Entretien avec Philippe Ward

Publié le par Lester

 

 

 

 

 

Comuna 13 est ton dernier roman. Parle-nous de la Colombie, et de ce qui a suscité l'envie d'y situer l'action ?  Et pourquoi ce choix de l'autoédition, alors que beaucoup d'éditeurs t'auraient accueilli avec plaisir, je pense ?  

 

Je n’avais pas prévu d’aller en Colombie. En 2019, j’avais prévu un séjour en Chine, mais bon, il y avait les événements de Hong Kong (c’était avant la covid) donc j’ai abandonné cette idée, mais j’avais envie de voyager. Alors le fils de nos amis qui habite la Colombie nous a proposé de nous faire découvrir le pays. En 2015 nous avions fait le Pérou, alors je me suis dit pourquoi pas la Colombie. Nous sommes partis en février pour un séjour de trois semaines. Et là j’ai découvert un pays, sa culture, ses femmes et ses hommes, de superbes paysages, même si nous n’avons pas pu aller partout, car il reste des zones à risques. Mais pendant trois semaines nous nous sommes régalés, y compris avec la cuisine, les cigares et le rhum. J’ai adoré une ville comme Medellin et sa fameuse Comuna 13. Nous sommes revenus en mars, un samedi et le mardi confinement total. Donc travail à la maison et là je me suis dit pourquoi ne pas profiter que tes souvenirs sont intacts pour écrire une histoire se déroulant en Colombie. Et j’ai donc écrit Comuna 13 pendant les deux mois du confinement. Et l’histoire se passe dans des régions que j’ai visitées, dans des restaurants où j’ai mangé, avec même des personnes que j’ai rencontrées. Voilà la genèse de ce roman. Après je n’ai pas voulu écrire un thriller, ni sur la guérilla, cela m’a semblé trop facile, alors je suis parti sur l’Eldorado, un mythe toujours vivace.

 

L’autoédition, j’ai proposé sans grande conviction ce roman à quelques éditeurs et puis je me suis dit, tu vas attendre pour avoir une réponse, et si jamais elle est positive, attendre 2022 car leur programme 2021 doit être complet. Donc le plus simple restait l’autoédition avec ses côtés négatifs, mais pour moi le positif était que je pouvais sortir ce livre rapidement et ensuite gérer le suivi, les ventes, la communication. Et de toute façon, avec ce roman je me fais plaisir, donc autant m’auto-éditer. Je ne cherche pas à gagner de l’argent.

 

 

 

 

 

 

Tu es le lauréat du prix Ayerdhal 2021, pour l'ensemble de ton œuvre et pour ta contribution immense aux genres qui nous concernent. Aboutissement, ou bien encouragement à en faire encore davantage ?

 

Sans hésiter aboutissement. Pourquoi, pour l’âge tout simplement. J’ai 62 ans, bientôt 63, je suis à la retraite depuis novembre 2020, j’ai envie de profiter de ces prochaines années. Après 15 ans de bons et loyaux services sur la Rivière Blanche, sans parler des années fanzines avant, j’ai apporté une très modeste contribution à l’imaginaire, maintenant je vais explorer d’autres univers (voir question suivante…). Bref pour moi ce prix est très important, d’abord plus que tout c’est le prix Ayerdhal : outre le fait que c’est un des plus grands auteurs français, c’est un Monsieur, un grand monsieur qui s’est toujours battu pour les auteurs, les littératures de l’imaginaire, une personne que je revoyais dans les salons avec grand plaisir. Donc ce prix est vraiment une reconnaissance pour moi et je le prends avec grand plaisir. Maintenant avec la covid je ne sais pas quand je pourrai le recevoir et remercier tout le monde.

 

 

Tu es un jeune retraité, le moment où les projets peuvent se réaliser enfin. Quels sont-ils ?

