Silhouettes de mort sous la lune blanche - Kââ
Sur la trace du serpent : Silhouettes de mort sous la lune blanche, de Kââ.
Trente ans se sont écoulés depuis la parution de ce roman. Et douze depuis la disparition de son auteur. Cet auteur, c’était Pascal Marignac, professeur de philosophie et écrivain noir et rouge. Pascal Marignac, alias Kââ, aussi connu sous les pseudonymes de Corsélien et Béhémoth, pour cinq romans effroyables et hallucinés publiés dans les collections Gore et Maniac entre 1987 et 1990. Assez pour laisser une empreinte indélébile dans l’esprit des amateurs. Assez pour que certains, comme votre serviteur, considèrent ces brûlots comme autant de pépites, et celui qui les a écrits comme l’un des tout meilleurs contributeurs du genre. Et comme un très grand écrivain tout court.
En effet, Pascal Marignac, avant d’accepter de se dédoubler pour servir la cause de la littérature qui tache comme nombre d’auteurs du Fleuve Noir (Jean Mazarin/Nécrorian, Eric Verteuil, Joël Houssin, G.J. Arnaud), avait déjà signé une demi-douzaine de romans noirs. Silhouettes de mort sous la lune blanche fut ainsi le premier d’une série de quinze livres parus en l’espace d’autant d’années. Et d’emblée il posait les bases de ce qui allait devenir une véritable marque de fabrique. La fosse était creusée, il n’y avait plus qu’à y balancer les corps.
Un anti-héros, une fuite en avant marquée par la violence et les tueries, une société pourrie de l’intérieur, un climat de méfiance obsessionnelle (chez Kââ, personne n’est dupe), l’ombre de la trahison qui rôde et le poids d’un implacable destin qui toujours viendra écraser indistinctement coupables et victimes – à supposer que le statut de victime existe dans les romans de Pascal Marignac, ce qui n’est pas certain. Avec un style tout en ruptures, des phrases courtes et sèches, et de loin en loin un zeste d’ironie afin de pimenter l’angoisse.
Car malgré tout, Kââ aura quand même épargné un de ses personnages durant son parcours semé de cadavres littéraires. Le tueur dandy et anonyme « Monsieur Cinquante » interviendra dans sept de ses romans. Mais il ne faut pas y voir une volonté de se raccrocher à la notion de « héros récurrent ». La figure de « Monsieur cinquante » n’est pas là pour rassurer ni pour faciliter l’identification. L’homme est un mercenaire, et il exécute ses contrats avec talent mais sans états d’âme. Tout comme son créateur écrit ses livres.
En fait, Kââ pourrait presque ressembler à un chaînon manquant entre Manchette et Ellroy. La même sécheresse, la même âpreté, la même plume affûtée comme un scalpel pour produire ce doux Bruit crissant du rasoir sur les os, la même justesse de ton, la même rigueur impitoyable, mais… Sans la conscience politique du premier, et avec les cauchemars nihilistes du second. Kââ, c’est la terrible acuité d’une intelligence farouche percutée de plein fouet par l’individualisme désespéré des années 80. Kââ, c’est ce qui reste quand il n’y a plus rien. Le froid baiser du serpent. Le regard noir d’un .357 Magnum pointé sur vous.
Bien sûr, rien ne vous oblige à me faire confiance. Voilà pourquoi je me permets de conclure cette chronique par les propos d’un certain Serge Brussolo. L’année où Pascal Marignac a disparu, l’auteur du Chien de minuit et de Conan Lord occupait les fonctions de directeur de collection aux éditions du Masque. Et il avait pris la décision de rééditer Petit renard, de Kââ. Voici la dernière phrase de sa préface au roman : « Saisissez aujourd’hui la chance qui vous est offerte, loin des battages médiatiques, découvrez enfin LE meilleur auteur de roman noir de ces vingt dernières années. »
Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 172, janvier / février 2015.
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