Le Dieu sans nom - Serge Rollet

À l'occasion des deux ans de la sortie de ce recueil, il était temps pour moi d'en faire une chronique. C'est la seconde fois que je lis ce merveilleux ouvrage. Après son premier recueil Les douze heures de la nuit, Lester L. Gore revient sous son vrai nom : Serge Rollet. L'influence lovecraftienne est présente avec un ton plus moderne, plus vivant, actif et rythmé. Or, comme le signale Artikel Unbekannt dans sa préface, « Lovecraft n'est ici que l'arbre qui cache la forêt. » Le monde imaginaire de Serge Rollet se nourrit aussi de Poe, Gautier, Hodgson, Brown, Matheson, Wilde, Ray, Bloch, Owen, Ghelderode et toutes les facettes d'un fantastique d'antan sont explorées avec un œil neuf et inquisiteur. Serge Rollet, c'est l'assurance d'une écriture stylistique empreinte d'un terreau fertile, aux racines profondes. Serge Rollet est un ami et je suis fier d'appartenir à son cercle tant sa culture, sa verve et son entrain nous éclaboussent. C'est une personne rare qui enrichit ses interlocuteurs, un phare dans les ténèbres, une lueur dans le brouillard et les incertitudes. Car l'homme doute, toujours. Et Serge écrit dans la douleur, ses récits sont le fruit d'une lente maturation, d'un perfectionnisme obsessionnel. Serge Rollet est avant tout un alchimiste et il va être ardu de chroniquer ce recueil en toute objectivité, tant ma fascination pour cet écrivain peut fausser mon jugement. Malgré tout, j'aime relever les défis... alors, c'est parti !
Le Dieu sans nom, nouvelle débutant ce recueil, se déroule en Amérique Centrale, hors de la vallée du Chiapas. Lors d'un chantier titanesque qui a duré deux ans, un temple maya est déplacé car la vallée sera noyée par un lac artificiel. Deux archéologues, Martens et Willoughby, rentrent au pays. Martens est troublé. Ce temple lui semble différent. Ce lieu isolé, des statues d'hommes-jaguars, cette jungle impénétrable... rien ne se conforme aux édifices de culte communs de cet endroit du monde. Et surtout lorsque Martens croise un vieil Indien qui affirme que « ce qui gît sous le sol va s'éveiller car les sceaux sont rompus. » Deux semaines après, en France, Martens regarde distraitement les informations télévisuelles. De légères secousses sismiques ont fait trembler une partie de l'État du Chiapas, au sud du Yucatan, au Mexique. Des hordes de rats déferlent dans les villes du pays, les habitants sont mordus et les autorités craignent les épidémies à venir. Insidieusement, le Dieu enfoui teste ses pouvoirs et prépare ses attaques. Une invasion gigantesque de fourmis dévaste des villages. Le flot grouillant dévore les hommes, les enfants, les animaux et poursuit sa migration vers la ville, vers l'ennemi. Puis ce sont des oiseaux provoquant des collisions aériennes. La divinité innommée étend son emprise sur la surface de la planète et contrôle toute forme de vie animale. Une mystérieuse association demande de l'aide à Martens. Malgré son scepticisme, il repart au Mexique. Martens parviendra-t-il à combattre le Dieu englouti et empêcher cette fin du monde imminente ?
Nous baignons dans une atmosphère digne de Predator dans L'ennemi Ancien, Vietnam, jungle oppressante et des soldats américains à la recherche de la section Malcom, une patrouille qui a disparu. Accompagnée d'un jeune guide local nommé Truang, l'escouade du lieutenant Parker s'enfonce dans la forêt. Les premiers cadavres atrocement mutilés apparaissent et le prédateur est invisible, silencieux, rapide ; les pièges sont évités et le trouble parvient à ébranler ces hommes aguerris. Interrogé, le jeune vietnamien affirme que l'endroit est maudit. C'est le territoire du « Grand dévorant » et même les oiseaux fuient cet enfer végétal. Malgré leur perplexité, les SEALS continuent leur mission. Et ce qu'ils découvriront les plongera dans une terreur indicible.
