La belle nuit pour un homme mort - Henri Vernes

Publié le par Léonox

 

Morituri te salutant : La belle nuit pour un homme mort, d’Henri Vernes.

 

Il y a les livres qu’on dévore, et ceux qui nous dévorent. Il y a des lectures éclairantes, et d’autres qui éveillent notre « part des ténèbres ». Et il y a les moments précieux entre tous, entre chien et loup, où vous allez tomber au champ d’horreur comme certains tombent amoureux. Oui, parce qu’on ne peut que « tomber » sur un roman comme La belle nuit pour un homme mort, comme on tombe de Charybde en Scylla. On ne peut que tomber des nues en découvrant qu’un ouvrage aussi noir et halluciné a été signé par le créateur de Bob Morane.

Et puis, on ne peut que tomber sous le charme de ces pages pleines d’une rage si frénétique, d’un désespoir si intense, qu’elles conduisirent le grand Léo Malet à dire de ce livre incroyable : « C’est l’un de mes préférés ». Écrit en 1947 et publié en 1949, période charnière à l’odeur de charnier s’il en est, La belle nuit pour un homme mort s’évapora ensuite pendant près de soixante ans avant de finalement reparaître en 2007. Comme si les éditeurs avaient d’un commun accord décidé de préserver leur lectorat d’un contenu aussi offensant.

Mais justement, de quoi parle-t-il, ce fameux roman, enfin ? Eh bien, c’est assez simple : tout est dans le titre. Brand a décidé de mourir. Et rien ni personne ne l’en empêchera. C’est ainsi que nous cheminons à ses côtés, dans un Paris de cauchemar, où sa dernière nuit sera consommée/consumée comme la cigarette du condamné. Et nous voyons par ses yeux un monde apocalyptique, peuplé de créatures d’épouvante, de femmes fatales et d’hommes qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Un monde confronté à sa propre inanité, qui tourne en boucle sur lui-même, et convoque un cortège de souvenirs amers pour les mêler, en une danse macabre et obscène, à des anticipations effroyables.

Un monde-orgie, que Brand traverse comme un fantôme pervers en se raccrochant à tous ses actes manqués et autres actions ratées. Et il ne se contente pas de prendre un plaisir masochiste à se confronter à son passé. Ce serait trop facile, et ça ne lui suffirait pas. Non, s’il a décidé d’aller jusqu’au bout de sa propre nuit, il a aussi besoin de contaminer, d’avilir, de souiller. Alors il cherche. N’hésite pas à corrompre l’innocence quand il la rencontre. Et s’il ne trouve pas, il invente. Tous les moyens sont bons pour fuir cet atroce vide intérieur qui le ronge. Même s’il sait qu’aucune rencontre ne pourra rien changer à sa décision. C’est là tout le paradoxe de ce mort en sursis, qui le temps d’une nuit va réussir, à force d’autosuggestion, à fondre tout ce qui l’entoure en une seule et même gigantesque raison d’en finir.

Alors oui, La belle nuit pour un homme mort est un roman noir. Mais un roman noir avec des tripes. Et des boyaux, aussi. Qu’on se le dise, la littérature gore ne fut pas créée ex nihilo dans les années 80. Cette terrible odyssée en est la preuve. Le Gore est sorti des camps de la mort, paré de l’abominable tenue rayée dissimulant de pauvres corps profanés, et de sa rencontre avec le Polar sont nées quelques œuvres inclassables et définitives, sans doute trop en avance sur leur temps. Henri Vernes, six ans avant de créer la valeureuse figure chevaleresque de Bob Morane, a écrit l’une d’entre elles. Et j’avoue que ce sale roman noir et rouge m’a terrassé. Mais je le relirai. Si je l’ose.

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