Près de l'os

Publié le par Zaroff

 

 

 

 

 

 

Dans sa préface, Artikel Unbekannt rappelle la difficulté à écrire une micronouvelle. Comme il l'énonce si justement, « plus le format du texte est resserré, moins il pardonne ». En effet, tenir une intrigue complète en deux pages signifie que l'auteur doit être pragmatique sans occulter la fantaisie qui l'anime. Trois écrivains de renom sont selon moi les maîtres en la matière : Richard Matheson, Fredric Brown et le trop méconnu Marcel Béalu. Brown m'a subjugué par l'efficacité incroyable dont souvent un seul mot encensait la conclusion et faussait la première idée du lecteur. Le concept de la short-story est donc mis en avant dans ce recueil grâce à onze auteurs et trente-deux courts récits poncés jusqu'à l'os.

 

Henri Bé, cofondateur de l'Écritoire des Ombres et nouvelliste accompli, navigue dans les eaux troubles de l'inconscient teinté de surnaturel comme Marc Agapit. Ses personnages se battent contre un reflet, bourreaux tourmentés de l'Inquisition ou simples terreurs nocturnes d'un enfant. Destins tragiques où l'homme lutte contre lui-même.

 

Changement de ton avec Catherine Robert, la créatrice de Greta chez Trash, deux romans et quatre anthologies chez Rivière Blanche et d'autres récits dans Violences et Malpertuis. Autant dire que cette femme évolue dans l'horreur depuis des années avec aisance. Les méfaits de Catherine sont durs, effroyables et fatalistes. À l'image de cet homme violé et pourchassé par une bande et des chiens hargneux. Ou encore par cette scène de cul sauvage qui se termine mal. Et c'est sans compter la phobie d'un homme dont la moindre sortie le terrorise. Textes intimistes où nous entrons dans l'esprit torturé du personnage central. Un peu à la manière d'un Robert Bloch au meilleur de sa forme !

 

Ah qu'il est délicieux de poursuivre avec mon ami Serge Rollet (dont je partage l'incongruité du téléphone portable). Homme bon, généreux, cultivé. Son écriture est rare à mon plus grand regret. Ses œuvres sont toujours fouillées, soignées et de grande qualité. Auteur de deux mémorables recueils dans la collection Noire de Rivière Blanche, le bougre se fait attendre pour sortir le prochain ouvrage malgré nos larmes, pleurs déchirants et baise de pieds. Mystérieux tueur agissant durant une canicule, phobie des chats, vision d'un échiquier par les protagonistes en place, évaluation d'une planète inexplorée et la capture d'un singulier cobaye. Trois récits très différents et qui prouvent que l'imagination de Serge est infinie.

 

Ky', la reine du Cosplay et adepte de Stephen King, est une jeune femme charmante et adorable. Mais ne vous fiez jamais à sa frimousse innocente. Son âme sombre prend parfois le dessus dans d'autres publications. Conte d'Alice revisité sauce slasher, automutilation, dîner aux chandelles qui vire au cauchemar. Ky' est une mante religieuse et sa prose nous fait craindre le pire à chaque fois.

 

Steve Martins (alias Tak du collectif ZLLT) est également un auteur régulier dans diverses anthologies. Il tâte différents univers en fonction de ses inspirations morbides. Personnages troubles dans un corps étranger, ambiance à la Seven avec ce « gros porc » qu'on force à bouffer, aire d'autoroute plongée sous un soleil post-apocalyptique. Steve est un fan de Stephen King depuis toujours et ça se sent dans son troisième récit. Et, qui sait, Gilles Thomas est sans doute dans les parages !

 

Jean-Marc Lofficier, le grand patron de Rivière Blanche, nous fait l'honneur d'intégrer ce présent recueil avec deux textes « aussi ramassés qu'épouvantables »  selon Artikel. Les deux histoires sont puissantes et d'une grande force évocatrice en peu de lignes. Famille monstrueuse et schizophrénie sont au programme. Comme si Bernie Wrightson croisait Gudule.

 

Les familiers de Rivière Blanche, des artistes Fous Associés ou encore Malpertuis connaissent Marie Latour et ses textes tourmentés. Robots et race éteinte, homme confondu avec un zombie, suppliciée et bourreau. Récits au vocabulaire riche et parfaitement ordonné. Style enrichi au service d'une intrigue presque romanesque dans l'effroi.

 

Cancereugène est un auteur aux multiples facettes. Il apparaît dans de nombreuses publications, anthologies, fanzines, revues avec des histoires inclassables tant les domaines explorés sont diversifiés. Relation sodomite très gore, joies de la plage et du farniente dans un monde éteint, fantôme contemplant son propre accident... récits de haute volée assurément.

 

Malgré son jeune âge, Sarah Buschmann a déjà l'étoffe d'une autrice de la noirceur où l'horreur et la sorcellerie se percutent souvent dans des histoires incisives et angoissantes. Culte du corps parfait, terreur d'un enfant dans un monde mourant, couleurs d'un passé incestueux. Avec Sarah, les tourments de l'enfance sont exacerbés avec minutie.

 

Avec votre serviteur Zaroff, vous découvrirez trois récits qu'un Guy Kermen ne renierait pas. Phobie de la page blanche, affres de la maladie aux relents prémonitoires et la Covid en 2050. Sur ce coup, je suis fier d'avoir été visionnaire. Mon variant Omicron ne devait être qu'en quinzième position selon l'alphabet grec. Hélas, en ce mois de novembre 2021, ils est déjà parmi nous. Pas encore dans nos régions mais ça ne saurait tarder ! Croisons les doigts pour que nous ne subissions pas le même sort de l'humanité que je décris dans mon récit.

 

Nous arrivons à la fin de ce recueil avec une dernière autrice que je respecte beaucoup. Aussi discrète que Serge Rollet, cette femme a un énorme potentiel et il me tarde de lire son prochain méfait victorien qui sortira en 2022 selon les dires de certains informateurs bien avisés. Dola Rosselet m'avait marqué avec son recueil « De chair et d'encre » par sa composition remarquable. Avortements illicites dans une France rurale après la Grande Guerre, hommage à la Joconde et extinction des feux. Quelle maîtrise dans ces textes hors du commun. C'est au lecteur de faire son propre travail d'assimilation pour en extraire tout le suc. De quoi conclure ce recueil avec apothéose.

 

Je me suis régalé à la lecture de ce petit livre au contenu puissant. Merveilleuse idée d'Artikel d'avoir donné vie à ces micronouvelles pour le plaisir de chacun. J'espère que cette expérience sera renouvelée une prochaine fois car j'ai eu la jouissance d'y participer, de contempler la créativité de mes partenaires et, enfin, de constater que l'imaginaire francophone est loin de s'éteindre avec les nouvelles générations à venir. Pour terminer, je tiens à dire que trois histoires m'ont bluffé malgré leurs différences de ton et d'approche. « Papa » de Jean-Marc Lofficier, « Corpore sano » de Steve Martins et « Le mardi, à l'infini » de Dola Rosselet. Trio de chœur et de cœur. Merci à tous pour ce beau moment de partage en votre compagnie. J'en garderai un souvenir ému. Artikel, tu as eu le nez fin. Comme toujours...

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