Le serpent aux mille coupures - DOA

Sur le fil du rasoir : Le serpent aux mille coupures, de DOA.
Sur le fil du rasoir. Oui, comme ce truc froid et coupant qui est en train de caresser ta gorge. Tu n’as rien vu venir ? C’est normal. C’est son boulot, d’être discret. Clandestin, pour ainsi dire. Tellement qu’il est pour ainsi dire devenu invisible. Ça aide, quand on est l’homme le plus traqué de France. Son nom ? Il n’en a plus vraiment. Mais tu peux l’appeler « Lynx ».
Suite directe de Citoyens clandestins, Le serpent aux mille coupures focalise donc sur un de ses personnages principaux. DOA ayant doté le premier roman d’une fin (en forme de fracture) ouverte, cette plaie béante appelait en effet une suture à corps et à cris. L’ennui, c’est que « suture », ça rime entre autres avec « coupure ». D’où, sans doute, ce deuxième épisode aux allures de long épilogue, qui permet à l’auteur de livrer une suite taillée à la serpe (de 700 pages, on passe à moins de 200) et au chroniqueur de filer la métaphore tranchante.
Après une rencontre accidentelle dont il se serait volontiers passé, le fameux Lynx devenu « Motard » – car il s’agit bel et bien du même individu – va devoir affronter un nouvel adversaire. Et puisque le hasard fait décidément très mal les choses mais qu’appeler un chat un chat n’est pas forcément spoiler, ledit adversaire est un malade mental doublé d’un boucher. Reste qu’à danger public, danger public et demi, comme l’apprennent très vite à leurs dépens les occupants de cette ferme isolée pris en otage par un fugitif d’autant plus redoutable qu’il paraît diminué… En effet, on ne se méfie jamais assez des bêtes blessées, et le Motard manifeste un instinct de survie très au-dessus de la normale.
Et c’est paradoxalement dans cette situation de violence absolue infligée à autrui que le tueur touche du doigt un semblant de rédemption. Car Omar Petit, l’homme chez lequel le Motard trouve refuge avant de pouvoir faire face au justement surnommé « Tod », n’est pas un paysan comme un autre. Du moins aux yeux de certains habitants du village. C’est qu’Omar n’a pas la bonne couleur de peau, voyez-vous. Or DOA parvient à entremêler ses deux intrigues jusqu’à ce qu’elles n’en forment plus qu’une. Pris entre deux feux (sans compter les services secrets, qui ne l’ont pas oublié), Lynx ne choisit plus : de sa Némésis aux villageois racistes, le danger est partout, et le tourmenteur se mue peu à peu en protecteur.
Comme s’il estimait que la famille Petit a assez souffert comme ça. Comme s’il se sentait responsable de ses membres. Comme s’il voulait se racheter à leurs yeux. Et aux siens propres ? Là, c’est autre chose. Car pas question pour l’auteur de verser dans le happy end. Un individu comme Lynx ne retrouvera pas son humanité perdue en un claquement de doigts. Encore moins si les doigts en question appuient encore et toujours sur la gâchette… Difficile donc de s’attacher à un tel personnage, qui malgré son charisme animal, risque de laisser sur le bas-côté (sur le carreau ?) les lecteurs en recherche d’identification.
En revanche, toi qui as apprécié Citoyens clandestins, tu devrais trouver ton compte dans cette suite, car le Lynx de DOA y est aussi fascinant qu’effrayant. Mais n’est-ce pas là ce qui caractérise l’animal auquel le tueur doit son surnom ? Sachant que ces adjectifs s’appliquent aussi au Serpent du titre et que la peinture des deux hommes est exécutée au couteau, attention quand même aux (mille) coupures en tournant les pages…
Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 193, juillet / août 2018.
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