Entretien avec Emmanuel Neuman

Publié le par Lester

(Photographie fournie par E. Neuman)

 

 

 

Pour commencer, une présentation : qui est Emmanuel Neuman ? Un aventurier intergalactique, un homme politique qui se cache derrière un pseudonyme, un ET venu faire de l'intox, ou une I.A. en vacances ?

 

Qui suis-je ? Mince, tu commences par la question sans doute la plus compliquée de toutes ! Je ne suis rien de tout ce que tu énumères, ça c’est sûr : trop peureux pour être aventurier, trop honnête pour faire de la politique, trop terre-à-terre pour être extra-terrestre et trop riche en carbone pour faire une IA en silicium. Pour le reste, je n’ai pas beaucoup de certitudes et mon psy non plus d’ailleurs. Après vingt-cinq ans de suivi aux frais de la Sécurité sociale, il a pris sa retraite récemment en me disant que j’étais le plus gros échec de sa carrière et qu’il souhaitait bonne chance au pauvre gars qui prendrait sa suite pour s’occuper de moi...  Nan, je blague ! Bon, pour ne pas esquiver complètement ta question par une pirouette, je dirai simplement qu’Emmanuel Neuman est un pseudonyme. Neuman, autrement dit l’ homme nouveau : on me demande à chaque fois pourquoi ce pseudo. Alors je vais te livrer la réponse en exclusivité mondiale : c’est un clin d’œil à un texte de Claudel. Plus personne ne lit Paulo aujourd’hui, surtout pas les amateurs de SF, et c’est bien dommage, parce qu’il savait écrire, le bougre ! Donc sa pièce Tête d’Or commence par cette tirade, qui a inspiré mon pseudonyme : « Me voici, Imbécile, ignorant, Homme nouveau devant les choses inconnues. Je tourne la face vers l’Année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon cœur d’ennui ! Je ne sais rien et je ne peux rien. Que dire ? que faire ? À quoi emploierai-je ces mains qui pendent ? ces pieds qui m’emmènent comme les songes ? Tout ce qu’on dit, et la raison des sages m’a instruit Avec la sagesse du tambour ; les livres sont ivres ». Mon roman, comme mon pseudonyme, font référence à ces vers célèbres, qui parlaient déjà de l’absurde bien avant que Camus n’ait entrepris de le faire. Accessoirement Neumann, avec deux « n », c’est aussi le père de la cybernétique, ce qui renvoie aux IA, qui sont très présentes dans mon roman. Coup double en quelque sorte

 

« Dura Lex Sed Rollex » est-il un premier roman ?

 

Oui, du moins pour la présente existence. Pour les précédentes, je ne sais pas : j’ai oublié.

 

Des extraterrestres insectoïdes jouent un rôle important dans le roman. Alors, phobie des bêtes à six pattes ou trop de visionnages de « Starship Trooper » ?

 

Phobie, je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot. Dans mon roman, les affreuses bêtes extraterrestres à six pattes ou plus (je n’ai pas fait l’effort de compter précisément leur nombre de pattes) sont plutôt du côté des espèces évoluées de la galaxie. Quant aux demeurés et aux monstres, ils se recrutent surtout parmi nos congénères humains. Les espèces de cafards aliens d’opérette qui sèment moins la terreur que la rigolade dans mon roman sont aussi un clin d’œil à deux maîtres de la science-fiction : le grand Robert Heinlein et le non moins grand Joe Haldeman. Tu as cité Starship Troopers, prix Hugo 1960, mais je pastiche aussi La guerre éternelle, prix Hugo 1976.

 

L'Intelligence Artificielle tient une place décisive dans « Dura Lex... ». Selon toi, est-elle en passe de supplanter la bonne vieille connerie naturelle, ou celle-ci a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?

 

Je crois beaucoup à l’avenir de la connerie. Il ne faut pas l’enterrer trop vite. D’ailleurs, si la connerie était cotée en bourse, j’investirais à fond dedans. Sinon, concernant les intelligences artificielles, je constate que pour l’instant, il s’agit seulement de systèmes hyper spécialisés de traitement statistique permettant d’exploiter de très grosses bases de données pour établir des corrélations que l’intelligence humaine n’avait pas songé à établir. Les résultats sont bluffants et surprenants, mais le deep learning de ces IA reste complètement supervisé par l’être humain qui élabore les algorithmes d’apprentissage et fournit les bases de données. On n’a pas encore des machines qui pensent, qui imaginent, qui créent, qui inventent, qui soient en mesure de passer de la corrélation à la signification. Mais plus que le sujet d’une réflexion prospective, les IA dans Dura Lex sont avant tout une référence à un de mes auteurs favoris : Ian Banks. Son cycle de la Culture est une œuvre fascinante. J’adore les Mentaux qui peuplent ses récits. En outre, Banks est aussi l’un des rares auteurs de SF qui ait un peu d’humour...

