De chair et d'encre -Dola Rosselet
/image%2F0760971%2F20201119%2Fob_9e137c_chair.jpg)
J'ai longtemps hésité à écrire cette chronique, car j'avais peur de ne pas réussir à trouver les mots pour rendre justice à ce superbe recueil qui m'a laissé sans voix après lecture. Mais je vais quand même essayer, afin de rendre justice à l'auteure, dont je connaissais déjà certains des méfaits contenus en ces pages...
Ce qui m'a d'abord séduit dans De Chair et d'Encre, c'est le style à la fois épuré et très précis de l'auteure, qui en très peu de mots arrive à décrire des sentiments ou des émotions très complexes. Une plume riche ne signifie pas forcément multiplier les termes alambiqués ou les figures de styles sophistiquées ; cela peut aussi passer par une recherche sémantique adaptée et une inclinaison poétique qui fait sens avec le cœur des thèmes abordés. Ici, c'est doublement le cas, car la construction et la terminologie sont non seulement en accord parfait avec les sujets traités, mais elles leur donnent également, souvent, un double niveau de lecture qui apporte ainsi la richesse susmentionnée.
Exemple typique : Autopsie d'une Rencontre (pour n'en citer qu'un, cela pourrait être valable pour chacun des textes figurant au sommaire) s’apparente a priori aux mémoires d'un serial-killer révérant les corps inanimés de ses victimes. Peu à peu, on dérive vers une sorte de destin croisé entre la prochaine future victime et les souvenirs du tueur, mais la poésie mortifère s'invite en cours de route pour terminer enfin sur une magnifique image, tout aussi poétique, en forme d'étonnante parabole sur la survivance du beau au sein des ténèbres les plus opaques. D'autres nouvelles sont encore plus poussées et font montre d'une finesse n'apparaissant pas forcément au premier coup d’œil : c'est là toute la richesse de ces récits ne tombant jamais dans l'écueil de la facilité.
L'autre (très) bon point, c'est la variété des genres pratiqués. Si l’on pourrait regrouper ces textes sous l’appellation générique « Fantastique » ou SFFF, il y a en vérité un peu de tout dans ce recueil, toujours avec cette belle sensibilité qui transforme les sujets les plus anodins en véritables tours de force. Du drame humain aux horreurs de la guerre, de la prédation sexuelle (excellent Un Repas en Amoureux, inversant les rôles pour notre plus grand plaisir) à l'anticipation flippante, des légendes japonaises à l'éther des étoiles, il y en a pour tous les goûts et tous les formats. Et comme si cela ne suffisait pas, on a même droit à une relecture de contes bien connus en mode sulfureux, mais encore une fois avec cet apport poétique qui fait toute la différence.
Je ne passerai pas l’ensemble des nouvelles en revue car elles ont toutes trouvé grâce à mes yeux, chacune dans un registre bien différent, mais je dois avouer avoir eu un penchant pour celles pointant du doigt la cruauté de notre prochain, vilain miroir tendu à nous-mêmes, ou évoquant ce monde tristement individualiste dans lequel nous vivons, nous rinçant et délavant nos couleurs jour après jour, jusqu'à l'effacement total (comme dans l'éreintant Devenir Gris, d'un point de vue psychologique). J'ai également beaucoup apprécié la délicieuse note d'ironie glacée de Tranche de Vie, qui excelle dans l'évocation des goûts, des parfums et des odeurs, pour boucler la boucle gastronomique sur une note « mordante ».
Et même si je n'ai jamais spécialement apprécié les « drames de guerre », comment rester de marbre face au texte final, Frères d'A(r)mes (excellent titre, au passage), qui réussit l'exploit de nous faire ressentir tout le déchirement de ces âmes perdues, antinomiques et fusionnelles à la fois, en passant à travers le traumatisme du conflit armé. Encore une fois, c'est toute la sensibilité de l'auteure qui transparaît dans ces pages et contribue à nous immerger dans un récit marquant, très fort émotionnellement, sans tomber pour autant dans le piège du manichéisme – jamais évident lorsque l'on traite de ce genre de sujets –, du pathos à outrance ou du chantage lacrymal. C'est juste puissant et ça prend aux tripes, inutile d'en faire plus. Ainsi, j'ai refermé ce livre avec une sorte de Vague à l'âme (le troisième texte du recueil, comme par hasard – ou pas) qui en dit plus long sur son contenu que toute forme de critique, aussi argumentée soit-elle.
Qu'ai-je omis de préciser ? Que Dola Rosselet est de ces auteures rares qui provoquent les émotions au lieu de les forcer ? Que la subtilité de la prose est parfaitement à l'avenant de sa diversité ? Que les thématiques évoquées ici sont d'une remarquable cohérence, les unes par rapport aux autres, mais aussi dans leur globalité ? Je pourrais aussi revenir sur l'humanité prégnante de ses personnages, qui d'un geste ou d’un murmure (voire en silence), permettent de brosser des portraits plus vrais que nature et si proches de nous, là où certains perdent leur temps en caractérisations vaines et futiles. Ici, tout est juste et parfaitement dosé, comme si la recette était déjà assimilée de longue date, pour simplement venir nous toucher au cœur. Ou jusque dans notre chair, pour reprendre l'une des idées centrales de ce recueil.
Bref, ce fut dans tous les cas une lecture enrichissante et qui laissera une trace durable dans mon esprit... en espérant que ces histoires ne resteront pas sans suite, cela va de soi. En attendant, je ne saurais que trop vous conseiller, amis lecteurs, de jeter un œil attentif à cette petite merveille : vous n'en ressortirez peut-être pas indemne, mais vous ne le regretterez pas, foi de Tak !
Commenter cet article