Contes de la Vodka - Pascal malosse
Le premier texte que j'ai lu de Pascal Malosse est Ligne de Flottaison, que l'on peut trouver dans la septième anthologie annuelle de Malpertuis. Style riche et évocateur, amenant dans l'esprit du lecteur des suites d'images troubles, à la limite du vertigineux. Je m'en souviens encore, car même si ce texte n'a pas été mon favori du lot, il m'a marqué par sa plume autant que son étrangeté.
Quelques mois ont passé et j'ai recroisé la route de Pascal, lorsque celui-ci est venu s'inscrire sur l’Écritoire des Ombres. À l'occasion de l'un des concours du forum, il proposa un autre texte, tout aussi immersif : Le Rêve du Botaniste. Là encore, j'ai pu vérifier la qualité de sa prose, autant que sa facilité à brosser des atmosphères étranges et fascinantes. C'est après cette lecture que j'ai décidé de me procurer son recueil Contes de la Vodka, publié chez Malpertuis (décidément éditeur de goût).
Je le dis sans ambages : cet ouvrage fut l'une de mes lectures préférées de l'année 2019. Au point qu’il serait difficile d'énumérer toutes ses qualités ou le foisonnement d'approches de son auteur multi-facettes. Ici, il questionne notre héritage vis-à-vis des tragédies de l'Histoire récente (ou leurs singulières répercussions), là il nous montre l'absurdité de l'administration relative aux frontières présentes et passées, transformant en fantômes ceux qui ont le malheur de s'y perdre. Parfois, c'est le destin d'une nation qui se dessine à travers les charmes de gravures de mode. Chaque nouvelle est un univers, chacune avec son approche propre, ses règles, et autant de genres abordés. Car si l'on range volontiers Pascal Malosse dans la catégorie Fantastique (au sens large), il emprunte aussi bien au genre Noir, à l'Horreur psychologique ou de façon plus générale, à L’Étrange – dans le sens le plus noble et classique du terme (Maupassant et Gautier ne sont parfois pas loin).
Plus notable encore, j'ai adoré cette façon de jongler avec les thèmes et les affres de la psyché humaine, plutôt que de jouer sur des effets de manche faciles, comme il en est souvent la norme. Au contraire, bien que vifs dans leur rythme, les textes de Pascal Malosse prennent leur temps pour dérouler leurs atmosphères ou leur propos, avec une constante qualité d'écriture et une évidence qui pourrait être l'une de ses marques de fabrique. Une certaine tendance à l'absurde et au surréalisme colore aussi ses récits, laissant souvent au lecteur le soin d'y composer ses propres toiles ou d'y trouver un sens. Les réponses se trouvent souvent hors-cadre ou dans des débordements nous renvoyant in fine le reflet de nos sociétés modernes, à la vulgarité bête et obscène, tristement banale.
Ce que nous entrevoyons au fond du verre de vodka n'est que le miroir de nos propres pulsions et des troubles inconscients qui animent le cadavre d'une bête déjà à moitié morte. Ce n’est sûrement pas pour rien qu'une bonne partie des protagonistes de ces contes ont déjà un pied dans la tombe ou se laissent dévorer par la folie d'un monde qui ne sait plus de quel côté se casser la gueule. Le choix d'ancrer ces récits dans les anciens pays du bloc soviétique est d'autant plus pertinent qu'il renvoie à des notions de communautarisme exacerbé ou à des fantômes politiques continuant de hanter l'âme de ces peuples. Les obsessions paranoïaques, les traumas générationnels et autres questions identitaires trouvent ainsi un écrin parfait pour se déployer, dessinant des visions dérangeantes dans un panorama urbain gris et délavé, à l'image des monuments oubliés de l'Union.
Si je pourrais citer chacune des nouvelles présentes au sommaire pour souligner chacune de leurs qualités stylistiques ou thématiques, j'ai eu un coup de cœur pour certaines d'entre elles, comme Refus, ouvrant idéalement le bal dans une bizarrerie à l'arrière-goût amer ou la féroce Sortie d'Usine, pointant du doigt les dérives d'un modèle social amenant les rescapés du navire dans leur ultimes retranchements – parachevant encore une fois le propos dans une surenchère absurde et cruelle à la fois. Particulièrement jubilatoire ! J'ai tout autant été séduit par L'Immeuble Qui Voit, changeant un peu de registre pour déshabiller nos pulsions voyeuristes, mais tout aussi réussie que le reste, avec encore une fois cette plume élégante, qui sait comment choisir son rythme et ses mots pour nous immerger au mieux dans le tableau. De tableau, il en est aussi question dans l'excellente Nuits des Toiles, qui sur un thème assez classique dans le Fantastique, n'en trouve pas le moins le moyen de nous surprendre, tout en finesse.
Mais comme dit précédemment, je pourrais citer tous les textes, tant les idées et les différentes grilles de lectures y foisonnent, nous incitant à les lire et à les relire pour en relever toutes les petites subtilités. Et en définitive, c'est cette subtilité, cet art de la nuance, qui confère une si grande force à la plume de l'auteur : même en traitant un sujet de façon frontale, il laisse toujours la place au doute, comme s'il y avait à chaque fois plusieurs manières d'aborder le même texte. Ou d'y greffer nos propres questionnements. En cela, Pascal Malosse est un auteur averti et accompli, qui sait faire naître de sa prose un large éventail de possibilités, en très peu de mots. La marque d'un véritable talent.
Si la question se posait donc encore à la suite de cette chronique, n'en doutez pas : Les Contes de la Vodka est une petite merveille, un diamant finalement ciselé qui scintillera d'autant de teintes différentes que l'éclairage choisi voudra lui en donner. En ce qui me concerne, c'est une très belle découverte et je ne saurais trop vous en recommander la lecture ! (d'autant plus qu'après avoir rencontré l’auteur, je peux vous assurer qu’il est aussi talentueux qu'avenant : un vrai plaisir).
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