Les pêcheurs du ciel - Tim Powers

Après le succès de son premier gros roman, « Les Voies d'Anubis », les éditions J'ai Lu ont pris la bonne initiative de publier les premiers écrits de Tim Powers, trois courts livres de science-fiction : « Les Cieux découronnés », « Les Chevaliers de la brune » et donc « Les Pêcheurs du ciel ». (1) Autant vous le signaler tout de suite, je vais me montrer partial dans ce billet, car je suis un inconditionnel de cet auteur, et depuis ses débuts en France.
Tim Powers, à mon sens, a touché à deux genres principaux : la SF et le fantastique. Ses réussites les plus évidentes appartiennent à ce deuxième genre : qu'il s'attaque aux vampires, en renouvelant le concept, ou qu'il aborde la piraterie mâtinée de magie vaudou, Powers parvient à surprendre et à innover. Pourtant, les « Pêcheurs du ciel » se classe parmi les ouvrages de science-fiction, et ne démérite pas par rapport à certaines productions. L'univers qu'il nous propose est à la fois familier et décalé : il s'agit d'un Los Angeles futur, dans une Californie en décadence où les charrettes côtoient de rares voitures à essence, où chaque ville ou comté est dominé par un petit seigneur de la guerre. Si la technologie paraît en plein effondrement, en revanche le génie génétique a atteint des sommets. Les androïdes policiers herbivores mûrissent dans des cuves, et d'autres créatures exotiques et surprenantes créées de toutes pièces agrémentent l'écosystème local.
Tim Powers ne perd pas de temps à nous expliquer les raisons de cet état de fait. Guerre, épuisement des ressources, éclatement des institutions ? Peu lui importe : il a une histoire à nous raconter, celle de Thomas, alias Rufus Pennick, moinillon en rupture de ban et détenteur involontaire d'un secret d'État qui lui vaut la douteuse sollicitude des androïdes policiers. Et c'est parti pour un tour de gonzo-littérature : rebondissements incessants, courses poursuites, personnages ambigus et folkloriques, le tout entrecoupé de soûlographies épiques, l'auteur ne nous laisse pas le temps de souffler ! Inutile de dire que ce petit roman se lit d'une traite, et que son rythme haletant nous incite à fermer les yeux sur les quelques invraisemblances qu'on peut remarquer, l'essentiel restant le plaisir éprouvé à suivre les tribulations de Thomas.
Sans bien sûr être un indispensable, « Les Pêcheurs du ciel » contient en germe ce qui apportera le succès de Tim Powers dans ses œuvres plus adultes : des personnages attachants, bien campés et qui n'hésitent pas à payer de leur personne, un rythme fou, des allusions constantes aux grands classiques de la littérature anglaise (ici, c'est Shakespeare qui est mis à contribution, avant William Ashbless) et surtout un sens aigu de la narration. Le tout saupoudré d'une bonne dose d'humour ironique et de dérision par rapport à certains poncifs de la SF de l'époque.
Ce n'est pas pour rien que Tim Powers fréquentait Philip K, Dick : on retrouve son influence dans les ambiances qui évoquent un univers en décomposition, dans le rôle des androïdes et surtout dans l'ambiguïté des personnages. En effet, chez Tim Powers comme chez Dick, aucun des protagonistes de ses histoires n'est vraiment ce qu'il affirme être, de même que les créatures artificielles se montrent parfois bien trop humaines.
En conclusion, un court roman à redécouvrir, avant de lire « Le Palais du Déviant », plus accompli et se déroulant dans un univers semblable.
(1) À noter aussi que les couvertures de Tim Powers chez J'ai Lu sont toutes superbes, illustrées par le grand Philippe Caza !
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