Vers le pays rouge - Justine Niogret
/image%2F0760971%2F20211229%2Fob_d1c3ac_rouge.jpg)
Artikel Unbekannt écrit en préambule à propos de ces textes qu'ils sont « viscéraux, indomptables et inclassables » et je ne peux qu'abonder en son sens. Il y a quelque chose de vrai et de brut qui s'imprime en profondeur lorsque nous les lisons et reste longtemps en mémoire. Plus loin, le même préfacier mentionne « une œuvre qui se trouverait quelque part entre le cri primal et le silence de fin du monde » et encore une fois, je ne pourrais lui donner tort (ce qui est bien avec les introductions comme celle-ci, c'est qu'on a juste besoin de citer et de dire « tout pareil » sans avoir à se fouler...). Mais bien sûr, ce ne serait pas rendre justice à l'auteure et je vais m'empresser de dire pourquoi.
La première grande qualité de Justine Niogret est de ne pas ancrer ses récits dans une époque trop définie, de façon à laisser toute latitude à l'imaginaire pour s'y développer et y créer sa propre histoire (ce que, en tant que lecteur, je trouve plus qu'appréciable). Si Artikel Unbekannt évoque une Fantasy « symbolique », pour ma part je parlerais plus de Merveilleux au sens très large, avec une part de mysticisme et de drame intime, mais finalement peu importent les genres et les étiquettes, tant les textes proposés nous emportent, que ce soit aux côtés d'une fée aquatique lasse du mensonge des hommes ou d'une jeune fille au bout du monde dialoguant avec son dragon de compagnie. La variété des cadres, des personnages et des lieux est également à mentionner ; il y a toujours quelque chose à retirer de ces récits, dans l'inventivité, le contexte, l'intelligence du discours ou le ton choisi. Certes, la plupart de ces textes ne respirent pas la gaieté, certes, mais plutôt que d'y voir d'impénétrables chapes obscures, je préfère y trouver une démarche cathartique. Les affres de l'humanité y sont montrées sans complaisance, mais derrière la veulerie, l'égoïsme, la cruauté, la lâcheté ordinaire, on sent avant tout une volonté de dépasser ces misérables sentiments pour y recomposer une toile multiforme, intimiste et fédératrice à la fois. C'est du moins ainsi que je l'ai ressenti.
Quant à la plume, comme mentionné plus haut, elle dégage quelque de chose de brut qui s'imprime durablement en nous. Les mots de Justine nous prennent à la gorge et nous clouent à la page, sans chercher à faire dans le « beau » (même s'ils amènent naturellement l'émotion sans forcer) ou à user d'artifices éculés derrière lesquels se cacher. Ici, tout est juste, file droit au but et on passe souvent d'un extrême à l'autre, tout en restant scotché par l'épure maîtrisée de la plume. Parfois, une petite touche d'humour délicieusement noire ou complètement barrée – comme dans La Hamarsheimt, en Presque Pareil – vient également rehausser une palette stylistique déjà riche et surprenante.
D'habitude, j'aime bien faire le menu détaillé des nouvelles que j'ai aimées, de celles qui m'ont le moins plu ou de mes quelques coups de cœur, mais pour ce recueil je serais bien en peine de dégager un texte de l'autre, tant j'ai adoré tout ce que j'ai lu, en trouvant à chaque fois une pertinence aussi bien dans le propos que la forme. Pour moi, tout se valait et il m'est souvent arrivé de fermer le livre pour réfléchir quelques minutes à ce que je venais de lire, avec cette impression de m'être fait secouer dans une lessiveuse garnie de shrapnel. Sauf que parfois le shrapnel s'amalgamait en grosses masses ouateuses pour venir m'étreindre chaleureusement.
Difficile de poser des mots sur les sentiments qui nous traversent après une telle lecture, mais il est certain que la Dame Niogret possède un talent rare et d'autant plus précieux. Ceci dit, si je dois tout de même noter un ou deux textes qui m'ont laissé une empreinte plus vivace que d'autres, je pourrais citer Je t'humilierai pour n'avoir plus à t'humilier, quelque part entre Dark Fantasy et loi du Talion, Derrière cet Horizon, simplement magistral et dont le propos sur les tourments de l'amour toxique répond à celui de l'objet à chérir, obsessionnel et compulsif, au menu du final Le Souvenir de la Langue, qui m'a laissé quelque part entre les larmes et un grand vide intérieur dont je ne sais toujours quoi penser...
Et je m'arrêterai là, sinon je pourrais citer chaque nouvelle en trouvant pour chacune des grilles de lectures passionnantes et multiples (et je suis certain d'ailleurs d'en avoir raté un paquet). Toujours est-il que j'ai passé un moment très fort en lisant ce recueil – ayant mis plusieurs semaines à le digérer et tenter de trouver les mots justes à poser sur ceux de l'auteure. J'ai en tous cas vogué vers ce pays rouge et bien que le voyage ait été tumultueux et que je n'en sois pas ressorti complètement indemne, j'en garderai des souvenirs et impressions indélébiles... Que rajouter de plus ? Merci Justine, tout simplement.
Commenter cet article