Petits contes macabres - Gérald Duchemin

Publié le par Léonox

 

 

 

 

Mors ultima ratio : Petits contes macabres, de Gérald Duchemin.

 

 

 

Comme un avant-goût d’automne… Hors-saison voire hors du temps, voici une lecture que je ne saurais trop conseiller à tous les amateurs de littérature originale et raffinée. En tout cas, ceux qui ne prisent que modérément les tics, codes, normes et autres figures imposées du fantastique « moderne » devraient retrouver en ces pages une subtilité très « fin de siècle » (en l’occurrence le 19ème) propre à certains auteurs sulfureux. Le catalogue du Chat Rouge, courageux éditeur indépendant de ces Petits contes macabres, annonce d’ailleurs fièrement la couleur, puisqu’il comprend deux ouvrages du grand auteur décadent que fut Jean Lorrain…

 

Cela étant posé, si ce parrainage indirect et prestigieux suggère une filiation en forme de cadavre exquis, il serait regrettable de céder à la tentation de l’étiquette. En effet, Gérald Duchemin est un auteur contemporain qui, tout en évoluant dans un registre assez typé, sait s’affranchir de ses influences probables grâce à des partis pris et inspirations bien personnels.

 

Motus, le texte ouvrant le présent recueil, est par exemple une pure nouvelle d’épouvante, au style à la fois direct et classique et à la construction redoutable. L’histoire de ce petit garçon sur lequel plane l’ombre d’un « Autre » indéterminé nous renvoie ainsi à nos propres frayeurs, instants terribles et délicieux où, après la découverte des premiers contes de Poe, nous retardions le plus possible le moment d’éteindre la lumière… Monsieur Carpetto est un récit plus inclassable, qui peut rappeler le « gore culinaire » de La grande bouffe. Autant dire que cette journée dans la vie d’un ogre s’apprécie mieux le ventre vide…

 

Quant à la nouvelle Petits contes macabres qui donne son titre à l’ouvrage, il s’agit d’un mélange d’aphorismes et de faits divers, sinistre et cynique collection d’historiettes à chute où l’horriblement drôle le dispute au drôlement horrible…Viennent ensuite deux morceaux de choix : le premier, intitulé Le bal des obsolètes, est une brillante variation sur le thème de la danse macabre dont le narrateur n’est autre… qu’une tombe ! Fantômes, squelettes, vampires, zombies, nul ne manque à l’appel, ni même « Le convive des dernières fêtes » cher à Villiers de l’Isle-Adam, invité de prestige présenté ici sous une forme pour le moins inattendue…

 

Un récit autrement plus étrange, Les têtes, creuse un sillon parallèle en abordant le thème de la vie après la mort de manière grotesque – une constante chez Duchemin – et cauchemardesque. Des anges déçus, des bébés morts et des vers à soie sur des têtes qui tombent : n’est-ce pas là un tableau irrésistible ? Un seul regret à propos de ce texte : il eût mérité de clôturer le recueil, car le Conte de la chouette aveugle qui le suit, bien que faisant montre d’une cruauté de bon aloi, n’en possède pas la richesse thématique et formelle.

 

Alors, « Arsenic et vieilles dentelles », les Petits contes macabres ? Oui et non, car s’il est vrai que cet ouvrage sent bon les fleurs fanées et les feuilles mortes… « C’est pour mieux te manger, mon enfant » ! Sous la plage les pavés, et sous les pavés… les cercueils. Ce qui implique ici Jean Lorrain ET Dead Can Dance, Edgar Poe ET Killing Joke. En termes clairs, si Gérald Duchemin est doté d’une plume délicate et ciselée, il sait également affûter cette arme quand le besoin s’en fait sentir pour construire un pont plus solide entre passé et présent. En résulte un cabinet de curiosités que les férus de littérature sombre et singulière auront sans nul doute grand plaisir à arpenter.

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