Articles avec #riviere blanche tag

Mémoires d'un compagnon de l'ombre # 1

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

Mémoires d’un compagnon de l’ombre 1 : esprit de corps.

 

Ce texte, dont le titre constitue un emprunt en forme de clin d’œil à Jean-Marc Lofficier, a déjà été publié sur ce blog. Mais une actualisation s’imposait. Aussi l’ai-je largement augmenté, puis redécoupé en quatre parties. Dont voici la première.

 

Rivière Blanche est un cas à part dans le petit monde du Fantastique et de la Science-fiction français. La genèse de cette maison d’édition indépendante est à elle seule intrigante : Rivière Blanche est en fait une émanation de Black Coat Press, entité américaine fondée par Jean-Marc Lofficier proposant des romans de Fantastique et de Science-fiction français… traduits en anglais ! Malgré quelques points communs entre les deux catalogues (Les Compagnons De l’Ombre devenant Tales of the shadowmen outre-Atlantique), les deux structures sont toutefois dotées d’identités bien distinctes. Si Black Coat Press se consacre pour l’essentiel à la période fin 19ème/début 20ème, Rivière Blanche, fondée en 2004, s’inscrit dans la tradition des prestigieuses collections Anticipation et Angoisse, issues de l’âge d’or du Fleuve Noir, sans pour autant miser sur des rééditions systématiques, loin s’en faut…

 

Seul maître à bord – avec Jean-Marc Lofficier – naviguant sur les eaux tumultueuses de la Rivière Blanche, Philippe Ward, en tant que directeur que collection, tient en effet à proposer un maximum de textes inédits. S’il est le garant d’un certain esprit populaire et nostalgique intimement lié aux références évoquées plus haut, il a néanmoins la volonté, et c’est tout à son honneur, de donner leur chance à de jeunes plumes prometteuses, sans oublier d’aller rechercher de loin en loin quelques grands anciens qui rêvent et dorment par-delà le mur du sommeil… C’est ainsi que la ligne « Blanche » (Anticipation/SF) s’est construite dans un esprit « rétro-futuriste », proposant une salutaire alternance entre des auteurs comme Thomas Geha, Laurent Whale ou Alain Blondelon, et la « vieille garde » du Fleuve Noir, incarnée par des pointures tels P.-J. Hérault, Jean-Pierre Andrevon ou Daniel Piret.

 

Notons cependant que si la « Blanche » a valeur de figure de proue, avec ses 154 livres édités à l’heure où j’écris ces lignes, cet arbre luxuriant ne doit pas pour autant cacher la forêt. Car le catalogue de Rivière Blanche est vaste. Très vaste, même. La « Noire », qui fera l’objet à elle seule de mon deuxième billet, vient par exemple de franchir le cap des 100 titres. Soit un total incroyable de 254 ouvrages, auxquels il convient encore d’ajouter les quelque 150 volumes publiés dans les collections Fusée/Dimension (anthologies et recueils de nouvelles dédiés à des thématiques ou des auteurs spécifiques), Baskerville (qui permet à Jean-Daniel Brèque de proposer des romans et recueils dus aux grands auteurs de l'Angleterre victorienne) et Hors-série/Artbooks (où sont rassemblés les livres « hors-genre » et autres inclassables).

 

Seule ombre au tableau, le manque de visibilité de ces ouvrages, prix de la farouche indépendance de Black Coat Press, pénalise quelque peu son catalogue pléthorique. Mais il arrive parfois que la Rivière sorte de son lit… Un certain nombre de titres ont ainsi été réédités chez Michel Lafon, Bragelonne, Critic, Hélios, Le Moutons Électriques et… TRASH. Mais l’heure n’est pas encore venue de faire de cet article une affaire personnelle. Je préfère pour l’instant laisser cette présentation parler d’elle-même, car elle établit de manière indiscutable que Rivière Blanche s’est imposé au fil des ans comme un label de référence, prouvant parution après parution que la quantité ne nuisait en rien à la qualité. Ce que je vous laisse le soin de vérifier toutes affaires cessantes sans attendre la suite de mon petit feuilleton.

 

 

Voir les commentaires

Le retour du taxidermiste - François Darnaudet

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

Contes de la folie (extra)ordinaire : Le retour du taxidermiste, de François Darnaudet

 

François Darnaudet n’a que 26 ans lorsque paraît Le taxidermiste (écrit à quatre mains avec Thierry Daurel), premier roman de ce diptyque halluciné. Et le moins que l’on puisse dire est que l’homme y fait déjà montre d’un talent... fou, ce qui tombe plutôt bien dans un tel contexte. Après ce coup d’éclat, l’auteur se construit une brillante carrière, fréquentant tous les mauvais genres de la littérature populaire (du Polar au Fantastique sous oublier le Gore) et passe tout naturellement du Fleuve Noir à la Rivière Blanche au milieu des années 2000.

Rivière Blanche qui réédite donc Le taxidermiste en 2008, accompagné de sa suite inédite Le club des cinq fous, rédigée par le seul François Darnaudet. Et comme si l’objet n’était déjà pas assez étrange comme ça, ce recueil intègre la collection « Blanche » de l’éditeur, laquelle a pour vocation d’accueillir des textes relevant de la Science-fiction, du Space opera ou du Post-apo ! Mais ne nous y trompons pas : Le retour du taxidermiste appartient bel et bien au genre Noir, même s’il faut admettre que l’auteur y a injecté une solide dose de rouge…

Albert Cziffram, Hector Balsinfer, Ali M’Gari et Jacques Marioton sont cinglés. Complètement cinglés. Le quatuor a pour habitude de se réunir dans une bibliothèque du cinquième arrondissement pour échafauder d’absurdes théories et poursuivre d’obscures recherches. Jusqu’au jour où la découverte d’un traité ésotérique intitulé Bedouck, et plus particulièrement le chapitre La réincarnation par la taxidermie, va faire atteindre le point de non-retour à trois des quatre olibrius. Trois seulement, car Jacques Marioton a franchi la ligne depuis un bon moment, et la taxidermie n’a déjà plus de secrets pour lui. Ou presque.

