L'ambassadeur des âmes - Dominique Rocher

Les frissons de l’angoisse : L’ambassadeur des âmes, de Dominique Rocher.
Dominique Rocher se fit connaître par l'intermédiaire d’une série de neuf romans parus entre 1969 et 1974 au sein de la fameuse collection « Angoisse ». Ainsi que certains titres le laissent entendre (Les voyances du docteur Basile, Le docteur soigne sa veuve, La clinique de la mort), la dame avait coutume de situer ses intrigues dans un milieu médical et hospitalier qu'elle connaît bien, ayant elle-même suivi des études d'infirmière. Une constante qui donne un charme particulièrement vénéneux à ses romans, dont deux ont été réédités en 2010 dans la collection Noire de Rivière Blanche sous le beau titre générique L'ambassadeur des âmes.
Témoin de la politique de l’éditeur, qui brouille avec hardiesse les cartes passé/présent/futur grâce à une judicieuse alternance entre inédits et rééditions, cet omnibus propose en outre cinq nouvelles (dont celle qui donne son titre au recueil), ainsi qu’une interview et la bibliographie de l’auteur. Un sommaire à la fois dense et alléchant, dont les lecteurs gourmets suivront ou pas l’agencement, selon qu’ils tiennent les cinq nouvelles pour un apéritif, un trou normand ou un pousse-café… Précision d’importance : ces courts récits ont été écrits vingt-cinq ans après les romans et, si trois d’entre eux conservent la toile de fond médicale propre à l’univers de Dominique Rocher, ils s’inscrivent néanmoins dans une veine à la fois plus « moderne » (Internet…) et plus sarcastique - le principe de la nouvelle « à chute » étant ici pimenté d’une dose d’humour noir qui vient questionner avec malice la notion de genre…
L’homme aux lunettes noires, le premier des deux romans, s’avère quant à lui d’une toute autre nature. Retraçant à la première personne et au présent la fuite en avant d’une jeune femme prénommée Marie, l’ouvrage distille dès ses premières pages un épais climat de malaise. Le terrible conflit intérieur d’une mère encore femme qui désire refaire sa vie à l’étranger avec son amant est en effet éclipsé par une machination meurtrière aux conséquences incalculables… Car Marie va devoir partir seule à New Delhi. Seule, vraiment ? Et qui est cet homme aux lunettes noires qu’elle ne cesse de croiser ? Que veut-il ? Pourquoi son amant ne donne t-il aucune nouvelle ? Peut-elle faire confiance à ce guide qu’elle n’a pas choisi ? C’est ainsi que Marie va découvrir en compagnie du trouble Rani une Inde de cauchemar, basculant peu à peu d’une sourde inquiétude à une terreur incontrôlée dont elle ne s’éveillera que dans des circonstances tragiques. Entre perte des repères et peur de l’inconnu, l’auteur délivre ici, grâce à un style sec et nerveux - il n’est pas surprenant qu’elle écrive aujourd’hui des polars - un vrai modèle d’ « Angoisse » au doux parfum de Giallo…
Humeur rouge, rebaptisé Humeur à l’occasion de cette réédition, illustre pour sa part l’adage selon lequel certains psychiatres seraient plus fous que leurs patients. Optant pour une structure binaire (un chapitre sur deux est consacré à la psychanalyse proprement dite, et l’autre, très judicieusement, dépeint l’impact de la thérapie sur… le médecin !), Dominique Rocher retrace ainsi avec finesse la lente dégradation de l’état mental de son protagoniste principal. Spécifions tout de même que le « patient » ne l’est guère, et que son analyse ne tardera pas à révéler des tendances psychotiques d’une perversité assez inattendue… D’où un jeu du chat et de la souris ponctué de brusques sautes… d’humeur aussi crispantes que cruelles. Affrontement larvé aux allures de bras de fer à distance, la relation entre les deux hommes va peu à peu se dégrader, jusqu’à prendre une orientation flirtant avec le sado-masochisme. Des effets secondaires à l’état second, il n’y aura désormais plus qu’un pas…
Des effets secondaires à l’étape seconde, je pourrais même, si je l’osais, me faire en la circonstance, non pas « L’ambassadeur des âmes », mais bien celui des sept « Angoisse » de Dominique Rocher qui restent à rééditer… Non seulement en raison de leurs qualités, mais aussi pour rappeler à quel point certains de ces romans ont pu poser les bases de ce que l’on qualifie désormais de Thriller Fantastique. Messieurs de Rivière Blanche, à bon entendeur…
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