GORE, première partie
De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts : les Français de la collection Gore.
Tout a déjà été dit à propos de la collection Gore. Du moins je le pensais en 2014, quand est paru chez Artus Films l’extraordinaire ouvrage de David Didelot Gore : Dissection d’une collection. Mais David lui-même étant revenu à plusieurs reprises sur les lieux de son crime depuis la parution de ce livre, l’idée d’un petit article a commencé à me trotter dans la tête. Après une réflexion si mûre qu’elle en vint à flirter dangereusement avec le pourrissement, l’idée m’apparut telle une blessure sur une paume de stigmatisé : le sang, c’est la vie ! Certes, la collection Gore est morte depuis longtemps. Mais comme mon but n’est pas de me recueillir sur des tombes, ni de profaner des sépultures, pourquoi ne pas aborder moi-même en tout bien toute horreur quelques-uns des romans Gore qui m’ont le plus impressionné ?
Ainsi sera-t-il donc, rouge sur rouge, et « let me introduce myself in you » (pardon my french). Ou plutôt non, pas pardon. Et cette fois, c’est en français dans le texte. Car à mes yeux, les meilleurs Gore ont justement été écrits par des auteurs français. Or pour une fois que les fromages qui puent se révèlent plus doués que les Anglo-Saxons dans le domaine de la culture populaire, on ne va certainement pas s’en excuser. Et puis quoi, encore. En tout cas, une chose est sûre : sans Nécrorian et Corsélien, je ne serais pas en train d’écrire ces lignes.
Ces deux auteurs, mieux connus sous d’autres pseudonymes (Jean Mazarin et Kââ alimentèrent aussi avec bonheur la collection Spécial-Police, toujours au Fleuve Noir), ont livré les Gore les plus extrêmes et transgressifs avec une totale liberté de ton et un style unique. C'est de l’horreur froide et sans humour, du noir sur rouge qui attaque en profondeur, de la littérature « dans ta face » (certains diraient « dans ton c... »), ça fait très mal et ça ne se rattrape jamais au lavage. Personnellement, je suis sorti transformé de ces lectures.
Daniel Riche, fondateur et directeur de la collection Gore, s’attacha en outre à proposer à ses lecteurs avides d’autres romans écrits par des auteurs « maison ». C’est ainsi que G.J. Arnaud, Pierre Pelot, André Caroff, Kurt Steiner, Jean-Pierre Andrevon et Joël Houssin trempèrent tour à tour avec bonheur leur plume dans le sang. Ces brillants transfuges des séries Angoisse, Anticipation et Spécial-Police donnèrent ainsi à la collection un cachet qui l’éloignait du ghetto de l’exploitation, inventant sans le vouloir une sorte de « label rouge » à la française ! À ce titre, Bruit crissant du rasoir sur les os, de Corsélien, fait figure de mètre étalon : c’est un grand roman, brillamment écrit, et ce chemin de croix psychotique et sanglant possède un style et une singularité à faire pâlir d’envie bien des « fantastiqueurs » traditionnels…
Enfin, je recommanderai aussi la lecture des huit romans signés par le duo Éric Verteuil pour la collection Gore, même si la quantité n’est pas forcément symptomatique de qualité. Cela étant, si au début de l’aventure, chaque contributeur français a vu le truc comme un défi, il convient de distinguer ceux qui se sont frottés indistinctement à tous les genres populaires, sans goût particulier pour celui-ci, de ceux qui se sont pris au jeu et ont aimé ça au point de persister. Et les Verteuil aimaient le Gore. Un peu. Beaucoup. Passionnément. Alors oui, je conseillerai toujours à un amateur de la collection Angoisse Grand-Guignol 36-88, de Kurt Steiner (Gore 62) et Extermination, d'André Caroff (Gore 83), qui sont deux sacrés bouquins. Des contributions comme celles-là ont indéniablement donné leurs lettres de « noblesse » à la collection. En sont-elles représentatives pour autant ? Pas plus que les romans d’Éric Verteuil.
Malgré tous ces exemples, il en restera toujours pour prétendre que cette littérature malséante et nauséabonde n’a que peu de rapports avec l’imaginaire, arguant que le gore est au fantastique ce que la pornographie est à l’érotisme. À ces esprits chagrins, je répondrai ceci : une approche aussi frontale, brutale, voire bestiale que celle d’un Nécrorian dans Blood-sex (ou quand un titre se fait quintessence) ne verse-t-elle pas à force d’outrances et de transgressions dans l’irrationnel le plus sauvage ? De la même manière, un film aussi brillant et extrême que Cannibal holocaust est certes une sorte de manifeste du « nécro-réalisme », mais n’est-il pas pour autant difficile d’y croire ? En définitive, la confrontation directe avec l’horreur la plus pure ne peut-elle être perçue comme l’étape terminale du Fantastique ?
Terminale, ou pas. Car si les auteurs français sont l’arbre qui cache la forêt, les Goreux anglo-saxons pourraient bien avoir envie de sortir du bois. To be continued…
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