La peau sur les os - Richard Bachman
Pour ceux qui l'ignoreraient encore, Richard Bachman est le pseudonyme du stakhanoviste des meilleures ventes de livres fantastiques, l'homme qui pond des pavés plus vite qu'un soixante-huitard peut en lancer, le chouchou des cinéastes, j'ai nommé Stephen King.
Je peux sembler assez critique à première vue, voire vachard envers l'écrivain du Maine, mais en réalité je professe une grande admiration pour le métier et la carrière du Monsieur. J'ai beaucoup aimé ses premiers romans, « Carrie » et « Shining » en particulier, et la première partie de « Ça », avant que le bouquin ne se perde dans le délayage et un final assez grotesque. Et puis les livres du King ont grossi, grossi, comme si son écriture souffrait d'obésité maladive, et je me suis éloigné de cet auteur après que « Sac d'Os » ou « Dreamcatcher » me sont tombés des mains.
Bref, pour paraphraser Anatole France : « La vie est trop courte, et Stephen King est trop long ».
On retrouve dans « La peau sur les os » la manière et le style de King sous cette couverture blanche estampillée « Suspense », aux éditions Albin-Michel, mais qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit bien là d'un roman fantastique, avec une bonne histoire de malédiction, et la quête effrénée du héros pour la combattre.
L'argument de départ reste donc assez mince : un avocat à qui tout réussit souffre de ce qu'on nomme pudiquement « une surcharge pondérale ». Malgré tout, il mène une existence confortable dans une bourgade pimpante, antre de la classe moyenne supérieure yankee. On y joue au golf, on se pique le nez avec distinction, et on fréquente l'élite locale : le chef de la police, le juge, le médecin mondain et cocaïnomane... Sauf qu'un grain de sable vient gripper la belle mécanique : des Gitans arrivent en ville, et notre avocat écrase par accident une Tzigane âgée qui traversait la rue. Il faut dire que le malheureux se sentait un peu distrait, car sa femme s'affairait à lui administrer une caresse érotique manuelle alors qu'il conduisait (1).
Notre héros se sent tout triste d'avoir écrabouillé une vieille dame, mais il redoute aussi les conséquences sur sa carrière. Par chance, le shérif le connaît bien, et passe l'éponge sur les circonstances du drame en bâclant l'enquête. De même, le juge du coin se montre plein de mansuétude pour son concitoyen et accessoire partenaire de bamboche, et celui-ci se retrouve libre, sans même une remontrance.
Et c'est à ce moment que le patriarche de la troupe de nomades, un vieillard très inquiétant, jette un sort à notre avocat. Ce dernier commence alors à maigrir, jusqu'à devenir l'ombre de lui-même, passant progressivement du quintal et demi à une publicité vivante pour « Comme j'aime », avant de ressembler à un rescapé des Camps. Le reste du récit narre une course endiablée pour retrouver le vieux sorcier, et tenter de le convaincre de retirer le maléfice amaigrissant.
Voilà un argument pour une nouvelle un peu longue, mais pas de quoi en faire un roman. Cependant, tout l'art de Stephen King consiste à étirer le sujet sur deux-cent-cinquante pages, en continuant à capter l'attention du lecteur. On suit donc les épreuves de notre ex-obèse avec intérêt : ses efforts pour ne pas passer pour dément quand il tente de convaincre son entourage que son problème est dû à une malédiction. Ses démêlés tragi-comiques avec les médecins, son parcours à la poursuite des Gitans le long de la côte du Maine, son alliance surprenante avec un ancien client mafieux, le tout décrit dans les moindres détails, amènent l'histoire aux proportions d'un gros volume comme ceux qu'apprécient les fans du King.
Il ne s'agit pas là de digressions inutiles, cette fois : cette errance et cette accumulation d'anecdotes se révèlent prétextes à des réflexions sur les travers de la bonne société WASP, où la petite bourgeoisie s'avère moins digne qu'un truand, et où le fameux « mode de vie américain » se voit passé au crible d'une critique impitoyable. Avec ce roman considéré comme « mineur » dans l’œuvre de Bachman-King, on peut en fait déceler tout ce qui rend cet auteur à la fois talentueux et agaçant : lorsque l'hypertrophie dont souffrent ses livres sert une démonstration on ne peut s'empêcher de l'admirer, mais quand elle masque un manque de souffle ou d'inspiration, on en vient à souhaiter, là aussi, un sérieux régime amaigrissant !
(1) circonlocution la plus élégante que j'ai trouvée pour évoquer une branlette furtive.
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