Orages en terre de France - Michel Pagel

Publié le par Léonox

 

 

 

De beaux lendemains : Orages en terre de France, de Michel Pagel.

 

 

 

On ne présente plus Michel Pagel. Notamment connu – et reconnu – pour le fascinant cycle La comédie Inhumaine (huit romans et recueils de nouvelles rassemblés cette année en deux magnifiques omnibus par Les Moutons Électriques), l’homme est aussi l’auteur, dissimulé derrière le facétieux pseudonyme de Pierre-Alexis Orloff, du feuilleton Panthéra, initié il y a déjà dix ans chez Rivière Blanche (six titres parus à ce jour, série en cours).

 

Mais ces deux sagas, en dépit de leurs incontestables qualités respectives, ne doivent pas pour autant être l’arbre qui cache la forêt. Car la bibliographie de Michel Pagel, depuis ses débuts en 1984 au Fleuve Noir, n’a jamais cessé de s’étoffer et comprend de nombreux autres ouvrages tout aussi captivants. Comme justement ce Orages en terre de France, publié à l’origine dans la fameuse collection Anticipation en 1991 et réédité début 2020 chez Hélios.

 

Surprenant à plus d’un titre, ce roman se déroule à la fin du XXème siècle, dans le cadre d’un conflit opposant la France et l’Angleterre. Il s’agit par conséquent d’une uchronie. Mais une uchronie fortement imprégnée de Science-fiction et de Fantastique – voire d’Horreur… Un mélange détonnant, mais pas si étonnant dans le fond, tant Michel Pagel a souvent pris le parti, durant sa longue carrière, d’abolir les frontières entre les genres pour mieux servir ses récits.

 

Structuré en quatre chapitres distincts mais complémentaires, Orages en terre de France pourrait presque être qualifié de « fix-up ». Toutefois, si ces différentes parties s’apparentent a priori à des nouvelles agencées de façon à constituer un ensemble cohérent, elles ne sont pas vraiment indépendantes les unes des autres. En réalité, ces quatre histoires n’en forment qu’une : celle des deux pays en proie à une guerre de religion interminable.

 

Le texte initial, Ader, se déroule en 1991. Jehan, déprimé par ce conflit millénaire qui semble sans issue, décide de se rendre chez son ancien professeur Clément afin de se changer les idées. À cet instant, il ne se doute pas encore que cette visite de courtoisie va non seulement bouleverser sa vie, mais aussi celles de millions de personnes. En effet, Clément a développé un projet insensé, et son choix d’y associer son ancien élève s’avérera lourd de conséquences…

 

À première vue sans lien direct avec son prédécesseur, le deuxième chapitre, Bonsoir, maman, est le plus bref des quatre, mais aussi, sans doute, le plus émouvant. Michel Pagel y trace avec beaucoup de délicatesse le portrait d’une femme âgée et malade, qui craint de ne jamais voir ses petits-enfants. Car la guerre vorace continue à prélever ton tribut meurtrier, et si Paul fait son possible pour apaiser sa mère, il sait bien au fond de lui-même qu’elle a raison.

 

Ensuite, nouveau changement de décor et de point de vue avec Le templier, long récit qui permet à l’auteur de mettre l’accent sur l’implication de l’Église dans ce conflit sanglant. En haut lieu, on aimerait beaucoup utiliser la fameuse invention de Clément, améliorée depuis sa création par Jehan, mais le très médiatique et conservateur télévangéliste Frédéric d’Arles s’y oppose. Les arguments de la capiteuse Jeanne parviendront-ils à le faire changer d’avis ?

 

Dans la quatrième et dernière partie, L’inondation, l’intrigue a lieu en 1995. La situation générale ne s’est pas arrangée – au contraire. Plongés dans un bourbier effroyable, les protagonistes du récit se débattent comme ils peuvent pour survivre. Mais si Marc, Ian et Émilie optent chacun à leur manière pour une fuite en avant, c’est pour mieux foncer droit dans le mur. Une conclusion à la fois absurde et funeste, qui laisse un goût de cendres dans la bouche.

 

Orages en terre de France est donc un ouvrage très original et maîtrisé de bout en bout. Grâce à ces quatre tableaux complémentaires permettant de balayer tout le spectre d’un bien sombre théâtre des opérations, Michel Pagel livre une uchronie saisissante, à mi-chemin entre le fix-up et le roman choral. Notons enfin que même si ce livre oscille entre divers genres de l’imaginaire en ayant le goût exquis de ne jamais vraiment choisir son camp, son propos reste, près de trente ans après sa première publication, toujours autant d’actualité. Hélas…

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P
Je viens de le terminé et j'ai vraiment bien aimé les 4 petits tableaux que comporte le roman .. <br /> Merci pour cette chronique .
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L
Ravi que tu aies apprécié (le livre et la chronique). Merci Patrick. Un autre roman de Michel Pagel, très différent de celui-là, sera bientôt évoqué sur le blog... ;)