Jacques Marioton est un tueur de femmes. Mais plutôt que des les empailler, il préfère leur faire avaler toutes sortes de métaux avant d’étudier les réactions de leur organisme. Une approche de la taxidermie originale, à défaut d’être concluante. Seulement l’homme a commis une erreur. Il s’en est pris à la petite amie de l’inspecteur de police Charles Jabert. C’est ainsi que le roman rejoint le genre Noir par la bande. En effet, s’ils présentent en détail les activités dégénérées de la confrérie, les deux auteurs n’en oublient pas pour autant de décrire l’enquête menée par Jabert. Jusqu’à l’inévitable et fatale rencontre entre tous les protagonistes…

Prolongement direct du premier opus, Le club des cinq fous, écrit par François Darnaudet en 1990, était resté inédit jusqu’à cette édition « intégrale ». Et il aurait été vraiment regrettable de ne pouvoir découvrir un tel roman, tant il pousse le principe du fameux « bigger and louder », utilisé pour qualifier la surenchère propre aux suites, dans ses derniers retranchements. Plus de meurtres, plus de gore, plus d’iconoclasme, plus d’échanges débridés et d’expérimentations démentes : les fous ont recruté de nouveaux adeptes, et ça se sent ! D’autant plus qu’Albert Cziffram a mystérieusement disparu, et que les membres de la secte sont prêts à payer de leur personne pour qu’il revienne parmi eux. Enfin, prêts à faire payer d’autres personnes, surtout… Le club des cinq fous s’avère ainsi encore plus haut en couleur et généreux que son prédécesseur (ce qui n’est pas une mince performance) et constitue une expérience de lecture aussi singulière que plaisante.

Véritable curiosité, Le retour du taxidermiste est donc à conseiller sans réserve à tous les amateurs de romans noirs qui sortent vraiment des sentiers battus. Assurément, ils ne seront pas déçus du voyage. À condition qu’ils en reviennent sains (d’esprit) et saufs, bien entendu.

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 176, septembre / octobre 2015.

Voir les commentaires

Quai des âmes - Dominique Rocher

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

L’hôpital et ses fantômes : Quai des âmes, de Dominique Rocher.

 

Trois ans après avoir proposé l’omnibus L’ambassadeur des âmes, paru lui aussi dans la collection « Noire », Rivière Blanche offre en décembre 2013 un superbe cadeau de Noël à son lectorat avec cet inattendu Quai des âmes, dont le caractère inclassable devrait ravir et surprendre à la fois les amateurs de Dominique Rocher. En effet, ce nouveau livre, en dépit d’un titre assez proche de son prédécesseur, s’en distingue nettement, dans le fond comme dans la forme. Tout d’abord, il ne s’agit pas ici d’une réédition. Car si le volume précité contenait les deux romans L’homme aux lunettes noires et Humeur, jadis édités au sein de la prestigieuse collection « Angoisse », celui-ci est composé de trois récits inédits. Et le moins que l’on puisse en dire est que s’ils portent indéniablement la patte de l’auteur, il n’est pas question pour Dominique Rocher d’oublier le passé en se condamnant à le revivre. Pour elle, la page est tournée, ce qui tombe plutôt bien dès lors qu’il est question de littérature.

Le roman Quai des âmes, qui donne son titre au recueil, révèle par exemple une approche très différente de celle à laquelle l’auteur nous avait accoutumés. Certes, nous nous trouvons une fois encore dans un contexte hospitalier qui rappellera de bons souvenirs aux lecteurs familiers des récits « chirurgicaux » de la dame, mais l’intrigue ne semble pas régie par les mêmes principes. Comme si Dominique Rocher adaptait son écriture aux patients qu’elle nous présente, pour mieux épouser les contours fragiles et changeants de leurs tourments. Balbutiements, hésitations, phrases qui tournent en boucle comme des comptines enfantines, ritournelles obsessionnelles, visions bizarres et décalées, tout concourt à faire de ce récit une vraie curiosité distillant un doux parfum de menace rehaussé de troubles fulgurances amères. Quai des âmes, ou quand le surréalisme médical en vient à croiser une angoisse diffuse…

Quant à Ned et Olga, ce sont des romans-miroirs, deux variations sur un même thème, presque deux faces d’une même pièce, et cette pièce est plus grande à l’intérieur qu’il n’y paraît de l’extérieur, cette pièce est vide et blanche, on ne peut en sortir, il y a des bruits de pas dans le couloir et déjà quelqu’un frappe à la porte… Grâce à un style tout en saccades et en ruptures de ton, l’auteur promène son lecteur d’énigmes en ellipses, pour mieux faire surgir d’un coin d’ombre, au moment où on ne les attendait plus, d’étranges révélations en forme de poupées gigognes. Car au-delà des apparences, c’est tout le réel qui se mue en trompe-l’œil. Ned et Olga ressemblent ainsi à une Alice éperdue qui, passée de l’autre côté du miroir, y rencontrerait un clone d’Edgar Poe. Lequel ne manquerait bien entendu pas de lui susurrer : « tout ce que nous voyons ou paraissons n’est qu’un rêve à l’intérieur d’un rêve »…

