Porcherie (Tome 1) - Christophe Siébert

Publié le par Léonox

 

 

 

Le sang des bêtes : Porcherie, de Christophe Siébert.

 

 

Porcherie était à l’origine un recueil de dix nouvelles édité par l’auteur de Nuit Noire fin 2013. « Était », car ce fanzine de 64 pages au tirage confidentiel a été épuisé en l’espace de quelques mois et avait disparu des radars depuis. Alors pourquoi en reparler aujourd’hui ? Ben parce que la chose est en passe d’être rééditée, pardi, et avec le lard et la manière, encore. Mais aussi parce que je n’ai pas lu grand-chose de plus juste, de plus percutant, de plus radical, de plus intransigeant depuis trois ans. À part les deux recueils de poèmes Poésie portable et Découper l’univers, et les deux romans La place du mort et Paranoïa, tous quatre signés… Christophe Siébert. Car oui, je suis de ceux qui apprécient un peu beaucoup passionnément l’œuvre de Christophe Siébert. Et pas seulement ses Trasheries. Dont Porcherie, malgré ce que son titre fleurant bon la barbaque juteuse pourrait laisser supposer, ne fait pas partie.

 

Porcherie était donc une collection de dix textes courts, noirs, froids et durs. Dix textes, dont cinq sont aujourd’hui repris dans ce petit livre fraîchement paru chez Les Crocs Électriques, complétés de trois récits plus récents (Pas envie, Les vignes et La vieille). Quant aux cinq nouvelles manquantes, elles n’ont pas été oubliées, bien au contraire. Elles seront publiées dans d’autres volumes à venir, là encore accompagnées d’inédits et autres textes rares et/ou épuisés. D’où le fait que ce fascicule d’une quarantaine de pages se présente comme le tome 1 d’un ensemble exhaustif qui devrait en comporter quatre.

 

Un tome 1 doté d’une illustration de couverture saisissante signée Anne Van der Linden, et composé de huit fragments aussi secs qu’une série d’uppercuts, où la violence n’est pourtant pas toujours au premier plan. Ou plutôt, pour faire un parallèle avec le cinéma, la violence à laquelle on a affaire dans Porcherie, si elle est parfois « graphique », se situe assez souvent « hors-champ ». Alors s’il est clair que la conclusion de Compassion, hallucinante (et qui fait très fortement penser au court-métrage de Scorcese The big shave) comblera d’aise les viandards amateurs de Nuit Noire et de Paranoïa, Porcherie ne se réduit pas à un carnage. Et ce n'est pas du tout une critique, au contraire, car cette façon de procéder prouve qu'il n'y a pas besoin d'être lourdement démonstratif pour faire mal avec des mots.

 

D'autant que la moitié des nouvelles de ce tome 1 de Porcherie se terminent par des élisions. Et des textes comme Ma sœur ou La première fois que j'ai tué mon père qui laissent ouvertes les portes des conséquences, on ne peut pas dire que ça soit vraiment confortable… Surtout qu’il ne faut pas compter sur Christophe Siébert pour s'appesantir sur les causes. Ici on est dans la fulgurance brute, dans la destinée écrasée, dans la trajectoire brisée, pas dans la psychanalyse de bazar. Un peu comme si l'auteur disait : « Voilà ce que j'ai : des bouts de vies en morceaux. À vous de les recoller ». Et moi j'aime bien ça, qu'on me rende responsable, que ce soit en tant que lecteur, éditeur ou anthologiste.

 

Une petite anecdote à ce propos : lors du bouclage de l’anthologie Dimension TRASH pour Rivière Blanche en 2015, nous envisagions de clôturer le recueil par une certaine nouvelle. Jusqu’à ce que Christophe nous balance la sienne en pleine tête. Il s’agissait de La vieille, qu’on retrouve comme indiqué plus tôt au sommaire de ce tome 1 de Porcherie. Aussitôt, une évidence s’est imposée : on ne pouvait conclure que par ce texte. Nous avons donc modifié le sommaire prévisionnel en conséquence.

 

Voilà le message que j’avais envoyé à l’auteur après avoir lu son récit : « Aujourd'hui, il fait beau, le ciel est bleu et le soleil brille. Alors c'est pas que j'étais d'humeur joviale, hein (ce qui serait de toute façon contraire à mon absence totale de religion), mais bon, ça allait à peu près, quoi. Et là, ton texte arrive ». J’étais sincère. Sincère, et d’autant plus enthousiaste qu’à cette époque une réédition revue et augmentée de Porcherie était déjà dans les tuyaux. Mais le projet a capoté. Aujourd’hui, il est évident que c’était un mal pour un bien. Alors bravo et merci aux Crocs Électriques, qui pour le coup méritent vraiment leur nom : la totale des textes courts de Christophe Siébert en quatre volumes, on peut dire que ça tranche de façon électrisante.

 

 

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