Images de la fin du Monde - Christophe Siébert
Chroniques de Mertvecgorod, de Christophe Siébert
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur cet ouvrage, alors je ferai comme son auteur et irai au plus court : Images de la Fin du Monde bute.
Il bute, dans un premier temps car son écriture est brute, diablement concise et ne prend pas de pincettes pour retourner son lecteur comme un gant. Mais il est aussi d'une puissance rare car s'exprimant de façon plurielle et non-linéaire, autant par son découpage que ses différentes sources. Christophe Siébert semble ici prendre un malin plaisir à envoyer valser les conventions et les codes romanesques habituels, au gré de ses fantaisies les plus extrêmes et barrées. Et si vous êtes pas contents, c'est du pareil au même !
Rien de plus chiant que d'aller d'un point A à un point B en se faisant tenir par la main et ça, l'auteur de ce réjouissant bordel (dés)organisé l'a parfaitement assimilé. Le gars en a rien à foutre et cette liberté de ton comme de forme s'avère des plus réjouissantes. De fait, on trouve dans ces Chroniques des extraits divers, des instants de narration pure et factuelle, des témoignages de victimes, des coupures de journaux, mais aussi des chapitres exposant différents points de vue, sans suivi chronologique d'un chapitre à l'autre. Passer de l'un à l'autre relève presque de la roulette russe, tant on ne sait jamais à quoi s'attendre (et personnellement, j'adore être surpris de la sorte). La forme est donc complètement déconstruite, mais pourtant, d'une redoutable précision, tous les protagonistes et événements se recoupant autour de la géographie malade, hallucinée et fangeuse de Mertvecgorod.
Et c'est là l'une des autres grandes forces de l'ouvrage : la ville tentaculaire est un personnage à part entière, tout s'articule autour d'elle et de ses ombres scabreuses, ses artères crasseuses, ses clubs clandestins, ses décharges toxiques et l'absence totale de moralité qui y règne. De quelle façon elle influe sur le destin de ses résidents, les concasse, les broie ou défragmente leurs rêves au gré de ses nauséeuses émanations. À ce titre, la mégalopole fictive est à la fois le cœur de l'ouvrage et son plus grand mystère, car il se redessine à chaque intervention par le constant changement de focale ou de point de vue que les personnages y poseront.
À nous de nous démerder avec tout ça et d'y trouver un sens, mais la cartographie de cette cité bubonique est en même temps d'une grande acuité, nous permettant sans mal de nous imprégner de ses miasmes purulents. Le fait d'y avoir adjoint des annexes explicatives en fin de volume renforce encore cette immersion au sein de la cauchemardesque mégapole, qui en fait ainsi le centre névralgique de tout le(s) récit(s), de toutes les âmes perdues que nous y croiserons. Ceci dit, pour cheminer le long ces allées putrides, il faudra avoir l'estomac bien accroché, tant toutes les pires ignominies imaginables y sont possibles.
Et autour de ce menu déjà des plus copieux, l'auteur réussit encore à broder quelques enluminures Fantastiques ou bien complètement what the fuck – gare aux perfusions d'IA chez les drones, la descente risque d'être difficile ! – qui donnent une incroyable valeur ajoutée à un ensemble déjà bien riche et un brin taré, il faut bien l'avouer.
Avec le recul, je ne saurais pas trop dire ce que j'ai préféré dans ces Chroniques aussi crasseuses et décapantes qu'acérées dans le regard qu'elles portent sur la déliquescence de nos sociétés : sa folie communicative ou le fait qu'elle ne soit qu'un simple copié/collé légèrement exacerbé de nos grands centres urbains ? Mais ce qui est sûr, c'est qu'encore une fois le père Siébert m'a troué le bide en me donnant une mortelle envie de reviens-y.
Dans tous les cas, une lecture de « mauvais genre » des plus recommandables, pour qui aime se faire bousculer dans ses petites habitudes.
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