Entretien avec Xavier Dollo / Thomas Geha
Actualité oblige, parle-nous de « L'Histoire de la SF en bande dessinée ». Quelle est sa genèse, et comment le public réagit-il ?
Sa genèse est simple. Je suis un passionné de SF depuis que j’ai douze ans. Je dirais que toute mon existence a tendu vers l’écriture de cette BD. J’ai l’impression que j’avais envie de la faire depuis ce temps-là, comme tous ceux qui m’avaient fait rêver. Je pense à Sadoul, Stan Barets, Pierre Versins. Ensuite, eh bien j’ai pu faire un test aux Humanos, qui recherchaient un scénariste pour une histoire de la SF. Il se trouve que je l’ai réussi et que ça m’a permis deux choses : accomplir un rêve et payer mon mariage. Pas mal, non ? Quant à ta deuxième question, à savoir comment réagit le public, j’ai désormais un peu de recul puisque l’album est paru en novembre dernier déjà ! Et je dois avouer que j’ai d’excellents retours du public. Beaucoup de messages privés sur mes réseaux sociaux, de personnes qui me disent qu’elles se sont remises à lire de la SF, ou qu’elles ont fait des piles, ou qu’elles ont acheté cinq exemplaires pour les offrir. Parfois je lis que l’ouvrage n’est pas si accessible que cela au grand public. Pourtant, les retours que j’ai semblent m’indiquer complètement le contraire. Du coup je suis ravi, l’album semble plaire au grand public tout comme aux spécialistes. Il y a bien quelques râleurs, mais même ceux-là sont rares. Je suis donc très heureux, je ne peux pas prétendre le contraire. Qui plus est, je me suis replongé dans l’écriture du scénario car la version américaine publiée en fin d’année doit comporter de nouvelles pages.
La scénarisation d'une BD est-elle une première pour toi ?
Oui. Enfin, j’avais déjà scénarisé quelques strips avec Eric Scala, « Les Zippoz », mais c’était plus un amusement avec un pote qu’un projet destiné à publication. Avec Éric, on avait songé adapter une de mes nouvelles, Sumus Vicinae, mais il a fait en tout et pour tout un seul dessin ! Un dessin magnifique d’ailleurs. Éric n’est tout simplement pas un auteur de BD, en revanche c’est un type extra et un artiste exceptionnel.
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Et cette expérience a-t-elle modifié ta façon d'écrire, ou ton rapport à l'écriture ?
Oui, je pense que cette expérience a modifié mon approche de l’écriture. J’ai été obligé de devenir beaucoup plus structurant que je ne le suis dans les faits. Je suis plus ce qu’on appelle un « jardinier ». Faire un essai un peu comme une fiction, c’était aussi le challenge. C’était sympa. Je n’ai pas totalement renoncé à mon côté jardinier dans cette BD car parfois j’ai renoncé à des procédés scénaristiques que j’avais établi pour les remplacer par d’autres, venus d’un coup, et plus funs. Comme le voyage en cabine du Dr. Who quand je traite de la SF anglaise. En quoi cette expérience influera sur mes romans ? Je n’en sais rien, je n’en ai pas écrit depuis. J’ai même l’impression, aujourd’hui – mais peut-être est-ce dû à un peu de lassitude – que celui que j’ai commencé pour Les Moutons Électriques sera parmi mes derniers. Si je peux (parce qu’il faut aussi remplir le frigo), je me focaliserai plus, désormais, sur des projets plus atypiques, faits de nouvelles et de BD, voire de poésie. Et même mes prochains romans seront plus expérimentaux. J’ai juste envie d’écrire ce qu’il me plaît d’écrire, sans que l’on m’impose quoi que ce soit. Si un éditeur veut publier mes trucs, tant mieux, si aucun ne veut, eh bien, tant pis.
Maintenant, on aimerait en savoir plus sur Thomas Geha. Ou Xavier Dollo. Comment a-t-il débuté sa carrière d'auteur ?
