Noir et rouge, vu par Sandy Foulon (UltraGore)

Noir et Rouge est donc un recueil de nouvelles d’Artikel Unbekannt/Schweinhund, auteur multifacette grand amateur de littérature dite populaire, de la plus classique à la plus extrême. Deux pseudonymes, correspondant à deux identités littéraires, et deux couleurs, deux sensibilités. L'ensemble est organisé en quatre parties : « Slices of Death », réunissant des récits fantastiques où domine la mort, « Pulp is not dead » rend hommage à la littérature des pulp magazines, faisant la part belle aux super héros, à la SF et à l’espionnage ; « No Future » regroupe des textes de guerre et de (post-)apocalypse ; enfin, « White Trash » est la partie la plus gore. Pas mal de ces textes étaient déjà parus à gauche, à droite, donc un des intérêts du présent livre est de les rassembler en un seul endroit. Et puis il y a quelques inédits.
Faisons le tour de ces nouvelles…
SLICE OF DEATH
- À mourir de rire : non, ce texte qui inaugure le recueil n’est pas marrant, contrairement à ce que pourrait laisser penser une mauvaise lecture de son titre. Il ne faut pas prendre l’expression dans son sens habituel, mais bien de manière tout à fait littérale. Un récit de terreur dans la grande lignée des maîtres du genre.
- Rouge : notre auteur n’a pas son pareil pour rendre compte, par son écriture, des états hallucinés, de folie. Le lecteur évolue dans son texte à tâtons, un peu perdu. La condition pour profiter de l’expérience est bien sûr d’apprécier cette sensation de perdre pied. En tout cas, le traitement du thème en question est original. Allusif.
- Passé décomposé : une belle histoire d’amour romantique, tourmentée et fantastique. Parce que les maladresses et les échecs ponctuent aussi nos vies.
- Jaune : Noir. Rouge. Et jaune. Artikel Unbekannt aurait glissé un clin d’œil à l’Allemagne que ça ne nous étonnerait pas, vu ses déclarations d’amour notamment à Berlin. « Jaune » mixe avec efficacité hommage au Giallo et thème du vampirisme. La structure, qui fait s’alterner les deux points de vue (celui de l’enquêteur et celui de la femme) donne au texte un agréable dynamisme.
- Retour aux sources : un des récits les plus classiques du recueil (je ne connote pas du tout négativement le terme ‘classique’). Il fait immanquablement penser à du Lovecraft, mais aussi à une nouvelle de W. H. Hodgson ainsi qu’à Clark Ashton Smith et son goût pour les îles /continents oubliés (cf. Poséidonis), lui-même proche du « Maître de Providence ». Autant dire qu’on lit ça avec un grand plaisir.
- À feu et à sang : un bel hommage à l’univers de Jess Franco. Récit d’un envoûtement fatal. Quand Eros mène à Thanatos.
PULP IS NOT DEAD
Une deuxième partie que j’ai trouvée moins intéressante que les autres, car elle est moins personnelle, elle visite des genres qui m’enthousiasment moins entièrement que l’horreur, le gore, l’épouvante (etc.), et, selon les cas, certains textes font appel à des univers préexistants que je n’ai pas l’honneur de connaître. Ceci dit, rien à redire quant au style.
- Dark night : Artikel Unbekannt réécrit un passage clé de l’histoire de Batman. Même si le choix du personnage et du passage en question est à saluer, cette petite nouvelle arrive dans une période où l’overdose de blockbusters superhéroïques a achevé de me dégoûter du genre.
- La tension de la stratégie : j’ai beaucoup apprécié l’impression de me retrouver en plein poliziottesco. L’histoire est particulièrement prenante. Vous l’aurez compris, un peu plus réservé pour l’aspect « super héros », mais il passe encore bien ici.
- Aliénation : Alien revisité par notre auteur.
- Le masque et la marque : cela commence avec une messe noire qui tourne court, puis ça prend une tournure inattendue. Ceux qui, comme moi, ne connaissent pas les différents personnages (Léonox, Mephista, etc.) et leurs univers respectifs mis en présence l’un de l’autre dans cette nouvelle, risquent de se sentir un peu perdus.
- Le péril jaune : l’intérêt de cette autre réunion de personnages populaires (Miss Ylang-Ylang, monsieur Ming,…) pourra échapper, du moins pour une bonne partie, à ceux qui ne connaissent pas ceux-ci. Reste le style.
- Travaux forcés : un pur hommage de fan qui orchestre la rencontre entre le personnage (Panthera) et l’écrivain (Pierre-Alexis Orloff). Une fois encore, force m’est de reconnaître que je ne connais pas ce personnage et ses aventures, et que, par voie de conséquence, je reste assez extérieur au truc.
NO FUTURE
La partie qui nous reconnecte totalement à son auteur.
- Japon, année zéro : une solide nouvelle avec une belle ampleur temporelle. Un pays qui connaîtra le feu nucléaire, trois destinées liées, une fin déroutante. Un des « must » de ce recueil.
- Angst : située juste après la Seconde Guerre mondiale, « Angst » nous balade de l’Espagne à l’Allemagne et met en scène des nazis confrontés aux horribles résultats d’une de leurs expériences qui leur échappent. Cela pourrait presque constituer l’épilogue de « Entre chien et loup » de Cornelia B. Ferrer, la nouvelle de Nazisploitation parue dans Cin’Exploitation n° 2. Un pur plaisir.
