Ténèbres 2016
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Encore une très belle collection de récits pour cette fournée 2016 ! Je ne rentrerai pas dans le détail de chaque nouvelle, certaines m'ayant marqué, d'autres moins, mais le niveau général est excellent et j'en garde une nouvelle fois une très bonne impression. Comme souvent, ce ne sont pas les textes les plus bruts de décoffrage qui m'ont séduit, mais plutôt ceux qui se tenaient à la lisière des genres, empruntant des chemins de traverse sinueux.
Les Hommes Fardés, par exemple de Ralph Robert Moore, revisitant de façon totalement inattendue la figure du clown. Le très sympathique Le Bouquiniste de Fabienne Noce, qui après m'avoir fait penser au ténébreux Bazaar de Stephen King dans un premier temps, dévie ensuite dans une autre direction assez surprenante et cruelle. Je pourrais parler également de l'insolite Le Propre de la Vengeance (très bon jeu de mots, au passage) d'Anthony Holay, qui s'amuse à retourner la banalité du quotidien contre son personnage, d'une façon assez sadique et réjouissante.
Mais j'ai surtout eu le coup de cœur (comme dans l'édition 2015) pour une poignée de textes franchement géniaux, chacun à leur manière :
Les Quatre Ombres, de Terry Dowling : Une plongée immersive dans des ténèbres rarement explorées, quelque part entre métaphysique de la nuit (ainsi que son lot d'aberrations) et une forme d'horreur psychologique, bien qu'assez abstraite, offrant différentes gammes de nuances dans le spectre de la folie meurtrière. Un fond de fantastique feutré et prégnant enrobe élégamment le récit pour nous offrir un texte de haute volée, à l'atmosphère stylisée et très réussie.
Sauver La Face, de Gabrielle Faust : Une belle revisite du vampirisme moderne, empruntant plusieurs voies différentes pour brosser des portraits cruels et amers de créatures perdues dans l'éternité de leurs tourments. C'est assez bien tourné et viscéral à la fois et si je dois dire que je n'ai jamais été fan des suceurs de sang, ce récit m'a néanmoins plus qu'agréablement surpris et il ne m'aurait pas dérangé d'en lire un peu plus, pour le coup. Très belle plume, en tous cas.
L'Abondance du Mont Chary, de Jeffrey Ford : Ici, nous sommes face à une espèce de conte déglingué où les codes du genre sont pervertis par des adultes manipulateurs, pervers ou complètement détraqués, tandis que l'on y croise des cochons fumeurs de cigare. Ça part un peu dans tous les sens par moments, tout en restant très cohérent sur le fond et le suivi des personnages. Quelques gros éclats de violence en creux, par moments, comme pour nous rappeler la vilaine réalité du monde dans lequel évoluent les protagonistes. La plume est assurée et assume le caractère par moments complètement surréaliste de son récit, quelque part entre Hansel & Gretel, Barbe Bleue et un Stephen King halluciné ayant trop abusé de mauvaise bière. Le ton de ce texte et ses différents niveaux de lecture m'ont en tous cas fait grande impression !
Le Sacre des Innocents, de Robert Shearman : Où comment faire dévier un récit de « découverte » (une jeune institutrice arrive dans une école, au milieu d'un patelin inconnu et isolé) jusqu'à une horreur cruelle et nébuleuse à souhait. On ne saura jamais trop le pourquoi du comment, mais l'intérêt est ailleurs : la force du non-dit et d'une plume toute en finesse, creusant d'épaisses zones d'ombres au sein d'un tableau à la luminosité factice. Les personnages paraissent refermer en eux des gouffres insondables de noirceur auxquels ils tentent de donner l'aspect de la « normalité »... sans jamais trop y parvenir. Avant que l'ensemble ne s'écroule à la façon d'une mauvaise plaisanterie sanglante, aux tenants et aboutissants aussi cryptiques qu'appréciables. Là encore, c'est plus le travail de plume qui m'a séduit, mais quelle plume !
Terminus, Tout le Monde Descend, de Ray Cluley : En parlant de plume... celle-ci s'avère particulièrement maîtrisée, stylée et pourvoyeuse d'atmosphères, nous projetant dans un univers où les monstres et créatures se tapissent sous des dehors de civilité et où l'obscurité se décalque sur de nouvelles obscurités, chaque strate renfermant en elle plus de questions que de réponses. Mais l'auteur, très fort pour suggérer, sait aussi brosser des portraits humains égarés au milieu des carrefours et des doutes de leurs propres existences. Ou peut-être y parle-t-on du renoncement, sur un fond de mélancolie sourde et contemporaine, rappelant certains grands auteurs américains (Bradbury est d’ailleurs cité à plusieurs reprises, le style de l'auteur collant parfaitement au climat suggéré). L'approche du fantastique m'a par moments rappelé l'univers d'un Barker en moins sanglant et pervers, mais dont l’inventivité permet aussi la création d'un monde miniature très riche en peu de pages. Une magnifique perle noire irisée de dégradés crépusculaires accompagnant les pas d'un Van Helsing des temps modernes s'avançant vers sa dernière nuit, en compagnie de ses démons... Un véritable délice.
Une mention particulière aussi pour le Aïda de Marie Latour, petite fable psychologique retorse où l'on peine à distinguer clairement les contours de la réalité et du fantasme et à Réponse à Tout de Hervé Bosser, qui s'amuse à transformer son gamin en demi-dieu de la connaissance, pour finir sur une note bien glaçante et horrifique.
Concernant les autres textes, je les ai appréciés pour la plupart, certains me laissant plus sur ma faim que d'autres, mais dans l'ensemble je me suis éclaté aussi bien à lire qu'à découvrir tous ces auteurs talentueux aux plumes très diversifiées. Peut-être les « jeunes auteurs » français m'ont-ils moins scotché ici que dans le précédent recueil ; peut-être l'approche du fantastique et de l'horreur se montre-t-elle pour certains plus classique ou davantage travaillée sur la forme pure que dans la création d'univers oniriques auxquels je suis sans doute plus sensible. Fantastique US ou Européen ? Y-a-il vraiment deux écoles différentes ? Je ne sais pas, mais c'est une idée qui m'a traversé la tête en refermant cette anthologie...
Dans un cas comme dans l'autre, j'ai pris bien du plaisir à dévorer cette cuvée 2016, qui m'a offert quelques merveilles et démontre encore une fois le label qualité accompagnant les publications Dreampress – du moins en ce qui concerne Ténèbres, pour parler de ce que je connais.
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