Des cliques et des cloaques - Jim Thompson

Parmi tous les films policiers sombres et désespérés, j'ai toujours eu une forte estime pour Série noire, film d'Alain Corneau sorti en 1979. Patrick Dewaere interprète Franck Poupart, un minable représentant de commerce, sans doute le rôle le plus proche de son funeste destin pour le caractère fatal de ce merveilleux acteur. Un talent magistral au service d'un scénario simple et implacable.
Intrigue adaptée du roman A Hell of a Woman de Jim Thompson paru en 1954 et édité dans sa version française en 1968. Franck « Dolly » Dillon est garçon de courses et tente de vendre des babioles du Bazar à Sans sous en faisant du porte-à-porte avec sa mallette à échantillons. Par des petites arnaques et factures trafiquées, il prélève quelques dollars pour survivre dans un quotidien misérable. Sa femme Joyce (Jeanne dans le film avec Myriam Boyer) est une feignasse qui délaisse le ménage et la bouffe. « Dans la cuisine, l'évier est plein d'assiettes sales ; des casseroles gluantes encombrent la cuisinière. Apparemment, Joyce vient de finir de dîner ; et, bien entendu, elle a laissé le beurre dehors, et tout le reste. De sorte que, à présent, les cafards sont en train de s'offrir un petit gueuleton. Un vrai paradis pour les cancrelats, notre doux foyer. Ils croûtent diablement plus et mieux que moi, en tout cas. »
Les journées de Franck se déroulent dans une triste monotonie jusqu'à ce qu'il rencontre la douce Mona (jouée par la regrettée Marie Trintignant dans le film), prostituée par sa vieille tante qui ne recule devant rien pour avoir des cadeaux gratuits des camelots pervers : ménagère, manteaux... Dillon s'aperçoit vite, lors d'une visite, que la vioque a un bon magot planqué dans sa baraque, malgré l'aspect clochardisé qu'elle présente aux visiteurs. Franck prépare un coup avec Mona (dont il s'est épris) pour s'emparer des cent mille dollars en faisant accuser un loquedu de sa connaissance : Peter Hendrickson (Tikidès dans Série noire). Mais, malgré ses efforts, Dillon est empreint d'une malchance qui le colle depuis l'enfance (comme il le décrit dans son journal intime sous le pseudo de Knarf Nollid avec ce sous-titre savoureux Les aventures véridiques d'un homme en proie à la poisse et aux mauvaises femmes).
Vite repéré par sa femme et son patron Staples (Staplin dans le film et joué par Bernard Blier), Dillon entre dans un sanglant engrenage de crimes en série. Touchant par sa maladresse et son bon cœur, il reste un criminel à part dans les romans de Thompson. Moins violente que d'autres récits, c'est une histoire où sourdent les remords, atmosphère sordide magnifiée dans le long métrage avec sa banlieue dégueulasse à mourir. La lente décomposition d'un homme à qui rien de bon ne peut arriver malgré sa volonté à conjurer le mauvais sort. Qui est gagnant au final ? Personne. « … je me revois travaillant et faisant tous mes efforts pour devenir quelque chose ou quelqu'un. Mais, aussi loin que remontent mes souvenirs, on m'en a toujours fait baver. »
Hommage spécial à Patrick Dewaere (1947-1982) qui manque cruellement au cinéma français. 35 ans, c'est trop jeune. Putain de merde.
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