Trouble passager - David Coulon
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L’ombre et la proie : Trouble passager, de David Coulon.
J’ai déjà évoqué David Coulon à deux reprises dans les colonnes de La Tête En Noir. Mais c’était en 2014 et 2015, afin de présenter ses deux premiers romans, Dernière fenêtre sur l’aurore et Le village des ténèbres. Il était donc grand temps de revenir sur le cas du gaillard. D’autant que le cas en question s’est aggravé de façon spectaculaire avec ce très sulfureux Trouble passager, fraîchement paru dans la collection « Angoisse » de l’éditeur French Pulp.
Le troublé s’appelle Rémi Hutchinson, écrivain de son état. Enfin, écrivain… Il est l’auteur d’un roman, un bouquin d’horreur intitulé L’invasion des crapauds des profondeurs. Il a bien un autre livre en cours de rédaction, mais… il peine à le terminer. Il faut dire que Rémi a des circonstances atténuantes. En effet, sa fille a disparu cinq ans plus tôt. Elle a été enlevée. Depuis lors, le couple que l’auteur forme avec Lucie ne tient plus guère qu’à un fil. Un fil si ténu qu’il pourrait bien se briser à cause d’une trop jeune femme prénommée Sofia…
Sofia, dix-sept ans, qui lors d’un cocktail ennuyeux se présente à l’auteur comme une de ses fans. Qui l’invite à la retrouver sur un site hébergeant un jeu interactif. Rémi hésite. Puis cède. Après tout, une simple conversation virtuelle n’engage à rien. Mais à l’issue de ladite conversation, il reçoit un message privé émanant d’une certaine Monica. Monica, quinze ans, prétend savoir ce qu’il est venu chercher et se propose « de lui offrir ». Rémi hésite. Puis cède. Sans se douter qu’il met ainsi le doigt dans le plus terrifiant des engrenages.
« L’innocence elle-même a parfois besoin d’un masque », prévient une phrase de Thomas Fuller placée en avant-propos du roman. Toute la question est de savoir qui est innocent… Quant aux masques, il en est beaucoup question dans Trouble passager (tout comme dans Lumpen, du même auteur). Et il est encore plus question de savoir quels visages ils dissimulent. Qui est cet homme au masque bleu, dont le souvenir hante les nuits de Rémi ? Et qui conduisait la voiture bleue dans laquelle sa fille Mélissa est montée le jour de sa disparition ?
David Coulon sème le vent et le lecteur récoltera la tempête. Mais autant Trouble passager est clairement un Thriller, autant l’auteur n’est pas là pour jouer avec nos nerfs – même s’il est très doué pour ça et même si ça l’amuse certainement. S’il y a du suspense, c’est pour entretenir la paranoïa. (Méfiez-vous des apparences. Ne faites confiance à personne). S’il y a de la torture et du voyeurisme, c’est pour mieux interroger la notion de culpabilité et notre rapport à la violence. (Vous auriez fait quoi à sa place ? Vous êtes qui pour juger ?)
Mais le pire est peut-être qu’entre la proie et le prédateur subsiste toujours l’ombre d’un doute… Le pire ? Voire. Car David Coulon ose l’impensable dans un chapitre final justement intitulé « Expiation », qui vient achever son lecteur par un retournement de situation terrassant. C’est moi la gentille. Quatre mots qui changent tout. Qui non seulement forcent à reconsidérer toute l’histoire, mais brouillent – voire annulent – la frontière entre le bien et le mal. Alors on repense au début du roman. « Tout le monde est innocent. Pas de coupables… Pas de gentils et de méchants. Seulement des victimes et des bourreaux. » C’est moi la gentille. Non, vraiment, Trouble passager est un titre qui ne convient pas. Sauf si on le considère comme un euphémisme ironique. Car je suis certain que ce roman laissera des traces. Du genre indélébiles.
Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 199, juillet / août 2019.
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