L'Ombre des Docks se découpe en trois parties : L'Île Impossible, Retour au Pays et Le Tueur des Docks. En avril 1887, un brick léger est détourné de sa destination, pris dans une violente tempête. Devant se ravitailler en eau potable, l'équipage met le cap sur les Carolines. À leur grande surprise, une île inconnue et ne figurant sur aucune carte apparaît devant eux. C'est un îlot étrange et recouvert d'algues. En explorant ce caillou aride, ils aperçoivent des vestiges, des fresques, des bas-reliefs et une grotte. Certains matelots superstitieux ont peur. Mais en trouvant un large coffre en or massif, les hommes se félicitent de cette fortune inespérée et remontent le trésor à la surface. Durant le retour, le cuisinier de l'équipage est porté disparu. On retrouve son corps éventré. Les hommes partagent le butin et nous suivons Horace Mac Lane de retour en Angleterre. Il montre le coffre à son frère médecin. Un dilemme les oppose : l'un veut le vendre pour le faire fondre en lingots anonymes et l'autre pense que c'est une œuvre inestimable à préserver. D'ailleurs, ce coffre ressemble à un sarcophage et il est impossible de l'ouvrir. Une nuit, un énorme fracas ébranle la maison. Le coffre est ouvert et, peu de temps après, des meurtres abominables surviennent dans le quartier de Whitechapel. Ce récit incroyable m'a semblé être issu de trois influences majeures : Michel Bernanos, Doyle et Poe. Superbe idée de mélanger les crimes de Jack l'Éventreur avec le mythe de Cthulhu. C'est une narration digne d'un vieux recueil de la Bibliothèque Marabout. Les lecteurs fidèles de l'École Belge de l'Épouvante y trouveront leur compte. Et sans doute aussi les adeptes de la Hammer. On imaginerait aisément Peter Cushing tenir le rôle d'Horace Mac Lane et Christopher Lee celui du français Georges de Marigny, un érudit des sciences occultes qui aidera les deux frères à combattre ce monstre des profondeurs.
Suivent plusieurs nouvelles : Baphomet et son étrange tombeau d'Enguerrand au château de Missac, des vols d'antiquités, un démon arabe en pierre noire sous fond de croisades du douzième siècle. Le portrait, tableau laissé dans un appartement en location. L'ancien locataire était un artiste peintre devenu fou. Le nouvel arrivant nettoie la peinture et découvre le portrait d'une sublime femme. Elle lui apparaît une nuit et leurs étreintes sont divines. Peu à peu, l'homme perd de sa vitalité. Est-il tombé dans un piège maléfique ? L'étranger rappelle La maison au bord du monde de Hodgson. Un homme désemparé, enfermé dans une maison qui lui semble inconnue. À travers les fenêtres, il aperçoit des choses monstrueuses qui rôdent. Que lui arrive-t-il ? Manquant de vivres, il se décide à sortir et à affronter les périls du dehors.
Conte de poivrot possède une vitalité humoristique digne d'un Brown en grande forme. Un ivrogne raconte une anecdote à un journaliste. C'est un chat qui a sauvé le monde d'une invasion extra-terrestre ! Ce chat méfiant dans un coin du bar que le journaliste évite de caresser. Les souris de l'espace de la planète Sakil ont failli nous exterminer tout de même ! Et on poursuit dans le même ton cynique avec Le grand tirage. Dans l'indifférence générale, Pluton et Saturne disparaissent. Puis Mars et Vénus tandis que l'espace est bombardé d'ondes électromagnétiques. Un message extra-terrestre est décrypté et la panique et l'irrationalité dominent la Terre. C'est une fin glaçante et drôle. Du grand art !
Nous poursuivons dans la SF avec Les successeurs : un dormeur en hibernation depuis 2000 ans qui se réveille et sort de sa capsule. L'air est enfin respirable. Depuis les guerres entre continents, la terre a été dévastée. Comment sera ce nouveau monde ? Et surtout, comment cet intrus sera-t-il accueilli ? Et... par qui ? Chute très originale à la Matheson. Et nous terminons ce fabuleux recueil avec Les quatre saisons de l'apocalypse, petit post-apo empreint de mélancolie et de nostalgie. De plus, ça se termine en Bretagne, près de Carnac. Petite cerise sur le gâteau : dix questions posées à Serge Rollet pour évoquer ses influences, sa manière d'aborder la littérature fantastique et les nouvelles, ce qu'il pense de l'édition et parler de son parcours atypique. Vous l'aurez compris, Serge Rollet est un homme charmant, cultivé, roublard, fidèle et un incroyable conteur dans tous les domaines. Avec lui, vous aurez la certitude de passer un excellent moment de lecture, d'être surpris par le remaniement de thèmes éculés et cent fois parodiés, de vivre des hommages vibrants à des auteurs cultes. Rollet, c'est le bien.
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