Entretien avec Micky Papoz

Publié le par Léonox

 Bonjour Micky. Merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Pour commencer, j’ai eu envie de revenir aux sources de vos activités. À l’origine était me semble-t-il la structure éditoriale Terre Profonde et le fanzine Poivre Noir. Cette aventure a duré plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a amenée à l’interrompre ?

 

Mon ambition était celle de réussir à faire une Convention dans un petit village de moins de 1.000 habitants après avoir mené à bien quatre salons du livre, ce qui n’était pas de tout repos. Arriver à ce que cette Convention soit aussi réussie que celles où je m’étais rendue auparavant. Pas d’internet à l’époque. Toutes les lettres à la main et quelques coups de fil. J’ai eu 100 inscrits. C’était pas mal. Comme pour les salons, j’ai reçu quatre à cinq invités à la maison. Ce furent de joyeuses soirées devant la cheminée. En août 1991, pour cette 17ème Convention, j’ai perdu mon père d’une longue maladie juste une semaine avant le coup d’envoi. J’étais à bout de fatigue et de chagrin.

 

Ce qui ne m’a pas empêchée de surmonter cette tristesse grâce à l’ambiance amicale. Roland Wagner sautant sur une table, le micro à la main, lors du bal champêtre et faisant chuter des bouteilles de vin sur des bouquins, je crois que c’était Laurent Greusard qui s’échinait à les essuyer, si je ne me trompe pas, il y avait de quoi rire. Nous venions de manger l’aïoli. J’avais recruté un orchestre de pépés, soi-disant géniaux, en fait ils étaient complètement ivres à la fin du repas et incapables de jouer une note de juste. Je crois que le pire était l’accordéoniste. Roland m’a sauvé la mise en les prenant comme un chef d’orchestre en main et tout s’est bien passé.

 

Didier Cottier avait fait une exposition géniale de ses œuvres dans le centre culturel qui lui a valu les honneurs des responsables de la culture du Var. La coopérative avait sorti une cuvée spéciale Convention avec une étiquette dessinée par Francis Saint Martin. Chacun a fait sa provision selon ses moyens. Une bouteille était offerte à chaque inscrit. À cette occasion j’avais sorti des bulletins préparatoires avec l’aide d’Alain Grousset qui m’avait réalisé de superbes mises en page très professionnelles. La plupart des inscrits dormaient dans la grande maison qui allait devenir la nouvelle mairie. L’armée nous avait prêté en supplément des tentes et des lits de camps. J’avais acheté des affiches pour masquer la pauvreté des murs. Finalement ça s’est bien passé.

 

Alain Grousset a annoncé que deux ans plus tard il proposait Orléans pour organiser à son tour une Convention. Redu, c’était l’année suivante sous la houlette de Serge Delsemme. Donc, comme je l’avais décidé, ce fut le dernier numéro de Poivre Noir (30) et une ferme envie de continuer à écrire en devenant plus professionnelle.

 

 

 

 

 

Par la suite, vous avez été en contact avec Jean Rollin, à l’époque où il dirigeait la collection Frayeur pour le Fleuve Noir. Comment êtes-vous entrée en contact avec lui ? Jean avait retenu votre premier roman pour publication, et pré-validé le suivant sur synopsis. Mais ces deux livres (L’autre côté des miroirs et Teratos, en l’occurrence) ne sont finalement parus que bien des années après, chez Rivière Blanche. Que s’est-il passé ?

 

Lors d’un salon du livre à Paris j’ai rencontré Pierre Pelot, qui le lendemain m’a vue dans les bureaux du Fleuve Noir où je venais rencontrer les attachées de presse qui me fournissaient en livres pour mes critiques, et, pour plaisanter, il m’a lancé : « On ne voit plus que toi à Paris. » Il m’a présentée à Jean Rollin qui m’a invitée dans son bureau et offert pas mal de ses romans mettant les deux orphelines vampires en vedettes. Comme directeur de collection, il faisait passer ses connaissances en premier (il s’est publié quatre fois et je patientais). La collection s’est arrêtée au n°32. J’ai gardé mes deux romans sous le coude, étant pratiquement certaine qu’ils paraitraient un jour ou l’autre.

 

 

Vos deux romans suivants (en fait les deux premiers publiés) ont eux aussi connu une trajectoire éditoriale assez particulière. Il s’agit des Malfairies et de sa suite Comme une fleur sauvage. Pourriez-vous nous dire quelques mots à propos de ces deux livres ? Aimeriez-vous les voir réédités ?