Plus psychédéliques – dans le sens « expérimental » du terme – que psychanalytiques, Quai des âmes, Ned et Olga sont des romans aussi insoumis qu’hypnotiques, probablement insortables, car trop originaux, ailleurs que chez un éditeur courageux comme Rivière Blanche. Dominique Rocher y met à rude épreuve nos réflexes conditionnés, elle papillonne avec délicatesse d’un genre à l’autre, et parvient à pousser les murs de nos prisons aux barreaux dorés sans jamais avoir recours à la violence. Voilà donc un triple tour de force, dont le rayonnement libérateur vient caresser dans un même mouvement auteur, personnages… et lecteurs. Vous ne me croyez pas ? Alors plongez-vous dans Quai des âmes, et vous verrez. Vous en ressortirez avec la délicieuse sensation d’avoir vécu une expérience à nulle autre pareille. Et vous remercierez le docteur Dominique Rocher car vous respirerez mieux après.

NDLR : Certains passages de ce texte sont extraits de la préface de Quai des âmes. J’ai en effet eu l’honneur de la rédiger, à la demande conjointe de Dominique Rocher et du directeur de collection de Rivière Blanche Philippe Ward. Qu’ils soient une nouvelle fois remerciés tous les deux pour la confiance qu’ils m’ont témoignée, et pour m’avoir associé l’espace de quelques pages à un des ouvrages les plus envoûtants qu’il m’ait été donné de lire.

Voir les commentaires

L'ambassadeur des âmes - Dominique Rocher

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

Les frissons de l’angoisse : L’ambassadeur des âmes, de Dominique Rocher.

 

Dominique Rocher se fit connaître par l'intermédiaire d’une série de neuf romans parus entre 1969 et 1974 au sein de la fameuse collection « Angoisse ». Ainsi que certains titres le laissent entendre (Les voyances du docteur Basile, Le docteur soigne sa veuve, La clinique de la mort), la dame avait coutume de situer ses intrigues dans un milieu médical et hospitalier qu'elle connaît bien, ayant elle-même suivi des études d'infirmière. Une constante qui donne un charme particulièrement vénéneux à ses romans, dont deux ont été réédités en 2010 dans la collection Noire de Rivière Blanche sous le beau titre générique L'ambassadeur des âmes.

Témoin de la politique de l’éditeur, qui brouille avec hardiesse les cartes passé/présent/futur grâce à une judicieuse alternance entre inédits et rééditions, cet omnibus propose en outre cinq nouvelles (dont celle qui donne son titre au recueil), ainsi qu’une interview et la bibliographie de l’auteur. Un sommaire à la fois dense et alléchant, dont les lecteurs gourmets suivront ou pas l’agencement, selon qu’ils tiennent les cinq nouvelles pour un apéritif, un trou normand ou un pousse-café… Précision d’importance : ces courts récits ont été écrits vingt-cinq ans après les romans et, si trois d’entre eux conservent la toile de fond médicale propre à l’univers de Dominique Rocher, ils s’inscrivent néanmoins dans une veine à la fois plus « moderne » (Internet…) et plus sarcastique - le principe de la nouvelle « à chute » étant ici pimenté d’une dose d’humour noir qui vient questionner avec malice la notion de genre…

L’homme aux lunettes noires, le premier des deux romans, s’avère quant à lui d’une toute autre nature. Retraçant à la première personne et au présent la fuite en avant d’une jeune femme prénommée Marie, l’ouvrage distille dès ses premières pages un épais climat de malaise. Le terrible conflit intérieur d’une mère encore femme qui désire refaire sa vie à l’étranger avec son amant est en effet éclipsé par une machination meurtrière aux conséquences incalculables… Car Marie va devoir partir seule à New Delhi. Seule, vraiment ? Et qui est cet homme aux lunettes noires qu’elle ne cesse de croiser ? Que veut-il ? Pourquoi son amant ne donne t-il aucune nouvelle ? Peut-elle faire confiance à ce guide qu’elle n’a pas choisi ? C’est ainsi que Marie va découvrir en compagnie du trouble Rani une Inde de cauchemar, basculant peu à peu d’une sourde inquiétude à une terreur incontrôlée dont elle ne s’éveillera que dans des circonstances tragiques. Entre perte des repères et peur de l’inconnu, l’auteur délivre ici, grâce à un style sec et nerveux - il n’est pas surprenant qu’elle écrive aujourd’hui des polars - un vrai modèle d’ « Angoisse » au doux parfum de Giallo…

Humeur rouge, rebaptisé Humeur à l’occasion de cette réédition, illustre pour sa part l’adage selon lequel certains psychiatres seraient plus fous que leurs patients. Optant pour une structure binaire (un chapitre sur deux est consacré à la psychanalyse proprement dite, et l’autre, très judicieusement, dépeint l’impact de la thérapie sur… le médecin !), Dominique Rocher retrace ainsi avec finesse la lente dégradation de l’état mental de son protagoniste principal. Spécifions tout de même que le « patient » ne l’est guère, et que son analyse ne tardera pas à révéler des tendances psychotiques d’une perversité assez inattendue… D’où un jeu du chat et de la souris ponctué de brusques sautes… d’humeur aussi crispantes que cruelles. Affrontement larvé aux allures de bras de fer à distance, la relation entre les deux hommes va peu à peu se dégrader, jusqu’à prendre une orientation flirtant avec le sado-masochisme. Des effets secondaires à l’état second, il n’y aura désormais plus qu’un pas…

Des effets secondaires à l’étape seconde, je pourrais même, si je l’osais, me faire en la circonstance, non pas « L’ambassadeur des âmes », mais bien celui des sept « Angoisse » de Dominique Rocher qui restent à rééditer… Non seulement en raison de leurs qualités, mais aussi pour rappeler à quel point certains de ces romans ont pu poser les bases de ce que l’on qualifie désormais de Thriller Fantastique. Messieurs de Rivière Blanche, à bon entendeur…

Voir les commentaires

La mort en partage - Nécrorian / Jean Mazarin

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

Entre deux guerres : La mort en partage, de Nécrorian et Jean Mazarin.

