Le syndrome du varan - Justine Niogret

Publié le par Léonox

 

 

 

 

Parental advisory : explicit content : Le syndrome du varan, de Justine Niogret

 

 

 

 

Justine Niogret considère que Le syndrome du varan est son meilleur livre. Elle le dit très calmement, d’une voix égale, comme elle proposerait du thé ou du café. Et elle ne balance pas en plus des phrases comme : « Fais gaffe, jusqu’ici c’était qu’un échauffement » ou : « Maintenant, ça rigole plus : tu vas prendre cher ». Non, elle ne fait pas ça. Pas besoin. Déjà, l’autrice dont il est ici question n’est pas réputée pour survendre son travail en en faisant des caisses. Ensuite, aucun de ses précédents ouvrages n’est du genre à laisser indifférent.

 

Et pourtant… Et pourtant, après lecture de ce fameux roman, force est de constater… qu’elle avait raison. Non, sa mise en garde introductive aux allures de sentence sans appel n’est pas exagérée. Et oui, Le syndrome du varan est sans doute son meilleur livre. Mais c’est aussi, dans le même temps, celui dont il est le plus difficile de parler. Justine dit qu’en général elle a assez peu de retours de son lectorat. Et c’est vrai aussi. En particulier pour ce roman.

 

Mais moi ça ne m’étonne pas. Parce que ce livre l’est, particulier. Parce que « Meilleur », ça signifie dans le cas présent : plus fort, plus dur, plus violent, plus douloureux, plus âpre, plus malaisant – j’en passe et pas forcément des plus légers. « Meilleur », ça veut dire te faire passer l’envie de faire le malin et jouer au héros. À jamais. Et puis, le varan, c’est un animal très spécial. Surtout quand comme ici il t’arrache les mots de la bouche. Et qu’il ne les rend pas. Le varan, il est longtemps resté là sans rien dire et sans bouger, à en prendre plein la gueule.

 

Donc maintenant qu’il a réussi à crever sa gangue, c’est pas pour venir te proposer un bain de boue tiédasse. Maintenant, il l’ouvre, sa gueule. Et ce qu’il rend, c’est les coups. Alors c’est toi qui commences à te transformer en varan. À accuser le(s) coup(s). À ne plus trop savoir comment tu t’appelles. Ni comment s’appelle ce que tu es en train de lire. S’agit-il d’un roman ? D’un essai ? D’un témoignage ? D’une autofiction ? Demande à l’autrice si tu l’oses. Pour ma part, j’ai pris le flacon pleine tête ; j’ai pas eu le temps de regarder l’étiquette.

 

Mais ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est que ce livre est bouleversant. Parce que ce n’est pas seulement le récit d’une enfance brisée – ce qui serait déjà beaucoup. C’est aussi le journal d’une survie. D’une survie malgré eux, malgré soi-même, une survie envers et contre tout, avec en filigrane les prémisses d’une possible reconstruction. Ce qui compte, c’est que l’expérience va être choquante. Très. Mais elle sera émouvante. Très aussi. Et bien sûr c’est la rencontre des deux qui constitue le sel versé sur ces blessures mises en partage.

 

On a beau s’y attendre, on a beau être prévenu, on a beau avoir une petite expérience en matière de littérature qui fait mal, le varan sera toujours plus fort que toi. Parce que justement, le varan, ce n’est pas que de la littérature. Et il a fallu qu’il le soit, fort, pour résister à cette génitrice vipérine folle à tuer, à cet inséminateur dégueulasse à vomir, à tous ceux qui ont vu mais n’ont rien fait, à tous ceux qui ont su et ont voulu en profiter, à toute une société plus ou moins complice, organisée pour marcher au pas sur la tête du varan. Et l’écraser.

 

Dans le fond, Le syndrome du varan m’a d’abord appris qu’une de mes autrices préférées était aussi une de mes personnes préférées. Je m’en doutais un peu, mais là ça a le mérite d’être clair. Next. Puis il m’a rappelé à quel point la réalité éclatait la fiction. À mains nues. Dans la forme, le Fantastique n’aura décidément jamais sur moi l’impact tétanisant de la vérité nue et brute. Quant au Gore, s’il reste un outil bien pratique, ce roman apporte la preuve qu’on peut aller beaucoup plus loin – et faire beaucoup plus mal – sans y avoir recours.

 

Enfin – et surtout – Justine Niogret elle-même a trouvé le moyen de rendre cette affaire encore plus personnelle. Genre au cas où ça ne suffisait pas, en plus je vais te mettre mon poing final à la ligne. Ҫa ne tombe pas sous le sens et ça ne va pas forcément de pair, pourtant… Pourtant, je ne vois pas comment conclure autrement. Alors voilà : le varan a d’excellentes raisons de prétendre que les héro-ïne-s, ça n’existe pas. Soit. Pour ma part, j’estime qu’il existe au moins une exception – et c’est le varan lui-même qui m’a donné son nom.

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