Dimension révolte des Machines
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Un cadeau tombé des cieux, doublé d'une jolie dédicace. Sans préjuger en rien de ses qualités, je n'attendais pas grand-chose de ce recueil, étant donné qu'il ne figurait pas sur ma liste d'achats prévus. Mais puisqu'on me l'a gracieusement offert, ça a été une double bonne surprise.
Les auteurs ici présents ont tous une plume solide et un regard bien personnel sur le thème.
Cela étant dit, on peut diviser ces textes en deux catégories : ceux dont le postulat de base ou annoncé embrasse complètement le thème, sans dévier beaucoup de celui-ci. Et puis il y a ceux dont l'approche est plus insidieuse, passant par des chemins de traverse pour rejoindre le thème sans y plonger frontalement. Ma préférence est donc allée vers ceux-ci pour la majeure partie, car les auteurs ayant choisi de traiter la question de cette façon ont tous su trouver une idée, un ton particulier ou des effets de plume surprenants pour déjouer les attentes.
Je citerai par exemple le très sympathique Regurgitation de Patrick S. Vast, cristallisant toutes les angoisses et appréhensions liées aux machines à travers un petit objet de prime abord anodin. J'ai adoré également Des Amis Fidèles de Jean-Pierre Andrevon, qui commence par l'infiniment petit pour nous amener progressivement à hauteur d'homme, en nous montrant au passage tous les rouages de la machinerie d'asservissement robotique, à travers des portraits humains peu flatteurs. Très bon texte ! Sans Âme de JB Leblanc, lui, choisit plutôt d'une idée de base délirante, avant de bifurquer peu à peu vers une voie post-apo plus balisée, en nous dévoilant au passage (et avec une étonnante concision) toutes les étapes de cette dégringolade de la civilisation. Plus classique dans l'approche, mais éminemment efficace.
L'Amour de l'Autre de Jean-Louis Trudel et Instinct Maternel de Sophie Dabat, nous offrent leur vision de la question sous les traits de machines à l'instinct maternel exacerbé, qui à force de vouloir nous protéger de nous-même, finissent par tomber dans l'excès inverse. Deux points de vue différents (l'un véritablement glaçant voire dérangeant, l'autre plus corrosif dans son humour noir) mais tout à fait complémentaires. Avec Résurgence de Léo Lallot, on prend le parti de revisiter nos lointains ancêtres et leurs proches cousins pour mieux raconter la prise de conscience des machines, dans un cadre SF original et plutôt bien amené. Illumination de Barnett Chevin rend de son côté un délicieux hommage à Blade Runner et aux zones claires-obscures séparant l'homme de son pendant robotique. Mais au final, qui est le plus dérangé, qui est le plus « humain » ?
Je ne me bornerai pas à énumérer les qualités de chacun de 20 textes proposés ici, mais tous portent leur note d'intention, ou un univers particulier proposant quelque chose de stimulant sur un thème a priori vu et revu des centaines de fois. Je me contenterai de terminer ce petit passage en revue en évoquant simplement mes coups de cœur de l'anthologie : L'amour de l'Autre, déjà cité (mais qui continue à me laisser une impression forte), Trabant Mater de Bruno Pochesci, qui sous couvert d'un bug informatique d'ampleur mondiale, en profite pour nous dresser un joli portrait humain en revenant sur le passé récent de l’Allemagne et d'un modèle socialiste raté, d'où s'échappe néanmoins une forme de mélancolie nostalgique. Last but not least, une proposition éclatante et parfaitement réussie avec La Pieuvre de Tepthida Hay, petite merveille Steampunk incongrue au milieu de tous ces délires SF et/ou anticipatoires, qui va droit au but tout en nous décrivant un monde à deux doigts du nôtre, noyé sous les vapeurs industrielles ou les souterrains angoissants de nos villes-monstres, prêtes à nous dévorer au moindre écart : du grand art !
Un petit mot, pour finir, à propos d’une auteure que j'apprécie particulièrement : Marie Latour. J'ai beaucoup aimé son récit Robots or Not Robots, avec son majordome robotique exaspérant, son humour à froid et sa lente progression vers la révolte tant attendue, s'intercalant au sein d'une scène de dialogue étirée sur quasiment toute la longueur du texte. Plus que la thématique ou l'approche générale, c'est ici la construction même qui est brillante. Deux vitesses différentes ; un dialogue occultant les grondements muets d'une prise de pouvoir progressive, comme si tout se jouait dans le silence entre les mots, les uns se nourrissant des autres. C'est très bien pensé et si à première vue ce texte n'est pas le plus notable, il révèle en seconde lecture une construction intelligente et un point de vue très personnel sur la question. Chapeau bas, madame Latour !
En définitive, une très bonne lecture, qui entre deux récits plus frontaux, nous fait réfléchir sur les mécanismes menant à l'inexorable déshumanisation de la société, que ce soit par l'assistanat des machines ou simplement par la nature autodestructrice de l'homme. Heureusement, quelques notes d'espoir nous rassurent : si c'est bien de nous que viendra la fin, on peut aussi embellir ce qui reste, dans l'attente du tombeau collectif. Et qu'importe que ce dernier soit scellé par un double de nous-même aux articulations d'acier – au moins ce qui viendra après ne pourra pas être pire. Une excellente anthologie, donc, que je recommande à tous les curieux ou aux amoureux de Rivière Blanche !
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