 

Deux romans. Deux pseudonymes. Mais un seul volume et un unique auteur pour mieux évoquer les horreurs de la guerre. Et invoquer les créatures qui s’en repaissent. À l’image des monstres qui le hantent, Djinns est un roman qui vient de loin. Entrepris il y a vingt-cinq ans et destiné à la collection Gore, ce récit était resté inachevé suite à l’interruption de la série. Puis il y eut en 2012 l’affaire des Plaques chauffantes, déjà chez Rivière Blanche, qui marqua le grand retour de Nécrorian. Une résurrection aussi spectaculaire que bien accueillie, car elle prouva avec fracas que le terrible alter ego de Jean Mazarin avait toujours le goût du sang… Ce que ces Djinns extirpés des profondeurs de l’histoire viennent rappeler aujourd’hui.

Algérie, 1957. Des légionnaires venus des quatre coins d’Europe dressent le bilan de leur dernier affrontement avec les fellagas. Soixante-trois morts. Une véritable hécatombe. Pourtant, ce n’est qu’un début. Car un autre ennemi rôde dans le désert, et il est beaucoup plus dangereux. Après avoir interrompu la fuite éperdue du jeune Ali, une équipe décide d’aller vérifier les dires de l’adolescent. Car celui-ci ne cesse de répéter « ils sont tous morts », et ce n’est pas des fellagas qu’il parle, mais des habitants de son village…

Or il s’avère qu’Ali avait raison. El Okbah n’est plus qu’un charnier à ciel ouvert. Et les hommes de Kurt s’aperçoivent avec dégoût que les victimes ont littéralement été réduites en charpie. Cependant, comme la nuit est tombée entretemps, ils n’ont plus d’autre choix que de passer la nuit dans le village. Une décision qu’ils ne vont pas tarder à regretter amèrement.

C’est le moment choisi par l’auteur pour fracturer son récit en nous projetant dans un passé presque oublié. Toutefois, loin d’amener une distance qui viserait à atténuer l’horreur de la situation, les chapitres épousant le point de vue d’Oqba le Conquérant ne font que l’augmenter. Empalements, égorgements, éventrations, viols collectifs : aucun doute, Djinns est bel et bien un roman estampillé Nécrorian, qui n’a rien perdu de sa verve gore.

Mais ces effets ne sont pas gratuits. Car cette débauche d’atrocités permet de remonter aux sources du mal pour mieux dépeindre ses conséquences sur le présent. Et sur l’avenir… Certains lieux sont sacrés, et malheur à ceux qui les profanent par leur présence. Chacun des légionnaires fera ainsi les frais d’une vengeance immémoriale, dont la moins cruelle ne sera pas celle qui, plutôt que des geysers de sang, fera couler une simple flaque d’eau…

Autres temps, autres meurtres avec L’hiver en juillet, qui retrouve enfin son titre initial. Publié une première fois dans l’éphémère collection « Science Fiction » lancée en 1988 par Patrick Siry, l’ouvrage, signé à l’époque Emmanuel Errer, s’appelait bien à l’origine L'hiver en juillet. Ce n’est que lors de sa réédition cinq ans plus tard au Fleuve Noir, au sein de la tout aussi brève collection « Angoisses », qu’il fut rebaptisé Le baigneur. Et afin de mieux brouiller les pistes et effacer le souvenir de sa première vie, il fut cette fois présenté comme un livre de Jean Mazarin. Un seul roman, deux titres et deux pseudonymes fusionnant aujourd’hui grâce à cette version définitive qui s’impose comme le complément idéal à Djinns.

Paris, 1992. Julien est réparateur de poupées anciennes. Un jour, en plein mois de juillet, une femme curieusement emmitouflée en dépit de la chaleur ambiante lui amène un baigneur à la tête enfoncée. Le jeune homme, intrigué par le comportement mystérieux de sa cliente, accepte de s'occuper du poupon. C'est alors que sa vie va basculer. Il se retrouve propulsé cinquante ans plus tôt dans la France de 1942, en pleine furie antisémite. Et cette brèche temporelle ressemble plus à une fracture ouverte qu’à un rêve à l’intérieur d’un rêve…

En lisant L’hiver en juillet, vous sombrerez dans la tourmente d'une période effroyable, vous vous ferez écraser le visage par des bottes à clous, vous aurez peur des loups qui rôdent, vous aurez très froid, même en plein été... Oui, vous penserez parfois à l’auteur de Djinns, pour qui l’innocence n’existe pas. Mais vous songerez aussi aux « Angoisse » du grand Kurt Steiner, pour ce flottement fantastique entre rêve et réalité, et pour l'éclatement de la personnalité du protagoniste principal, perdu entre un passé affreux et un futur impossible. Peut-être même effectuerez-vous un parallèle avec certain récit de Claude Seignolle, intitulé... Les loups verts.