 

D’abord me reposer, profiter de la vie, me promener dans la montagne avec mon chien, regarder des séries, là je me fais tous les Star Trek, lire pour le plaisir, me plonger dans la civilisation inca et pré-incaïque, écouter de la musique, et même faire de la musique pour le plaisir. Concernant l’écriture, là aussi ce sera écrire pour le plaisir, je ne me fixe aucun but, j’ai des idées comme la suite de Comuna 13. Mais rien de sûr, tout dépendra de mon état d’esprit, je ne me fixe plus aucun but au niveau écriture, je prendrai comme cela vient. Donc je n’ai pas de véritables projets, je prends la vie comme elle vient. Mais j’aimerais continuer à voyager, aller en Chine par exemple, revenir au Pérou, et surtout revoir New York, mais là je ne maîtrise rien. Donc pour l’instant mon ambition est de profiter de la vie.

 

 

Parlons maintenant de ton écriture. Es-tu de ceux qui préparent des plans détaillés, des synopsis, des fiches, ou bien écris-tu plutôt au fil de la plume ?

 

Je n’ai pas de techniques particulières, tout dépend. Par exemple quand j’écris à quatre mains avec Sylvie Miller, là nous avons un scénario détaillé, des personnages précis, et on ne s’éloigne pas du fil de l’histoire. Pour des romans historiques, comme « Le Maître du Nil » par exemple, j’avais un plan détaillé, pour « Comuna 13 », là, j’ai écrit au fil de de la plume, comme cela me venait, j’avais les personnages dans la tête (ils ne sont pas nombreux), j’avais le but et surtout j’avais les paysages. Donc je n’ai pas écrit de synopsis avant, par contre plusieurs fois j’ai été obligé de reprendre mon récit car je me retrouvais dans une impasse, c’est pour cela que les scénarios sont très utiles, mais je suis un peu fainéant. Par contre je fais des recherches pour mes romans, aussi bien historiques que géographiques ou autres. J’ai besoin de connaître l’environnement. « Artahe », c’était mon village des Pyrénées, « Mascarade » et « Danse avec le taureau », le Pays Basque, la série « Lasser », l’Égypte, « Manhattan Marilyn », New York, « 13 rue du repos », le Père-Lachaise, « Meurtre à Aimé Giral » et « Dans l'antre des dragons », le rugby catalan. Je crois que je ne pourrais pas écrire du space opéra par exemple… Mais qui sait, avec l’âge et le temps ?

 

 

 

 

 

 

Et quel conseil donnerais-tu à un débutant ?

 

La question piège. J’en aurais plusieurs. D’abord écrire, écrire, écrire sans se poser de questions, surtout ne pas se demander est-ce que c’est bon ? Est-ce que c’est intéressant ? Là, l’auteur ne trouvera pas de réponse et tournera en rond, donc écrire, écrire. Aller jusqu’au bout de son texte. Et là ensuite va commencer le vrai travail, relire son texte, le corriger, travailler le style. Écrire, c’est de l’imagination et du travail. Mais quand on a écrit le mot fin, rien n’est fini, il reste le plus dur, le plus délicat, le plus angoissant, le plus déprimant : la recherche de l’éditeur. Là encore le conseil que je donnerais c’est d’envoyer son roman à des éditeurs qui publient ce genre de romans, par exemple si vous avez écrit un roman de SF, vous l’envoyez à des éditeurs qui publient de la SF, pas la peine de l’envoyer à tous les éditeurs, il faut cibler. Ensuite, il faut d’armer de patience et d’une armure. La patience pour attendre les réponses cela varie, trois mois, six mois un an… L’armure pour encaisser les réponses négatives avec une lettre très simple qui n’indique rien. Donc mes conseils : écrire et ne pas se décourager…

 

 

Maintenant, je m'adresse à l'éditeur : après 15 ans de bons et loyaux services, tu as pris l'an dernier du recul vis-à-vis de Rivière Blanche. Quel bilan tires-tu de cette expérience unique ?

