Ceux qui grattent la terre - Patrick Éris

Publié le par Lester

 

 

 

 

« Ceux qui grattent la terre », de Patrick Éris,

 

Séma éditions, collection « Effroi »

 

 

 

 

 

Quand il n'écrit pas, et sous un autre nom, Patrick Éris exerce l'activité de traducteur, et il a, entre autres, contribué à faire découvrir au public français l'excellent Graham Masterton, dont je suis un inconditionnel. Rien que pour ça, il a déjà droit à toute ma considération. Mais, je l'avoue à ma grande honte, je ne connaissais pas encore la qualité de sa plume, qu'il prouve avec ce petit roman aux éditions Séma.

 

Un roman qu'il dédie au grand Serge Brussolo, un autre écrivain planant très haut dans mon panthéon personnel, et qui présente tous les ingrédients d'un excellent livre fantastique, dans la lignée des meilleurs « Angoisse ». Nous suivons donc le récit à la première personne de la vie d'une jeune chômeuse venant de trouver un emploi de rêve : secrétaire particulière d'un auteur à succès spécialisé dans le paranormal. Celui-ci se révèle être une sorte d'ermite vivant reclus dans un immense appartement parisien, au milieu d'une documentation gigantesque lui servant à rédiger ses livres à succès. Paraplégique et ombrageux, cet Allemand d'origine s'avère au fil des semaines un mentor et un soutien pour la jeune Karin, à qui il confie la gestion de sa vie quotidienne en échange du gîte et du couvert, en plus d'un salaire qu'elle n'espérait plus.

 

Mais, bien sûr, l'étrange ne tarde pas à s'immiscer dans ce bonheur fragile, sous la forme de grattements lancinants dans la cave de l'immeuble, et d'un homme noir fantomatique qui s'acharne sur les occupants de l'édifice. Pour fuir cette menace, la secrétaire et l'« énigmologue »s'exilent dans un manoir des Vosges, loin de Paris et de ses mystères immémoriaux. C'est alors que commence une terrible descente aux enfers pour Karin, qui la conduira à une cascade de révélations stupéfiantes en compagnie de son employeur au passé bien trouble...

 

Traduire des romans fantastiques mène-t-il à une osmose avec leurs auteurs ? En tout cas, il m'a semblé que Patrick Éris s'est imprégné de certaines des qualités des meilleurs d'entre eux pour transcrire l'atmosphère oppressante qui baigne tout le roman. À l'instar de Masterton, il excelle à pulvériser notre incrédulité à l'aide de descriptions vivantes, ancrées dans le réel, et surtout de personnages attachants, même et surtout dans leurs petits défauts. La psychologie de Karin, en particulier, traumatisée par son passé de chômeuse, hantée par l'échec et par l'éventualité d'une rechute dans l'exclusion sociale, contribue à nous identifier avec elle, et donc à trembler à mesure qu'elle bascule dans le surnaturel. Patrick Éris invoque aussi le plus grand des auteurs fantastiques, Lovecraft en personne, par le biais d'allusions et d'incursions dans les « Hautes Terres du Rêve ». L'homme noir semble un avatar du terrible Nyarlathotep, et des titres du Reclus de Providence sont semés au détour de certaines pages, comme des points de repère pour guider le lecteur « par-delà le mur du sommeil ».

 

Comme chez Graham Masterton, le style du récit est simple, direct et tranchant, mais non sans une certaine ironie. Cet humour discret se montre aussi avec l'évocation d'un personnage secondaire que beaucoup sauront reconnaître, un érudit gastronome et accumulateur gourmand de « documentation » surnommé « le Cardinal » qui fait une brève apparition sous forme de clin d’œil amical.

 

Enfin, j'ai particulièrement apprécié la volonté de situer l'action en France, d'abord dans un Paris imprégné de légendes encore prégnantes, puis dans une région méconnue et sauvage, les Vosges, qui a aussi inspiré Abraham Merrit autrefois. Voilà qui nous change d'un grand nombre de productions fantastiques se croyant obligées de placer leur récit aux États-Unis, et qui prouve qu'on peut écrire une bonne histoire sans devoir la localiser à Nouille-Orque, Scie-à-tôle ou Los-en-gelée...

 

Alors, si vous voulez frissonner, si la galopade des rats dans les murs vous évoque parfois le crissement d'ongles sur la pierre, n'hésitez plus et partez à la recherche de « Ceux qui grattent la terre » en compagnie de Patrick Éris...

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