Depuis ma première lecture de L’hiver en juillet, une phrase de Nécrorian me revient de loin en loin en mémoire. Il disait qu’ « un Gore doit être vite écrit, et vite lu ». Alors certes, ce roman, même s’il comporte des scènes terribles, n’est pas un Gore, et j’ignore s’il a été « vite écrit ». En revanche, ce dont je suis certain, c’est que « vite lu » ne signifie pas « vite oublié ». Parce que si j’ai dévoré ce livre en quelques heures, l'image de la femme frileuse continue à me hanter aujourd’hui encore et je crains toujours de sentir la morsure du froid en juillet…

Et si Djinns et L’hiver en juillet n’étaient que les deux faces d’une même pièce ? Dans les deux cas, le passé saute à la gorge du présent pour lui faire sentir son haleine fétide. Dans les deux cas, la brutale intrusion du Fantastique vient achever ceux qu’un impitoyable réalisme aura épargnés. Dans les deux cas, nous avons affaire à un auteur qui prend l’histoire à bras-le-corps et qui ne fait pas de prisonniers. Alors choisis bien ton camp, camarade.

NDLR : Quelques fragments de cette chronique sont issus de la préface de L’hiver en juillet. J’ai en effet eu l’honneur de la rédiger, à la demande du directeur de collection de Rivière Blanche Philippe Ward. J’ai également signé celle de Djinns, sous un autre pseudonyme, mais j’ai préféré ne pas puiser dans ce texte. Ceux qui achèteront le livre comprendront pourquoi.

Voir les commentaires

Panthera contre Faustus (tome 2) - P.A Orloff

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

La belle et la bête : Panthéra contre Faustus, de Pierre-Alexis Orloff.

 

Contre toute attente, ce deuxième volume de la série finit par paraître mi-2011. Un délai assez long, mais la situation de Pierre-Alexis Orloff ne s’est pas arrangée. Comme nous l’apprend la préface de Jean-Marc Lofficier, l’auteur a de nouveau mystérieusement disparu, et semble en proie à de lourds tracas financiers. À quelque chose malheur est bon, Rivière Blanche a ainsi pu récupérer un nouveau tapuscrit, qui prolonge en les épiçant les plaisirs du précédent. Le Faustus du titre n’est d’ailleurs pas étranger à ce piment supplémentaire, car comme tout bon faune qui se respecte, son rapport à la sensualité va bien au-delà du simple fétichisme… Or de telles dispositions ne manquent évidemment pas de faire des étincelles, car Alice n’est pas « seulement » dotée d’une constitution mutante. Elle est aussi l’hôte d’un démon qui lui permet le cas échéant de décupler un potentiel physique déjà très au-dessus de la normale.

Même si la beauté naturelle de la jeune femme se trouve quelque peu altérée quand elle se transforme en Panthéra, Percival Arlington, héritier des Peupliers, est du reste tellement subjugué par ses apparitions qu’il en perd tout sens critique. Au point qu’il ne saurait sans doute définir sous quel aspect il la trouve la plus séduisante… Curieusement, Panthéra/Alice ne semble pas elle-même tout à fait insensible au charme du jeune homme, bien que partageant la vie de Tanya et n’éprouvant a priori guère d’attirance pour les hommes… L’univers dépeint par Pierre-Alexis Orloff, s’il se réfère à tout un pan de littérature populaire issu de l’avant-guerre, est ainsi beaucoup plus ouvertement sexué que les feuilletons d’antan et n’hésite pas à verser par ailleurs dans une violence explicite, faisant de Panthéra une héritière de Musidora et Méphista qui aurait croisé la route de Witchblade et Wolverine.

Mais ce ne sont là que quelques pistes référentielles dont il est bien sûr possible de se passer, car la qualité intrinsèque du livre suffit à procurer ce qu’un lecteur avide d’évasion est venu chercher en ces pages. Bonus non négligeable, ce roman est, tout comme son prédécesseur, fort bien écrit et prouve que la littérature populaire n’est pas incompatible avec l’usage harmonieux de l’imparfait du subjonctif. Dotés d’un rythme alternant en souplesse scènes d’action explosives et passages introspectifs permettant de mieux creuser les personnages, et de montrer pourquoi certaine charmante jeune femme a bien du mal à assumer son statut d’héroïne malgré elle, riches d’une galerie de méchants fort bien campés (mention spéciale à la confrérie d’occultistes cryptonazis, que ne renierait pas un Mike Mignola), les deux volumes de « Panthéra » sont à la fois la prolongation et la résurrection d’un genre…

Prolongation parce qu’émaillés de clins d’œil et « visuellement » connotés, résurrection parce que ce type d’ouvrage fantastico-policier avait disparu dans les nihilistes années 80 pour être remplacé par d’impitoyables thrillers horrifiques, comme si les deux genres ne pouvaient coexister. Mais grâce à Pierre-Alexis Orloff, une nouvelle Alice est allée au pays des merveilles et elle n’en est pas revenue seule en passant à travers le miroir. Raison de plus pour adhérer sans réserve à ce trépidant roman-feuilleton, auquel je ne ferai en définitive qu’un seul reproche : celui de ne pas paraître plus régulièrement… La suite, vite !

Rappel de la chronique du Tome 1 pour les retardataires !

Voir les commentaires

Plaques chauffantes - Nécrorian

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

 

À tout saigneur toute horreur : Plaques chauffantes, de Nécrorian.

 

Nécrorian. Mieux qu’un pseudonyme, un affront. Une gifle, un crachat, une giclée de sang. Une œuvre. Cinq bouquins Gore ultimes, poisseux, brutaux, parus au Fleuve Noir entre 1985 et 1989. Cinq pavés dans la mare stagnante de la bien-pensance littéraire. Les deux Blood-sex, Impacts, Skin killer, Inquisition… Des brûlots en noir et rouge, des miroirs brisés tendus à nos grotesques obscénités, pour mieux fouiller de leurs éclats rouillés notre pauvre condition inhumaine. Ensuite, plus rien. Pendant 22 ans. Un vide affreux, que rien ni personne n’a pu combler. Une plaie béante, à vif, sur ma peau la marque de l’absence, savamment entretenue pour que jamais elle ne cicatrise, au cas où… Et puis, fin 2012, sorti de nulle part, au moment où plus personne ne l’espérait, un nouveau roman. Plaques chauffantes, chez Rivière Blanche.

