi par une plume dynamique, sobre et irréprochable.

 

Car cet écrivain ne se refuse rien quand il s'agit de nous embarquer dans ses délires, et c'est ainsi que Brussolo est grand !

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