 

En fait, Les Malfairies fut le premier publié, Comme une fleur sauvage est la préquelle, puisqu’il met en scène la descendante de ma première héroïne. Je vous signale qu’ils sont toujours en vente pour un unique euro au Foyer de Cachan, donc pourquoi les rééditer ? Bien que je regrette d’avoir fait mourir mon héroïne trop tôt dans le roman. Les Malfairies s’est vendu à 40.000 exemplaires et a rapporté plus de 100 millions d’anciens francs au Foyer de Cachan. Le second n’a fait que la moitié ou à peine, la couverture était affreuse, rien à voir avec celle de Gilles Francescano. Mais la directrice du foyer avait un ami illustrateur et l’a imposé. Pour Les Malfairies, je me suis documentée à la mairie de Correns et j’ai su ainsi qu’une ligne de train était prévue entre Draguignan et Brignoles et devait passer par Correns, mais j’ai inventé le nom du village, car parait-il qu’il y aurait eu une histoire un peu semblable à propos des terres briguées par des viticulteurs.

 

Toujours à propos des Malfairies, le livre avait participé au Grand Prix de l'Imaginaire lors de sa sortie. Les PTT pouvaient se permettre d'envoyer une dizaine d’exemplaires au jury (je ne sais plus exactement le nombre). C'est Daniel Walther qui m'a averti par courrier que je l'avais raté de deux voix. « Deux femmes, bien entendu. Les gonzesses, y a pas plus solidaires entre elles », a-t-il plaisanté. Mais il ne m'a pas donné de noms. Lui avait voté pour car il avait aimé ce roman et m'avait fait un bon article dans son journal quand je suis allée le signer avec René à Colmar.

 

J’ai passé presque deux ans sur chaque roman, tant il fallait de documentations en particulier historiques. Mon mari, René, m’emmenait le dimanche faire des repérages à Marseille et à Toulon pour Comme une fleur sauvage. Nous allions aussi visiter les musées.

 

 

 

 

 

 

Ensuite, vous continuez à écrire. Des nouvelles, principalement. Vous enchaînez les publications jusqu’en 1997. Puis vous disparaissez. Pendant quinze ans. Je ne veux à aucun prix me montrer indiscret, aussi me cantonnerai-je à l’aspect littéraire. Durant cette longue période, est-ce que vous continuez à écrire, ou estimez-vous que la page est tournée ?

 

À partir d’octobre 1997, j’ai continué à écrire, mais plus dans le même état d’esprit. Un drame était survenu. René est tombé du toit de la maison un jour de mistral et fut immédiatement dans un coma profond. Rien à cacher aux amis de la littérature. J’ai reçu des dizaines de lettres pour me soutenir dans cette épreuve. Impossible d’y répondre tant j’étais touchée. J’ai pris René à la maison au bout de trois mois, car on me proposait pour lui une maison dans les Hautes-Alpes pour comateux de longue durée. Et pour couronner le tout j’ai pris ma mère qui avait la maladie de Parkinson. Notre maison était devenue un hôpital avec dès le matin un défilé constant d’infirmières, de kinés, d’aides-soignantes, sans oublier le docteur plus les aides ménagères pour ma mère. J’ai dû faire faire des travaux pour réadapter les pièces et la terrasse à la mesure des besoins de mes deux handicapés. René est décédé au bout de douze ans, ma mère quatorze, elle refusait de se nourrir seule, elle souffrait sur la fin de démence sénile, ce fut très épuisant pour moi et question santé j’en subis les conséquences.

 

 

Votre grand retour a donc lieu en 2011, quand paraît Au seuil de l’enfer chez Rivière Blanche. Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce Philippe Ward qui est venu vous chercher ? Si oui, comment a-t-il procédé pour vous convaincre de sortir de votre « retraite » ?

 

Je ne sais plus comment cela s’est passé. Je crois que quelqu’un, sans doute un ami comme Claude Ecken m’a conseillé de tenter de les contacter. Tout de suite la relation est devenue amicale avec Philippe Ward.

 

 

 

 

 

 

 

 

Trois ans plus tard est publié À chacun son monstre, toujours chez Rivière Blanche. Ce livre contient une sélection de nouvelles, mais aussi un court roman intitulé Damnés. Quelle a été la genèse de cet ouvrage ? Damnés a-t-il été écrit à cette occasion, ou s’agissait-il d’un inédit qui attendait son heure depuis plusieurs années ?