Alors, qu’en est-il de cet inédit inattendu ? En fait, il s’agit avant tout un polar dystopique, mais il y a quand même des gros bouts de viande dedans. Aucun doute, c’est bien du pur Nécrorian. De la littérature frontale, faciale. Dans ta face et dans ton… Hum. Un polar très cru, très cul même (ce contexte politico-sensuel n’est d’ailleurs pas sans rappeler la crapuleuse série Hard 2004, au Fleuve Noir), mais un polar quand même, où l’on trouve pêle-mêle des flics à la ramasse, une junte militaire, des révolutionnaires, des vieillards obsédés sexuels… et des crimes abominables. Flirtant avec un Post-Apo…litique sec et sexe, ce livre est un brûlot mutant écrit avec une totale liberté de ton et une verve sacrément rafraîchissante.

Et comme Jean Mazarin a, selon les crédits, « bien aidé à terminer ce manuscrit », vous pouvez y aller en confiance, car c'est l'assurance d'un travail carré, nerveux, et d'une rude efficacité. Pour autant, ne vous attendez pas à du Gore old-school, car ce roman est décrit par l’auteur et l’éditeur comme « gore mais pas que ». Et ils ont raison: Plaques chauffantes aurait presque pu être signé Jean Mazarin, si celui-ci avait réussi à contenir le monstre caché dans ses tripes. Mais l'entité Nécrorian n'est pas de celles que l'on muselle, et ses interventions, bien que non systématiques, sont aussi impressionnantes qu'exemplaires.

« Oui, mais justement, quid du gore ? », demanderont sans nul doute les plus gourmets d’entre vous. Eh bien il y en a, fort heureusement, pas à foison certes, mais deux scènes d'une assez ignoble complaisance - l'une narrée et l'autre vécue de l'intérieur - sont là pour rappeler aux amateurs ce qu'est un véritable professionnel de la « pornographie de l'horreur ». Alors au cas où vous seriez en manque de bonne littérature d'exploitation, surtout n'hésitez pas à dévorer cette tranche d’anticipation saignante : c'est du brutal, du généreux, du Noir libertaire comme on l'aime, avec même une petite touche gay-friendly burlesque qui devrait ravir Familles de France et les (frigides) barjots de Civitas.

Pour certains, Le retour du roi est lié à Tolkien et Peter Jackson. En ce qui me concerne, il a eu lieu en décembre 2012, quand mon ami Julien Heylbroeck m'a ramené Plaques chauffantes des Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, orné d'une dédicace de l'auteur. Et depuis lors j’attends le prochain Nécrorian. Car il y aura un prochain, n’est-ce pas, Maestro ?

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 164, septembre / octobre 2013.

 

Mon compère Zaroff a aussi chroniqué ce bouquin ici !

Voir les commentaires

L'effroyable vengeance de Panthera - P.A Orloff

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

Pulp’s not dead : L’effroyable vengeance de Panthéra, de Pierre-Alexis Orloff.

 

Mais qui se cache donc derrière le probable pseudonyme de Pierre-Alexis Orloff ? Ce patronyme est-il une référence à la magnifique Tania Orloff, nièce de l’Ombre Jaune et « secrètement » amoureuse de Bob Morane, personnage populaire bien connu discrètement évoqué dans ce premier volume de Panthéra ? Est-il plutôt lié à la passion qu’éprouve l’auteur pour le cinéma « Bis » et, par conséquent, à L’horrible docteur Orlof du regretté Jesùs Franco ? Présenté avec brio par l’éminent Jean-Marc Lofficier comme un collectionneur passablement névrosé (redondance ?), Orloff ne lui aurait abandonné son tapuscrit qu’avec réticence, avant de disparaître de la circulation. Le roman s’ouvre ainsi sur une délicieuse préface en forme de mise en abyme, mais se conclut aussi par une note de l’éditeur laissant entendre que le sort de l’écrivain aurait pris une tournure pour le moins alarmante…

Cependant, l’objectif de mes chroniques étant de propager efficacement tout virus s’apparentant à un coup de cœur, venons-en aux faits. Et le fait est que le choix de se pencher sur cette série inaugurée par Rivière Blanche fin 2008 s’est imposé de lui-même. Une telle formulation est d’ailleurs assez ambiguë, car a-t-on jamais vu proie choisir son chasseur ? Conçues comme un roman-feuilleton, les aventures de la belle Panthéra happent en effet le lecteur dès les premières pages pour ne le lâcher, épuisé mais heureux, qu’après une avalanche de péripéties n’ayant rien à envier aux meilleurs Fantômas et autres Judex.

De son vrai nom Alice de Sérigny, Panthéra est une jeune femme génétiquement modifiée (d’où son surnom félin et le charme animal qu’elle dégage) qui s’est donné pour mission de retrouver et de châtier les responsables de la mort de ses parents. L’histoire se déroule en 1963, entre la France et l’Angleterre, et il émane de ces douces contrées un parfum rétro si agréable que, suite à l’ouverture des portes du monde de Faërie, centaures, satyres, farfadets et autres nymphes sont venus y influer sans vergogne sur les destinées humaines... Autant de personnages hauts en couleurs qui ont tous d’excellentes raisons de mettre la main sur l’énigmatique jeune femme vêtue de noir laquelle, tout à sa quête de justice, a découvert un début de piste en « visitant » le manoir des Peupliers, demeure de la famille Arlington, sans se douter qu’elle va ainsi déclencher une série de réactions en chaîne.

