Violences VI

Publié le par Tak

 

 

 

 

 

 

 

Violences, tout est dans le titre : celle du quotidien, celle contenue dans nos rêves pervers ou nos réalités déviantes et fantasmées. La plupart des textes s'inscrivent dans une réalité dure et concrète, mais certains explorent des territoires plus surréalistes (à l'image du surprenant Performance Danse/Sac à Dos de Yoann Sarrat), d'autres nous prennent littéralement à la gorge et ne nous lâchent plus une fois qu'ils nous ont attrapés. D'autres encore s'inscrivent dans une démarche plus poétique, comme ceux de Fabien Drouet ou de Tina Hype, pointant du doigt les dysfonctionnements de nos existences ; litanies désabusées sur fond de quotidien vide de sens à force de se nourrir du grand rien de notre époque.

 

La violence elle est là, lorsque nous nous confrontons au voisin que nous haïssons tant, en ayant l'impression de regarder au fond du miroir. Ou le pauvre vieux d'en bas se faisant tabasser par les dealers du quartier, spectacle journalier de la haine et de la bêtise ordinaire. Des plumes acérées, mais aussi des crayons et des pinceaux, parfaitement en accord avec la matière crue, noire et sordide présentée ici. Chaque page est ainsi un plaisir renouvelé, chaque illustration dans un style bien différent, mais complétant parfaitement chaque texte. Bref, du bonheur pour les yeux !

 

Mes coups de cœur ? Comme dit plus haut, j'ai adoré le texte d'ouverture de Yoann Sarrat, mais aussi Nos Vies Dévient de Mathias Richard (le genre de texte court et hypnotique qui trotte en boucle dans la tête et que j'aurais aimé écrire). Je ne reviendrai pas sur tous, car la plupart ont un truc intéressant à proposer (que ce soit par une plume ou un discours). Komakino de Sébastien Gayraud, quant à lui, termine cette anthologie sur une note rouge et hallucinée, comme un mauvais rêve renvoyant au creuset de nos vies désincarnées, rongées progressivement par les fantômes de nos tourments intérieurs (superbe idée d'ailleurs de mettre en parallèle nos vies professionnelles et oniriques, comme si l'être humain n'était capable de rêver que de ce qu'il connaît, tel un automate sans imagination, piégé dans la routine creuse et mécanique de son quotidien).

 

Cela dit, d'autres méfaits sont également à signaler : Une histoire du parc Loubianov (tiré des Chroniques de Metvecgorod) de Christophe Siébert : probablement l'un de mes textes préférés, ancrant son récit dans un réalisme cru et sordide, de celui qu'on observe tous les jours sans pouvoir y faire grand-chose (voire même y participer implicitement, en assouvissant nos pulsions voyeuristes). Le genre de texte qu'on lit légèrement mal à l'aise, celui-ci nous rappelant nos pires travers, tout en y ajoutant un petit truc, une vivacité dans l'expression, dans l'observation brute de nos obsessions, comme si celles-ci se libéraient toutes seules sans pouvoir être refrénées. Il y a presque quelque de l'écriture automatique chez Siébert, tout en étant parfaitement maîtrisé et qui me parle énormément...

 

Un rire dans la Nuit de Sarah Buschmann : court et impactant, voilà le type de récit qui semble épouser complètement la ligne éditoriale de la revue. En tout cas, un texte à rendre jaloux, tant tout y parfaitement dosé et calibré. Une petite bombe efficace et malaisante, sur fond de violence urbaine ; voilà : Violences, pour ceux qui veulent savoir à quoi s'attendre, c'est ça !

 

Le Chant des Mygales de Schweinhund : belle surprise que ce petit inédit du chien-porc, tout en images cryptiques et horreurs surréalistes. Comme souvent avec cet auteur (ou du moins, cette partie du binôme fou qu'il forme avec Artikel Unbekannt), les clés ne nous sont pas données, c'est à nous d'y trouver un sens et une interprétation propre, mais c'est aussi la richesse même de ce genre de textes. C'est marrant, parce qu'après avoir lu Paranoïa du sieur Siébert il y a peu de temps, j'y ai retrouvé certaines choses qui me ramènent vers la folie rampante de ce roman. Le trip autour des insectes ? Peut-être... En tous cas, c'est encore là du très joli travail, énigmatique et dérangeant à la fois, qui laisse comme un drôle d'arrière-goût en bouche. Et au passage, j'adore l'illustration accompagnant le texte et que je trouve tout à fait à propos.

 

Je conclurai en mentionnant le très bon texte de la maîtresse de cérémonie Luna Beretta, allant de pair avec un édito qui met tout de suite dans le bain. C'est aussi noir que du charbon, mais ça a au moins le mérite d'afficher clairement la couleur. Et encore une fois, l'illustration ornant le texte est de toute beauté, du genre de celles qui nous fascinent et nous révulsent à la fois -- ce qui colle très bien, encore une fois, au propos général.

 

Au final, c'est un peu tout ça, Violences : le choc des mots et des images, un tourbillon de folie répondant aux maux de notre époque comme à ceux de nos inconscients. Je ne dirai pas que c'est une lecture toujours facile, loin de là, mais elle a le mérite de nous confronter à ce que nous cherchons à fuir un jour après l'autre, tout en sachant que c'est , tapi quelque part, dans la ruelle miteuse d'à-côté, ou dans la mélasse insalubre de notre cerveau. À nous d'avoir le courage d'y jeter un œil ou bien de continuer à l'ignorer, mais dans tous les cas, on ne pourra plus feindre de ne « pas savoir ». Merci donc aux talentueux auteurs réunis dans ces pages pour nous rappeler que la beauté peut toujours surnager au milieu de la fange. Une excellente lecture, donc !

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