 

Que du bonheur. D’abord avoir réalisé un de mes rêves, dirigé une collection, même si je ne me suis jamais considéré comme un éditeur, ni même comme un directeur de collection. Avoir la chance de publier ceux que j’aimais, c’était d’ailleurs ma devise : je publie ce que j’aime. Aussi bien des grands anciens comme les auteurs du Fleuve Noir, que de jeunes auteurs. Publier de la SF, du fantastique, de la fantasy, même du polar. Des anthologies, des recueils de nouvelles. Avoir une entière liberté pendant 15 ans, merci, et même un très grand merci à Jean-Marc Lofficier de m'avoir donné cette liberté. Avoir côtoyé des auteurs, des éditeurs, avoir pu aller dans de nombreux salons, discuter avec des dizaines de personnes, bref que du bonheur pendant 15 ans. Cela a dévoré une partie de ma vie, mais non rien de rien, je ne regrette rien, bien au contraire.

 

 

Quelle est ta vision de l'édition aujourd'hui, avec les nouveaux modèles qui arrivent ?

 

J’avais deux phrases fétiches :

 

Il existe plus d’auteurs que de lecteurs

Il est plus facile d’écrire un livre que de vendre un livre.

 

Avec l’impression à la demande, Amazon kindle, et autres sites pour vendre son livre, avec Paypal, Internet, n’importe qui peut vendre son livre, tout de suite ou presque sans passer par la case éditeur et par la case libraire. Est-ce une bonne chose, une mauvaise, je ne me prononcerai pas. J’ai aussi vu que les éditeurs étaient submergés par les manuscrits, et que des maisons d’édition fermaient les appels à manuscrits. Les ventes se maintiennent. Il existe toujours des éditeurs pour les littératures que j’aime. Je lis aussi bien en papier, qu’en numérique. Le livre a encore de beaux jours devant lui, pas des jours faciles, mais ils seront beaux.

 

 

Tu évolues dans différents styles : uchronie, aventure, polar, SF et fantastique, et j'en oublie sûrement. Peux-tu nous dire un mot sur tes influences, tes auteurs chouchous et ceux que tu relis sans cesse ?

 

Il y a trois livres que je lis et relis tous les deux ans environ :

 

« Manitou », de Graham Masterton. Masterton est pour moi le plus grand auteur de fantastique devant King et Lovecraft. Je suis un fan, un vrai, je pense avoir tout lu de lui (ou presque) et jamais je n’ai été déçu par un de ses romans. Maintenant que je suis à la retraite, je pense que je vais tous les relire.

 

« Plus noir que vous ne le pensez », de Jack Williamson. Pour moi il y a tout dans ce roman, l’archéologie, les sociétés secrètes, l’aventure, le mystère, la science-fiction, c’est chaque fois un régal.

 

« Armageddon Rag », de George R.R. Martin. Là c’est mon Top 1. Il y a la musique de ma jeunesse les années 60-70 et le fantastique. Bref c’est pour moi un chef-d’œuvre. Je le relis une fois par an en écoutant la musique de années 60-70.

 

Ensuite il y a bien entendu Lovecraft qui m’a accompagné pendant de très longues années avant de s’évanouir dans les brumes, je me dis qu’il faudrait que je m’y replonge. Alors peut-être qu’un jour.

Et puis pour remonter dans le temps, Henri Vernes avec Bob Morane… c’est lui qui m’a donné le goût de la lecture et l’envie d’écrire.

 

 

Le mois dernier, j'ai donné mon retour de lecture sur Comuna 13. À quand la suite ?

 

Mystère vu qu’il y la covid au Pérou et que nos héros sont confinés dans leur chambre…. Mais cela ne les empêche pas de chercher des indices pour partir à la recherche de Paititi. L’histoire tourne dans ma tête, mais j’aimerais revenir au Pérou pour l’écrire. Alors pour l’instant je me contente de lire des ouvrages sur les Incas.

 

 

C'est une tradition : la dernière question est une carte blanche. Alors, qu'aimerais-tu dire à nos lecteurs ?

 

Keep cool and read… Des Philippe Ward bien entendu.

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