Car cette propriété située en France est liée à une autre, localisée quant à elle dans le Devonshire, où se déroulent de sinistres cérémonies. Lord et Lady Dunsmore ont jusqu’à présent réussi à préserver le secret entourant leurs coupables activités, mais la situation pourrait bien évoluer si leurs liens avec les parents d’Alice en venaient à être révélés. Or Panthéra continue à recueillir de troublants indices, même si sa célébrité naissance doit l’amener à faire preuve de davantage de prudence. Mais ce diable de Pierre-Alexis Orloff, plutôt que de brûler toutes ses cartouches en une fois, préfère conclure son récit par une fin ouverte laissant augurer un nouvel épisode tonitruant. Encore faudrait-il bien sûr que l’homme soit à même de donner la suite qu’elles méritent aux passionnantes tribulations de la panthère en cuir noir. Ce qui, au vu de l’inquiétante postface du roman, est loin d’être garanti…

Voir les commentaires

Angoisses (Tome 2) - Kurt Steiner

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

Parfois il arrive que la vie s’écoule comme dans un rêve sans début ni fin, comme un long tunnel que l’on arpente sans parvenir à trouver la sortie. Parfois il arrive que l’on perde pied, et que l’on sombre dans un brouillard épais et filandreux. Jusqu’à ce qu’un jour on se réveille avec la conscience aigüe du ici et maintenant. Comme dans un roman de Kurt Steiner. Ici, les premières lueurs du petit matin blafard peinent à percer l’opacité presque concrète d’une nuit qui refuse de laisser sa place. Maintenant, un épais rideau de pluie recouvre ma fenêtre et m’empêche de voir au-dehors. Pour un peu je me demanderais presque si le soleil va finir par se lever et s’il y a vraiment un « dehors »… Pas de doute, l’automne s’installe, Dans un manteau de brume. C’est l’heure des Angoisses.

C’est l’heure où, perdu sur une petite route de campagne, un jeune homme fait du stop sous la pluie. L’heure où, entre chien et loup, finit par s’arrêter un mystérieux automobiliste. S’ensuit un bref trajet le long de routes désertes, durant lequel ce décidément étrange conducteur ne cesse de parler par énigmes. Mais il n’est qu’un passeur, et abandonne bientôt son hôte sur le seuil d’une forêt au fond de laquelle se dresse un inquiétant manoir… Et c’est là que tout bascule. Là où le premier auteur de Fantasy venu peindrait le tableau ô combien original de la belle châtelaine captive secourue opportunément par un guerrier musculeux, Kurt Steiner prend un malin plaisir à subvertir les codes, en plongeant son personnage principal et, partant, ses lecteurs, dans un monde déréglé où l’illusion est la seule règle. Brisant les certitudes comme autant de miroirs dont chaque éclat correspondrait aux sept ans de malheur de rigueur, l’auteur inflige de brusques torsions à un réel en lambeaux. Qui est cette jeune femme ? Pourquoi évoque-t-elle le mystérieux comte de Saint-Germain ? Quel âge a réellement Richard Boisrival ? Et pourquoi diable Kurt Steiner a-t-il intitulé ce roman Lumière de sang ?

Le roman suivant, dont je citais le superbe titre en introduction, se déroule quant à lui dans un petit village isolé le long des côtes normandes. Et l’instituteur a fort à faire pour calmer certains de ces élèves. Non pas que ceux-ci soient spécialement turbulents d’ordinaire, mais comment résister, quand on est un enfant curieux et intrépide, à l’envie de braver ses peurs pour aller mettre un nom sur l’agitation anormale régnant la nuit dans le cimetière ? Las, l’expression « reposer en paix » n’est pas ici de mise, car il s’avère que le passé n’est pas vraiment soldé, et que l’heure est venue de rendre des comptes… Et la brume de s’épaissir à mesure que le mystère s’étend jusqu’à la mer, en prenant possession d’une population effarée. Sans trop lever le voile sur les tenants et les aboutissants de l’intrigue, l’ambiance trouble devrait séduire les amateurs du film Fog, de John Carpenter, jusqu’à un inquiétant final où catholicisme et paganisme se rencontreront, dans un exorcisme qui n’est pas sans rappeler la conclusion de l’incroyable The wicker man, de Robin Hardy.

Autres temps, autres mœurs (quoique…), Mortefontaine – quel titre, là encore ! – met en présence un jeune précepteur et son élève, prénommée Cécile. L’attirance qu’ils éprouvent l’un envers l’autre ne tarde guère à compliquer une relation rendue difficile par leurs milieux sociaux respectifs. Mais ce type de clivage ne suffit pas à l’auteur, qui va instiller dans son récit une solide dose de réminiscences empoisonnées… Là est la marque de Kurt Steiner, qui non content d’interroger la réalité en permanence, prouve sa précarité et son caractère poreux en abolissant la frontière entre passé et présent. Les personnages sont doubles, incertains, et oscillent au gré de vents souvent contraires qui les ballottent tels des fétus de paille. Les Angoisses steineriennes passent les vestiges du romantisme noir à la moulinette des psychoses modernes. Et c’est d’une beauté à couper le souffle, car l’homme possède un style à faire pâlir d’envie bien des écrivains moins « populaires »…

Après avoir souligné l’excellence du premier omnibus, je me répèterai donc sans vergogne, sans regret et sans remords : Rivière Blanche a effectué un acte capital en rééditant ces deux fois trois romans épuisés depuis plusieurs décennies. Qu’on se le dise : il existe un territoire obscur, une lande perdue au bord du monde, entre les contes de Théophile Gautier et les romans d’épouvante de Serge Brussolo. Cet espace hors du temps et hors des sentiers battus est celui de Kurt Steiner. Et je suis intimement convaincu que l’on ne saurait se prétendre amateur de Fantastique si on ne l’a pas arpenté au moins une fois. Alors allez-y, vous n’en reviendrez pas. Peut-être même dans tous les sens du terme…

Le tome 1 a été chroniqué également. Cliquez !

