L'Arpenteur de Mondes - Jean-Christophe Chaumette

Entre 1989 et 2003, Pocket publiait la collection « Terreur », une série de livres de poche rééditant essentiellement des traductions du domaine anglo-saxon. Clive Barker, Dean R, Koontz, Anne Rice quelques Stephen King et Thomas Harris figuraient au catalogue, aux côtés d'auteurs moins connus mais non moins méritants, comme Randal Boyle, ou Thomas Tessier. Puis, le succès aidant, on vit arriver avec joie des inédits de Graham Masterton, et quelques recueils de nouvelles à thème.
Le ton général de la collection ? Plutôt du fantastique de bonne qualité, avec quelques incursions dans le domaine du thriller, avant de décliner sur la fin avec des novélisations et de l'« urban fantasy » à base de vampires obsédés sexuels (Laurel Hamilton). La seule chose que je déplore est que les auteurs français ne figurent pas à ce catalogue, à deux exceptions près. (1)
Mais quelle exception, en ce qui concerne Jean-Christophe Chaumette ! « Terreur » nous a permis de découvrir deux excellents romans fantastiques, « L'Aigle de sang » et « L'Arpenteur de mondes », qui n'ont pas à rougir de la comparaison avec les vieux routiers anglo-saxons du genre.
À mi-chemin de l'anticipation et du fantastique, « L'Arpenteur de mondes » propose un thriller apocalyptique aux enjeux démesurés : en effet, il s'agit ni plus ni moins de l'anéantissement de l'espèce humaine qui se trouve mis en scène ici. Je ne résumerai pas l'intrigue, comme d'habitude dans mes billets ; il vous suffit de savoir qu'une entité maléfique nourrit le projet d'exterminer la Terre entière, et qu'elle compte utiliser le dernier cri de la technologie des jeux en ligne pour parvenir à ses fins ! Par chance, quatre personnages incarnant les éternels rivaux de l'Arpenteur de Mondes se dresseront contre lui, pour tenter d'empêcher l'anéantissement de la planète...
Il faut noter que ce roman est paru en 2000, époque reculée ou Internet balbutiait encore, et où les jeux de rôle en ligne et la réalité virtuelle n'existaient qu'à l'état de projet. Pourtant, Jean-Christophe Chaumette a su anticiper les développements futurs de l'industrie ludique, et prévoir l'emprise mondiale de la toile électronique. Voilà pour l'aspect technique visionnaire pour l'époque. En ce qui concerne la partie fantastique, l'auteur s'appuie sur deux documents afin de donner une base à son récit : l'Apocalypse de Saint Jean, et un « livre maudit » imaginaire, écrit par un hérétique russe du XVIIe siècle, dont tous les exemplaires (sauf un) subirent l'autodafé, et qui prédit la venue prochaine de l'être destructeur. Voilà une démarche toute lovecraftienne pour apporter de la vraisemblance à un postulat de départ pouvant paraître exagéré ! Grâce à des citations de l'Apocalypse (authentiques) et de « L'Arpenteur de Mondes » (forcément apocryphes) semées en tête de chapitre, Chaumette parvient à obtenir de la part du lecteur une suspension d'incrédulité créant une complicité croissante avec les personnages. Cette technique, couplée à un découpage rigoureux qui permet de ne pas s'encombrer de détails et de descriptions inutiles rappelle celle d'un Graham Masterton au mieux de sa forme, ce qui n'est pas un mince compliment pour moi.
Le style est épuré, rapide et nerveux, l'action constante, grâce à des chapitres courts, qui accentuent le sentiment d'urgence distillé tout au long du roman. Les personnages peuvent sembler un peu caricaturaux, parfois, comme les deux lutteurs russes, ou l'enfant gâtée afro-américaine, mais on est tellement emporté par le rythme endiablé de l'histoire et par la tension dramatique que les petits défauts s'oublient vite, au profit du plaisir éprouvé à lire un suspense haletant.
En résumé, « L'Arpenteur de Mondes » se révèle un roman très agréable, preuve que des auteurs français peuvent rivaliser avec une production anglo-saxonne un peu trop stéréotypée. En effet, le fait qu'une bonne partie du roman se déroule en France et en Europe ajoute une originalité certaine pour un lecteur un peu lassé des intrigues situées aux U.S.A.
On doit pouvoir se procurer la première édition de « L'Arpenteur... » chez les bouquinistes, et les éditions Évidence ont eu la bonne idée de le republier récemment ici.
Vous n'avez donc aucune excuse à ne pas découvrir un auteur français de talent !
(1) L'autre exception est « Azram, le démon des profondeurs », de Marc Mouly. Si je me trompe, merci de me corriger !
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