Tout dépend si par auteur on entend auteur publié. Sinon, j’ai envie de te répondre : en CM2 quand j’ai écrit mon premier poème… de SF. Bien sûr, ce n’est que l’interrupteur d’une envie qui va se développer par la suite, petit à petit. Par des poèmes, très nombreux, écrits sur des coins de table et des feuilles volantes, et des nouvelles maladroites proposées simplement à l’œil parental – enfin ma mère – dans un premier temps, puis, par la suite, à des fanzines. Comment j’ai découvert les fanzines reste assez légendaire à mon sens, car cela tient bien entendu à mes premières lectures de SF, toutes en poche, et globalement chez J’ai Lu. Cet éditeur était un des moins cher du marché, mes parents n’avaient pas une bourse bien garnie, donc le choix des livres, c’était avant tout les moins chers. J’ai Lu, c’était chouette. Je découpais les encadrés de numéros à la fin des volumes (tout comme pour obtenir les albums des images Poulain dans un autre style on découpait des points sur le papier des tablettes) et miracle, j’obtenais de magnifiques posters signés Michael Whelan ou Caza. À la fin des volumes, on trouvait également des publicités pour un truc étrange qui s’appelait le minitel. Il y avait un non moins étrange « 36 15 » à taper pour accéder à des pages fascinantes, sur lesquelles on pouvait aussi rencontrer des gens. Quand ce fameux engin est arrivé chez mes parents, je m’en suis emparé en douce, pour deux choses (et non, je ne suis jamais allé voir Ulla) : un 36 15 consacré à la poésie, dont j’ai oublié le nom, où je postais mes poèmes, et un autre, 36 15 CYB, consacré à la science-fiction. Il y avait une mine d’infos là-dessus, des pages théma, des articles, des jeux, et même un forum. Ça, je l’ai découvert assez tardivement. J’avais tout le temps un truc qui apparaissait en haut de mon écran, du genre « Artahe veut discuter », mais je ne voyais pas du tout ce que ça pouvait être. C’était en fait l’ancêtre des messages privés sur les réseaux sociaux et c’était un type étrange qui se cachait derrière le pseudo « Artahe ». Son vrai nom ? Philippe Laguerre. Son autre pseudo ? Philippe Ward. Le seul, l’unique, le vrai et en pixels des années 90. Bon, j’étais encore un poil ado, c’était en 1993 ou 1994, et j’allais sur le minitel dans le dos de mes parents qui ont, par ma faute, payé des notes de téléphone assez hallucinantes. Je m’en veux un peu sur le moment, je m’en veux bien plus aujourd’hui car mes parents n’étaient pas bien riches. Mais c’est comme ça que j’ai rencontré le Maître (qui était également présent sur d’autres serveurs minitel comme RTEL2 ou AKELA). C’est comme ça aussi qu’est né mon pseudo « Kanux ». Et c’est grâce aux discussions que j’ai pu avoir avec Philippe que j’ai pu découvrir mes premiers fanzines, les premiers qui m’ont publié comme Portique (en poésie) ou Dragon & Microchips (en nouvelles). Très vite, je suis devenu un assidu de ce dernier fanzine dirigé par Philippe Marlin (un autre Philippe important dans mon parcours), j’y ai publié des nouvelles, des poésies, quelques articles et faux articles, je crois. C’est dans ce fanzine que j’en ai découvert d’autres, grâce aux rubriques critiques, comme La Geste, OCTA, XUENSÉ, La Revue de L’imaginaire, Yellow Submarine (trop cher pour moi à l’époque), Mondes Parallèles et bien d’autres. Les fanzines restent mon école, ma principale zone d’apprentissage et de rencontres. Ils m’ont ouvert des mondes, et m’ont ouvert au monde. Sans eux, sans l’émulation que j’ai connue, je n’aurais certainement pas poussé dans cette voie. Voilà, ensuite c’est mon parcours à Rennes, mais c’est encore une autre vie.
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Et quel conseil donnerais-tu à un auteur débutant ?
