Monstrueuse féerie - Laurent Pépin

Publié le par Lester

 

 

 

 

 

Voilà un texte inclassable, différent, dont on ne sort pas intact. Et c'est tant mieux, tant je me sens parfois noyé sous des flots de propositions de lecture où le conformisme des idées (forcément à la mode !) le dispute à une langue peu maîtrisée. Avec cette « Monstrueuse féerie », j'ai ressenti l'impression d'émerger du marais. Enfin !

 

Il ne s'agit pas ici d'un récit de fantasy, même si on y croise des elfes. Même pas de « fantastique » au sens propre du terme, car on n'y retrouve aucun des classiques ingrédients du genre. C'est une longue nouvelle sur la folie, racontée par un dément, mais qui veut dire quelque chose. Exercice difficile que de vouloir se mettre dans la peau, ou plutôt dans le cerveau, de ce qu'il est convenu d'appeler un malade mental. Cela requiert de la connaissance (mais l'auteur en possède, puisqu'il exerce en hôpital psychiatrique), mais aussi et surtout cette touche spéciale qui permet d'aborder des sujets si délicats sans sombrer dans le rapport clinique ou dans le grotesque. Ce « toucher » si particulier, que j'appelle le style, Laurent Pépin le maîtrise, et il lui permet de nous choquer, de nous affliger, de nous écœurer, parfois, sans jamais tomber dans la facilité de la caricature déjà vue.

 

Le lecteur se voit donc entraîné dans le récit « de l'intérieur » d'une maladie mentale, d'une déchéance de l'esprit rationnel. La réalité du narrateur se tord, se distord et s'effiloche au fil de cette confession d'un barjot, et nous, ne disposant que d'un point de vue unique, nous retrouvons bientôt embarqué dans une glissade vers la folie. Mais attention ! On ne se situe pas là en face d'un simple délire, d'une accumulation d'absurdités. L'histoire, ou plutôt le conte, est structuré, agencé de façon à faire coller tous les éléments ensemble selon une logique rigoureuse, si l'on en admet les prémisses. Ici réside tout le talent de Laurent Pépin, dans cette manière de nous présenter l'irrationnel sur un ton relativement raisonnable, ce qui nous amène tout doucement à nous demander quelles sont les limites de la santé mentale, et, par conséquent, où se trouve la frontière qui nous sépare de la dinguerie absolue. Lire cette histoire, ce témoignage, se révèle une expérience traumatisante parfois, et on peut comprendre que certains n'adhèrent pas à la forme employée, cependant j'ai aussi ressenti ce texte comme une preuve qu'il reste possible de sortir des sentiers battus en proposant une offre différente de ce qui se publie d'habitude.

 

Enfin, cette longue nouvelle est également une histoire d'amour, fou, bien entendu. D'abord l'amour jamais partagé pour des parents destructeurs de leur enfant, pour cette famille dysfonctionnelle qui restera la seule référence pour le narrateur. Mais aussi l'amour existant entre le personnage principal et celle qu'il a baptisée « son elfe », et qui essaiera de le sauver malgré lui.

 

« Monstrueuse Féerie » ne se résume pas, ne se raconte pas, c'est un de ces récits qui provoquent un choc, de nombreuses interrogations sur la nature de la folie et du réel, c'est une expérience à lire, et à vivre.

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