 

En fait Damnés n’était alors qu’une courte nouvelle, mais comme j’étais allée avec mon mari en vacances en Bretagne, nous avons visité le château de Gilles de Rais et surtout parlé longuement avec le gardien qui était calé sur le sujet, j’ai eu envie de développer ce texte et d’en faire un roman à notre retour. Le gardien m’a dit qu’il possédait près de huit cents livres et documents sur le jeune maréchal qui avait tenté de délivrer Jeanne d’Arc. Il fêtait son anniversaire de mariage et nous a confié les clés. Lorsque nous sommes descendus dans la crypte où Gilles jetait ses petites victimes dans un puits très profond, il y a eu un formidable envol d’énormes chauves-souris au-dessus de ma tête et j’ai poussé un cri de frayeur, ce qui a fait rire René. Le gardien nous a dit qu’on lui volait souvent des ossements d’enfants pendant la nuit. Il pensait que c’était pour faire des rituels de magie noire par des satanistes.

 

 

En 2017 paraît votre troisième livre chez Rivière Blanche, Le cahier gainé de noir. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce roman n’est pas récent. Vous m’avez en effet confié que Jean Rollin l’avait lu. Pourriez-vous redire pour nos lecteurs ce qu’il en avait pensé ?

 

Jean Rollin m’avait refusé le synopsis du Cahier gainé de noir, le trouvant « dégoutant » je le cite. Alors que pour moi, c’est l’un de mes meilleurs. Je l’ai proposé à Philippe Ward qui l’a accepté immédiatement, loin d’être choqué par son ambiance plutôt glauque.

 

 

 

 

 

 

L’année suivante est publié Puntaterra. Un ouvrage surprenant, car pour la première fois – du moins dans le cadre d’un roman – vous quittez l’univers du Fantastique. Comment et pourquoi avez-vous été amenée à ce changement de registre ?

 

J’avais écrit une première version de Puntaterra destinée à la jeunesse plusieurs années auparavant. Je l’avais présenté pour le prix du ministère de la jeunesse et des sports et je n’ai eu que des compliments, mais le jury trouvait que c’était plutôt un roman pour adultes. Déçue, je l’ai mis dans un tiroir et l’ai oublié. Mais comme chez Rivière Blanche la SF était à l’honneur, je l’ai réécrit entièrement en accentuant le côté vraiment pour adultes.

 

 

Enfin, votre cinquième livre chez Rivière Blanche est disponible depuis peu. Il s’agit d’un recueil de nouvelles intitulé Que le diable les emporte ! À titre personnel, j’adore la forme courte, et je trouve que cet ouvrage est une excellente manière de découvrir votre (vos) univers. Mais les éditeurs prétendent que les recueils de nouvelles se vendent mal. À quoi attribuez-vous ce désamour ?

 

Je ne sais pas, car je vois que parmi les plus grands auteurs, ceux dont on parle dans le magazine Lire qui vient de fusionner avec Nouvelles littéraires, il y a nombre de recueils de nouvelles qui sortent chaque mois chez les plus grands éditeurs. À plusieurs reprises j’ai eu des prix pour des nouvelles lors de festivals comme à Sorgues, à Fayence et même à la Maison d’ailleurs en Suisse. Je n’ai jamais postulé pour d’autres prix de la nouvelle. D’avoir reçu à deux reprises le Prix Découverte me suffisait.

 

 

 

 

 

 

 

En conclusion, j’aimerais en savoir plus à propos de vos projets futurs. Je crois savoir que vous avez plusieurs nouvelles en chantier. Avez-vous aussi d’autres idées de romans ? Et reste-t-il dans vos archives des récits rares ou inédits que vous aimeriez à terme rassembler dans un nouveau recueil ?

 

J’ai une nouvelle en chantier et je dois trouver une autre idée de texte pour Martine Blond sur les Invasions Marines, essai signé par le regretté Jean-Pierre Laigle qui doit paraître chez Galaxies. Je suis de plus en plus lente pour écrire, toujours insatisfaite, à présent, je ne fais plus qu’une chose à la fois.

 

 

Encore merci pour cet entretien, Micky. Et au plaisir de vous relire, chez Rivière Blanche ou ailleurs…

 

C’est moi qui vous remercie, et en particulier pour la préface de mon recueil. J’ai une amie qui vient de l’acheter rien qu’après avoir lu la quatrième de couverture où vous parlez de moi avec enthousiasme, c’est vous dire. 

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