Je n’aime pas donner de conseils et, même si j’aime réfléchir à ces questions, je n’ai pas l’impression de posséder l’ombre d’un seul conseil valable. À la limite, j’ai envie de dire, simplement, comme disait La Fontaine : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». Hormis la patience, de fait, j’ai beaucoup lu, et la lecture est ma principale source d’inspiration, quel que soit le genre. La pensée se nourrit des autres, de leurs propres approches du monde, de la façon dont ils structurent les choses, de la vie qu’ils mènent. C’est comme ça que j’aime alimenter ma propre pensée, j’aime contempler, m’imprégner, analyser ce qui m’a plu, m’a fait rêver ou réfléchir. Tout cela me permet d’apporter à ce que j’écris ma propre singularité. Peut-être que d’autres à leur tour, en lisant mes fictions, y trouveront matière à alimenter aussi leur pensée et écriront à leur tour. Qui sait ?
Une autre question que posent souvent les nombreux lecteurs de notre blog : tous les six, ils voudraient savoir comment tu procèdes. Écris-tu des synopsis détaillés, prépares-tu des plans, des listes de personnages, ou bien te laisses-tu aller au fil de la plume au gré de ton imagination ?
Non. Non. Non. Oui, mais pas entièrement. Les synopsis détaillés m’ennuient chez les autres, je ne vois pas pourquoi j’en ferais pour moi, ce serait du masochisme. Les plans, là encore c’est un peu pareil. Cela m’arrive de les schématiser, mais l’imagination est perverse et vient bien souvent les chambouler car de meilleures idées que les plans initiaux me viennent toujours pendant l’écriture. Les personnages, quant à eux, me viennent quasi instantanément car ils sont la base de mes récits. Je n’ai pas besoin de me les décrire, je sais déjà qui ils sont. Bon, après, parfois, il peut arriver que d’une page à l’autre un personnage blond devienne roux. Heureusement, il existe des relecteurs attentifs, genre, des éditeurs ! Toutefois, je précise que cela m’arrive de moins en moins, avec l’expérience. Ce n’est pas parce que je suis ce qu’on appelle un jardinier que mon jardin n’est pas bien rangé. Et d’ailleurs, pour qu’un jardin vive bien, il faut qu’il soit soigné et organisé. La structuration mentale du jardinier est différente de celle de « l’architecte ». Il faut juste découvrir comment on fonctionne, où sont les outils dont on a besoin pour entretenir le jardin. Et comme le jardinier fonctionne beaucoup à l’instinct, à l’intuition, il doit apprendre surtout à mieux s’écouter, et à mieux interagir avec les éléments de son jardin. Ce n’est pas facile, le processus d’acquisition de l’expérience est peut-être un poil plus lent que chez les architectes mais au final peu importe le flacon tant que l’on parvient à donner l’ivresse. Bref, tout cela pour dire, que les écrivains tels que moi apprennent à maîtriser leur environnement pour laisser la plume agir au gré de l’impulsion imaginative.
Maintenant que nous connaissons ton lourd passé, parlons un peu du futur. Quels sont tes projets d'écriture, tes projets de parution en cours, on veut tout savoir !
Pas grand-chose. J’aimerais écrire une nouvelle BD avec Djibril, une fiction cette fois. J’ai aussi quelques nouvelles à rendre depuis des plombes – la honte me submerge. J’ai une élégie de SF, finie, qui n’attend que son illustratrice. Toujours dans la poésie, va paraître en mars « Un univers piqueté de rouilles » dans la nouvelle mouture de la revue Fiction. C’est de la fiction/poésie spatiale. Je ne pense pas que ça plaira à tout le monde mais j’avoue adorer écrire ce genre de textes. Pour le reste, j’ai un roman en cours, qui n’avance pas bien vite car j’ai beaucoup de boulot avec la boite que je monte avec quelques associés, Argyll. Avec l’éditeur, nous avons évoqué une publication en 2022, ce qui me laisse le temps de l’écrire tranquillement. J’aimerais aussi écrire un fix-up de textes fantastiques qui se déroulent dans un village imaginaire des Côtes d’Armor. D’ailleurs, le premier d’entre eux, « Ana des chemins creux », a paru dans une anthologie des éditions Goater, Le Dragon Rouge. En fait, c’est surtout hors écriture que j’ai de gros projets, je dois bien l’admettre.
« A comme Alone », ton premier roman de SF est paru chez Rivière Blanche, un éditeur cher à notre cœur. Veux-tu raconter cette rencontre avec Philippe Ward ?
