De chair et d'encre - Dola Rosselet

Publié le par Zaroff

 

Dola Rosselet est une femme charmante, une ensorceleuse des mots. Un véritable talent au service d'histoires sombres, oniriques, terrifiantes, visionnaires, utopistes, vengeresses. Son premier recueil paru en novembre 2017 est une vraie réussite et Rivière Blanche a eu le nez fin de publier cette autrice tant son style marquera les esprits durablement. Ce qui m'a surpris dans cet ouvrage, c'est l'extraordinaire palette de genres, de la SF aux récits de guerre, de l'horreur à la dystopie, de l'inconnu au post-apo, de la magie noire aux intrigues familiales. On trouve de quoi se rassasier chez Dola Rosselet et son art si particulier ne demande qu'à prendre son envol vers des récits plus longs, romans ou novellas. C'est bien simple, cette femme me fait penser à Ballard, Huxley, Silverberg ou encore B.R Bruss. On peut évoquer aussi Anne Rice et Gilles Thomas dans cette façon de conter et d'articuler des thèmes variés et riches. Puissants.

 

Personnellement, je trouve que Dola Rosselet est vraiment à son aise sur les textes dystopiques. Elle y relate des cités-bulles et ses effroyables caissons de simulation, une intelligence artficielle dominant les hommes, un exode astral sous fond de poésie, l'exploration de galaxies méconnues, le dernier homme sur Terre recueilli par une meute de loups, des centres de gestation et leurs terribles conséquences. L'univers de Dola Rosselet étend son emprise vers le rêve, l'épouvante, notamment dans un cercle de famille. On devine que la vengeance est un thème récurrent, que ce soit par une amante, une relation incestueuse. Complots et machinations rythment les trames dans des évocations jamais poussives ou inaltérées par des phrases creuses et vides de sens.

 

Et Dola ne s'arrête pas en si bon chemin. On y croise également des fantômes, de l'exorcisme, un tueur en série traquant ses proies célibataires sur Internet, des terreurs enfantines, du cannibalisme, du vampirisme rendant hommage à Carmilla, trois contes de princesses et leur intimité sexuelle (Walt Disney en mourrait deux fois), un Japon médiéval et ses sortilèges. Sans oublier le mythe de Cassandre et un ascenseur multi-dimensionnel et temporel, l'anonymat poussé à son paroxysme et comment survivre lorsque vous n'avez jamais existé ?

 

Il faut prendre en compte un récit de grande érudition : Comme un parfum de deuil ou le deuil d'un alchimiste expérimentant jusqu'à l'extrême pour capturer l'essence, la fragrance de sa défunte épouse. Vous croyez que ça s'arrête ici ? Et les récits de guerre ! L'échec de l'attentat contre Hitler dans la tanière du loup le 20 juillet 1944 aurait-il une raison divine, un coup de main de la Providence ? Et si deux âmes étaient échangées sur le front, à Verdun en 1916 ? Les destins de Paul et Markus nous confrontent à la triste réalité des soldats allemands et français où on ressent que personne n'est épargné dans cette boucherie sans nom et que la Grande Faucheuse ignore les frontières.

 

Il y a de l'insolence, de l'ahurissement et de la lucidité dans les nouvelles de Dola Rosselet. Une clairvoyance sur les destinées empreintes de solitude, de désarroi et de fatalisme... à toutes les époques, imaginaires, contemporaines ou ancestrales. Je me souviens qu'Orwell disait que « … dans notre société, ceux qui ont la connaissance la plus complète de ce qu'il se passe, sont ceux qui sont les plus éloignés de voir le monde tel qu'il est. En général plus vaste est la compréhension, plus profonde est l'illusion. Le plus intelligent est le moins normal ». Et c'est une citation parfaite pour illustrer partiellement Dola Rosselet. Elle donne à réfléchir sans tomber dans de la philo de bac à sable. Ses propos ne sont jamais gratuits, niais et peureux. Elle prouve aussi qu'un bon récit ne s'enjolive pas forcément d'envolées lyriques et d'effets de manche éculés. Dola Rosselet, c'est l'art et la manière. Et c'est ardu de posséder ces deux qualités sans trahir le lecteur.

 

En mai 2013, Dola s'est inscrite sur le forum de l'Écritoire des Ombres et, dès ses premières participations, on a su qu'elle avait quelque chose à dire, à exprimer, à écrire. Elle fait partie des rares personnes qui marquent les esprits cultivés, qui travaillent lentement pour nous distiller la quintessence. Une image me vient pour définir Dola Rosselet (et vous me pardonnerez cette comparaison semblant douteuse ou farfelue) : un alambic de cuivre aux senteurs indéfinissables. Une maturation artistique qui se bonifie avec le temps. D'ailleurs, en à peine deux ans, six de ses nouvelles furent publiées dans des anthologies diverses : Ténèbres, Otherlands, Bienvenus sur Mars, Rivière Blanche, Hystéries, Sombres Rets.

 

Vingt récits composent ce recueil avec une harmonie qui transcende. Parions que Dola Rosselet ira loin car elle possède l'âme des grands écrivains. Et ce n'est pas Artikel Unbekannt qui me contredira si on se fie à sa préface éloquente, une des plus belles que je connaisse de ce gaillard ! Comme je l'ai signalé plus haut, Dola a l'intelligence d'un Ballard, le génie d'un Silverberg, la lucidité d'un Huxley et l'effroi social d'un Orwell. Gageons que ses futures œuvres auront la même empreinte indélébile. Moi, j'y crois.

 

Lien d'achat chez Rivière Blanche.

 

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Z
Bonne année à toi aussi mon bon Léonox, ainsi qu'aux tiens. Tous nos vœux aux visiteurs fidèles qui rôdent dans le coin.
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L
Bonne année à vous les affreux et continuez à nous proposer de belles et bonnes chroniques sur ces mauvais genres que l'on aime tant.
A
Difficile d'envisager plus belle manière de débuter l'année.<br /> Grand merci pour cette superbe chronique, vieux brigand.<br /> Et meilleurs voeux à toi, ainsi qu'à celles et ceux qui te sont chers.
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L
Oui, bonne année à nos lecteurs, bien sûr. Ainsi qu'à notre "voisin de pallier" Lekarr, que nous lisons toujours avec grand plaisir. <br /> "SF EMOI", c'est lui, et l'adresse se trouve dans nos liens amis. Si vous aimez ce qu'on bricole par ici, jetez donc un oeil là-bas : c'est le complément idéal.