Voir les commentaires

Angoisses (Tome 1) - Kurt Steiner

Publié le par Léonox - Commenter cet article et avis postés :

 

« La plus ancienne et la plus forte émotion de l’humanité est la peur » (H.P. Lovecraft). Kurt Steiner, de son vrai nom André Ruellan, est un phénomène. Généreux pourvoyeur d' « Angoisses » (22 romans sur les 68 premiers titres de la collection !), il est devenu, grâce à cette effarante prolixité, mais aussi et surtout en raison de la qualité de ses écrits, l'un des symboles de cet âge d’or du Fantastique populaire français. Initialement publiés au sein de la prestigieuse collection à tête de mort, voici trois livres jamais réédités depuis leur première parution entre 1956 et 1958 et qui, comme les « Atomos » d’André Caroff, ont été compilés en un volumineux recueil par les indispensables éditions Rivière Blanche.

Trois raisons de nager à contre-courant de la trop claire et aseptisée marée moderne, trois raisons d'opter pour des eaux plus troubles, et retourner aux sources de la « Mortefontaine »... Trois cures de jouvence offertes par un auteur au sommet de son art, afin de mieux plonger au-delà d’un réel incertain. Et le fait que le Fleuve soit devenu Rivière constitue à lui seul un motif supplémentaire pour donner un éclairage particulier à cet ouvrage, même s’il est permis d’estimer que la lumière tamisée distillée par sa diffusion confidentielle sied à merveille à son teint blafard…

Le premier de ces trois textes, Le seuil du vide, n’est pas, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, un livre de Science-fiction (Kurt Steiner ne rejoindra la collection « Anticipation », toujours au Fleuve Noir, que quelques années plus tard). Il ne s’agit donc pas ici de conquête de l’espace, mais de conquête par l’espace, dont Les espaces inquiets, étrange pièce due à l’inclassable formation musicale Art Zoyd, pourrait constituer la bande-son idéale… Le récit commence ainsi juste derrière une porte. Wanda, jeune artiste peintre américaine, s’est en effet aperçue que la chambre qu’elle vient de louer n’est de forme triangulaire qu’en apparence… La pièce comporte une porte murée, ornée d’une inscription on ne peut plus provocante… « Prière de ne pas ouvrir », fausse mise en garde et vrai pousse-au-crime, ou comment une petite étiquette peut déclencher le plus terrifiant des engrenages… Un roman brillant, tout en subtilité, où l’héroïne perd ses repères tel le soleil son éclat quand vient le crépuscule… Nourrie par une implacable machination, l’intrigue se déroule comme dans un cauchemar, rythmée de perturbants glissements temporels et de troubles de la personnalité que Steiner n’hésitera pas à raffiner lors d’une conclusion impitoyable…

Des thématiques « Steineriennes » en diable, que l’on retrouve naturellement dans le titre suivant, Les rivages de la nuit, où l’auteur dédouble son récit avec un brio vertigineux. Néanmoins, malgré de nombreux intervenants (dont un certain Cagliostro), le protagoniste principal s’avère ici… un livre. Oh, pas n’importe quel livre, mais un ouvrage satanique, d’où certains personnages peuvent s’extirper pour reprendre leur place dans la réalité, et ce au détriment de ceux qui, après avoir pris connaissance de son contenu, font le voyage en sens inverse ! C’est ainsi que l’on assiste à une lutte d’influences où sans cesse le réel se trouve parasité d’intrusions anormales, manière fort habile de maintenir la pression sur un lecteur déjà impliqué malgré lui par ce « livre vivant » qu’il pourrait tenir entre ses mains… Ce que l’on appelle de la belle ouvrage, car le travail de Steiner, s’il traite de la confusion mentale, est lui-même d’une grande limpidité et tient en haleine jusqu’à une conclusion qui, bien qu’ayant recours à la psychanalyse, n’altère en rien la qualité mystérieuse de l’œuvre…

Le dernier roman de cet omnibus, Le village de la foudre, se déroule dans la campagne italienne, où là encore des émanations d’un passé décomposé viennent s’échouer sur les rives friables d’un présent mortifère… L’on pense au film Carnival of souls pour l’atmosphère, mais aussi à Gautier et à Hoffmann pour l’histoire d’amour impossible entre deux personnes dont l’une est un peu moins vivante que l’autre… Mario, Angelica, Francesca… L’un est de trop, et ce classique triangle amoureux confronté à deux plans de réalité superposés nous est présenté avec un sens du tragique pudiquement nimbé de brumes pestilentielles… Car c’est bien d’épouvante qu’il s’agit, et Kurt Steiner, loin de traiter ses effets comme des figures imposées, se surpasse au contraire lors de scènes clés toujours inventives. Ne nous y trompons pas : pour cet homme-là, le Fantastique n’est pas un artifice, ce n’est pas un vêtement mal coupé que l’on jette sur les épaules d’un récit malingre, c’est un élément constitutif du récit, c’est l’organe central, et si ce cœur rate un battement sous l’effet de la peur, c’est que, comme il est dit dans l’indispensable BD Les enfants de la salamandre : « La vie tenaille ».

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 > >>