Paf. J’ai déjà tout raconté avant. Spoilers mes amours. Mais bon, pour A comme Alone, Philippe m’avait dit qu’il se lançait dans cette grande aventure avec Jean-Marc Lofficier et qu’il cherchait des romans type Fleuve Noir Anticipation. Il en voulait bien un de moi. Ni une ni deux, j’ai ressorti une nouvelle parue dans le fanzine rennais « Est-ce-F ? », l’ai remise sur l’établi, et l’ai transformée en roman. Bon, ça m’a pris un an et des brouettes. J’étais content, c’était mon premier roman publié. Depuis, il a fait du chemin, avec diverses rééditions. Et quelques ajouts de nouvelles et d’un roman, Alone contre Alone.
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Tu viens de lancer les éditions Argyll. Nous aimerions, ainsi qu'une foule de fans en délire, en savoir un peu plus sur le concept novateur qui a présidé à cette création ?
Argyll est une société (SAS, mais future SCIC) multitâches, en économie solidaire et sociale. En gros, on en avait un peu ras la croute du plan-plan de la vie et moi, en particulier, de mon plan-plan de vie de libraire qui voyait sa passion s’effriter chaque jour un peu plus. J’ai donc choisi d’arpenter de nouvelles voies, plus conformes avec ce que je souhaitais être. Et je ne le regrette pas un instant. Argyll, la maison d’édition, se veut au plus près de ses auteurs, avec un bon accompagnement, humain (à défaut de les rendre riches), qui n’est pas de la coercition, ou de l’anonymisation du travail de l’auteur. De ce fait, nous avons interrogé des auteurs, leur demandant ce qu’ils souhaitaient et ne souhaitaient pas dans leur contrat. Avec tous ces échanges, nous avons pu élaborer un autre type de contrat, beaucoup plus collaboratif, dans lequel les auteurs contrôlent de A à Z ce qu’ils cèdent à l’éditeur. Nous avons développé une vision éthique et écologique au maximum, qui s’intéresse notamment à l’accessibilité. Par exemple, pour le numérique : un des membres de l’équipe, Frédéric Hugot, est un spécialiste de la création d’ebooks. Il développe des epubs 3 dignes de ce nom, qui plus est compatibles avec toutes les liseuses. Sur l’accessibilité, il propose des formats numériques que peuvent « lire » les malvoyants, voire les non-voyants grâce à un système audio incorporé, ou encore les « dys ». Nous sommes diffusés et distribués par Harmonia Mundi, qui nous a totalement suivis sur ces questions éthiques. Super de travailler avec eux, dans une direction qui n’est pas « que » commerciale. Pour le reste, nous développons deux autres pôles, le premier sera une librairie qui ouvrira à Rennes en 2021, si tout va bien. Là encore, ce sera un endroit alternatif, une sorte de tiers lieu où pourront se rencontrer de nombreux acteurs du livre, au travers de rencontres, de dédicaces, mais aussi d’une collaboration sociétaire qui permettra de faire participer à la vie de la librairie toutes celles et ceux qui le souhaitent, le tout dans une dimension sociale que nous souhaitons aider à réinventer, comme commence déjà à le faire à Rennes une autre super librairie collaborative, L’établi des mots. Le troisième pôle sera un incubateur. Je ne donne pas trop de détails là-dessus, mais si je parlais d’une sorte de tiers-lieu pour acteurs du livre à Rennes, c’est bien là l’idée : faire travailler tout le monde ensemble, qu’ils soient auteurs, libraires, éditeurs, lecteurs, collectivités, etc. Nous avons plein d’idées, et comme nous sommes bien accompagnés dans cette création d’entreprise par l’incubateur rennais Tag35, nous sommes pleins de confiance. Il faut bien, en cette période où l’on fait tout pour nous l’enlever.
C'est maintenant la tradition : la dixième et dernière partie de mes entrevues est en forme de carte blanche (en grande partie parce que j'ai la flemme de concocter des questions). Que voudrais-tu dire à nos lecteurs ?
J’aimerais leur dire d’arrêter d’être six, ce chiffre me stresse.
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