 

On peut subodorer une once de cynisme, voire une pincée d'ironie grinçante envers la classe politique dans ton roman. Est-ce la fréquentation réelle des décideurs qui te pousses à décrire les grands de ce monde et les généraux sous des traits si sombres ?

 

Alors là, je tombe des nues. Dura Lex transpire un amour et une à admiration sincères pour ceux qui nous représentent et que j’ai la chance, que dis-je ? le privilège, de servir et de côtoyer de façon quasi quotidienne. Ce que je vois, ce sont des visionnaires dotés d’un sens inaltérable de l’intérêt général et de l’État, capables de s’abstraire des petits calculs politiciens ou des problèmatiques micro-locales, qui affirment en toutes circonstances, avec la larme à l’œil et la main sur le cœur, leur fidélité à de nobles principes, qui défendent leurs convictions face aux lobbies de toutes sortes, qui savent prendre le risque de déplaire à l’opinion publIque quitte à perdre leur poste aux élections suivantes. Si c’était une interview filmée, je leur ferais un gros cœur avec les deux mains, comme ça, pour leur dire : politiques, je vous aime. C’est juste dommage que, consacrant tellement de temps et d’énergie à conquérir et conserver le pouvoir, il ne leur en reste finalement plus assez pour en faire quelque chose d’utile... 

 

En refermant ton livre, on se sent partagé entre la sensation d'avoir passé un bon moment de rigolade et un désespoir profond envers l'espèce humaine. Alors, Emmanuel Neuman est-il un humoriste ou un philosophe ?

 

Ta question me touche, parce qu’elle met le doigt sur ce qui est le projet fondamental de ce roman. J’ai voulu faire de Dura Lex un livre drôle et triste en même temps. C’est les deux et c’est indissociable. Ça démarre dans la franche rigolade, la truculence, l’outrance, l’absurde, avec des dialogues et des péripéties déjantés et bien assaisonnés, comme dirait San Antonio. Je les ai écrits en pensant à un genre théâtral, la farce, ainsi qu’à des chouettes films français des années 1960-1970, comme Les valseuses, les Tontons flingueurs, Calmos ou Les galettes de Pont-Aven. Puis insensiblement, au milieu de la rigolade et de l’outrance, le malaise s’installe, on se met à rire jaune, on sent percer le désespoir et l’absurde derrière le rire. La farce bouffonne prend alors des allures de voyage au bout de la nuit, qui conduit à une fin absurde. D’ailleurs le nom d’un des deux personnages principaux du récit est une référence directe à Céline. Bref, mon roman fait le choix de rire pour ne pas pleurer. Comme disait Rabelais, voyant le deuil qui vous mine et consume, mieux vaut traiter du rire que des larmes...

 

Hormis « Starship Troopers » et les Monty Python, quelles sont tes autres références en matière de SF ? (Le programme de LREM est exclu, hors compétition).

 

Comme je l’ai dit, mon roman se nourrit à de très nombreuses sources littéraires ou cinématographiques qui n’ont rien à voir avec la SF. Raison pour laquelle Dura Lex est un roman de SF qui ressemble si peu à un roman de SF, tout en en étant un malgré tout. Le sens du dialogue et de l’humour ne sont malheureusement pas des points fort de la SF, qui se focalise uniquement sur l’imaginaire, l’aventure et le suspense. Je rêverais d’une SF qui s’ouvre plus largement au-delà de ses bases historiques et stylistiques. Ceci dit, je me suis nourri aussi de science-fiction à partir des grands auteurs classiques de ce genre : Robert Heinlein, Joe Haldeman, Greg Bear, Ian Banks, Franck Herbert, David Brin, Dan Simmons, Jack Vance, Isaac Asimov, Peter Hamilton, j’en passe et j’en oublie...

 

Enfin, as-tu des projets, littéraires ou autres ? Une suite, ou alors d'autres récits de SF ?

 

Oui, j’ai bien envie de reprendre la plume ! La difficulté, c’est le temps. Écrire est une activité qui absorbe complètement. J’ai écrit Dura Lex il y a un petit moment déjà, suite à un accident qui m’a tenu immobilisé plusieurs semaines. J’ai pu écrire à temps plein, du matin au soir ! Depuis, j’ai eu, si je puis dire, le malheur d’être en bonne santé. Quand je réécrirai, je ne pense pas que ce sera pour donner une suite à Dura Lex. J’ai envie d’écrire une histoire sur un thème qui m’angoisse terriblement. Celui de la catastrophe climatique qui se profile. J’ai l’impression que nous sommes tous bien installés dans une voiture qui fonce à toute allure dans un mur et nous rions et jouons en regardant ailleurs. C’est un peu l’histoire d’un suicide collectif que nous sommes en train d’écrire. 

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