- Caïn et la belle : du pur post-apo comme on l’aime. Des ruines, un homme qui se réveille amnésique, la solitude, et puis… la rencontre. Et une fin qui fait travailler notre imagination. La mention des rats nous rappelle que Julien Heylbroeck (vu le duo que formaient Schweinhund et Julien pour TRASH, difficile de penser à l’un sans penser à l’autre) avait aussi écrit un excellent récit post-nuke dans lequel fourmillaient de gros rongeurs (« Junkfood Rampage », cf. l’anthologie Dimension TRASH ).
WHITE TRASH
Cette quatrième et dernière partie regroupe les 8 textes déjà parus sous ce titre commun « White Trash » dans Dimension TRASH, que je viens justement d’évoquer, ainsi que d’autres petites nouvelles, soit provenant d’autres anthologies, soit inédites. On pénètre ici totalement dans l’antre du Schweinhund. La partie la plus trash, la plus rageuse, la plus folle. Je renvoie à ce que j’avais déjà écrit dans ma chronique de Dimension TRASH, mais je vais quand même reprendre tout, texte par texte…
- 1985-1990 : Schweinhund annonce la couleur dès l’entame de cette partie avec cet hommage maladif à la collection Gore. Tout en folie et en animalité.
- La chambre noire : texte qui s’articule bien avec le précédent. Encore plus maladif. On retrouve bien là le style de l’auteur de Bloodfist, qui aime à jouer avec les mots et à cultiver l’obscurité, tout en se faisant volontiers trash. La figure féminine de dominatrice qui y apparaît semble bien être une personnification de la maladie qui ronge le protagoniste. Un de ces textes qu’on relit plusieurs fois pour tenter d’en percer au mieux le sens.
- Légion : Ce que je viens de d’écrire pour « La chambre noire » à propos du style et de l’aspect « crypté » est encore plus vrai pour « Légion ». On ne sait plus trop si ce qui prime, c’est le fond ou la forme. Deux pages très denses, qu’on lit, relit et rerelit.
- Quinze minutes : du sexe cru bien sale avec à nouveau un personnage de dominatrice. Plus direct, plus limpide que les deux précédents. Trash.
- Bon sang ne saurait mentir : même veine que « Quinze minutes » : du sexe bien dégueu pratiqué par des personnages repoussants. On sent tout le bien que pense l’auteur de ces deux types de personnes (la grosse américaine gavée aux McDo et le cadre supérieur)… Un peu plus de légèreté que dans la précédente, cependant.
- Löwenacht : retour au style le plus fiévreux, le plus enragé de l’auteur. Un discours antireligieux auquel se mêle le thème du cannibalisme.
- Profondo nero : un joli titre qui rappelle plein de bonnes choses pour un bref récit halluciné qui utilise des éléments du Giallo dans un univers cauchemardesque à la « In the Mouth of Madness ».
- 2013-2016 : la version actualisée de « 2013-2015 » parue dans Dimension TRASH. Il s’agit d’un hommage à la collection TRASH (dont l’arrêt, que je n’arrive toujours pas à digérer, est le plus grand drame littéraire depuis la mort de la collection Gore).
- Contre-nature : premier texte qui n’était pas présent dans le « White Trash » de Dimension TRASH. Du grand Schweinhund. Un récit fragmenté où s’alternent le point de vue d’une femme enceinte et celui du bébé qu’elle porte. Une relation vécue comme une guerre. L’antithèse de tous les trucs cuculs qu’on entend sur le sujet. Bien tordu.
- S.O.S. : une petite tranche de vie d’un mec pas net. Quand on comprend à la fin de qui il s’agit, cela devient tout de suite moins anecdotique ! Le style se fait très haché. Il instaure un sentiment d’urgence et donne un caractère halluciné à l’ensemble. Bien vu, le titre (qui n’est pas seulement le cri d’un terrien en détresse…) !
- Confrontation : l’écriture redevient un peu plus classique pour les besoins de cette nouvelle à travers de laquelle l’auteur fait sentir ses idées politiques en s’amusant à tordre le cou de quelques clichés.
- L’altro inferno : on l’aura compris, Artikel Unbekannt/Schweinhund est un grand amateur de cinéma bis. On a eu l’occasion de pointer ses déclarations d’amour aux films de Jess Franco et au Giallo, entre autres choses. Ici, il paie son tribut à la Nunsploitation.
- Blutwurst : un texte basé sur des souvenirs personnels, où se mêlent étrangement plaisir et douleur. À lire en écoutant de l’electro industrial.
- L’œil du serpent : un hommage à l’écrivain Kââ. C’est obscur et plein de rage (« Ensuite je briserai mes chaînes. Te frapperai avec. Puis je frotterai tes plaies. Contre les barbelés » p. 209).
- Corps et liens : hommage au même auteur, mais à ce qu’il a publié sous le pseudo de Corsélien. Douleur et tendresse s’y mêlent.
Enfin, le livre se termine par une interview de l’auteur, menée par Zaroff (qui a écrit, entre autres, Night Stalker et Bayou), histoire d’en savoir un peu plus sur lui.
En résumé, ce recueil permet de bien se rendre compte que notre écrivain possède plusieurs facettes. Il est à la fois unique et multiple. Très attentif à la forme, il est capable de changer assez radicalement de style selon les objectifs poursuivis. Ça nous change des nombreux écrivains lisses et trop unidimensionnels ! On le sent par ailleurs avide de partager avec ses lecteurs ses différentes influences, qu’elles soient littéraires, cinématographiques ou autres. En tout cas, l’ensemble est suffisamment varié pour toucher différents types de lecteurs. N’hésitez donc pas à y picorer votre bonheur…
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