Vers le Pays Rouge - Justine Niogret
Voici un nouveau recueil de nouvelles préparé et présenté par Artikel Unbekannt, chez un éditeur qui ne cède rien sur sa ligne : qualité et exigence, même si les récits courts n'ont pas la faveur du grand public. Et ça tombe bien, car Justine Niogret ne badine pas avec le style ! Ainsi, j'ai découvert en lisant « Vers le Pays Rouge » un ensemble de textes bien supérieurs à tout ce qui est promu par les grands médias, l'originalité en plus.
Après une des préfaces dont Artikel possède le secret, nous ouvrons donc un livre double : d'abord, la réédition d'un ancien recueil aujourd'hui épuisé et introuvable, « Et Toujours le Bruit de l'Orage », et ensuite dix nouvelles parues dans diverses revues et anthologies. L'ensemble forme un tout harmonieux, cohérent. En effet, même si Justine Niogret aborde des genres en apparence très diversifiés, comme l'heroic-fantasy, le fantastique et l'étrange, avec quelques incursions dans la science-fiction, les thèmes abordés et surtout le style sous-jacent nous rappellent que nous avons affaire à un véritable écrivain, qui a su bâtir son propre imaginaire en dépit des modes. À l'aide de phrases percutantes, qui frappent le lecteur là où il est le plus sensible, Justine Niogret conte des histoires parfois choquantes, mais toujours émouvantes.
Lorsqu'elle affronte le genre pourtant très codifié de l'heroic-fantasy, l'autrice parvient aussi à témoigner de sa forte individualité. Ici, pas de servilité envers Tolkien et ses suiveurs insipides, nul appel aux poncifs d'un genre saturé d'elfes évanescents et de nains plus ou moins bien embouchés. Tout au plus pourrait-on déceler une certaine filiation avec les meilleures histoires de Robert E. Howard, de par la brutalité, la cruauté de certaines images, comme dans « L'Odeur de la Tourbe » ou la superbe « Dure, Bleue comme la Glace ». De même avec le thème mille fois rebattu du vampire, « L'Argent Terni de Mon Gobelet », où Justine Niogret réussit à donner au mythe usé une couleur personnelle unique.
On trouve des points communs dans nombre des histoires présentes dans ce recueil : l'enfance, pas souvent innocente et heureuse, comme dans le terrifiant « La Grange » ou le très beau « Un Chant d'Été ». La guerre et ses fatalités, et ses conséquences sur les enfants, encore. Les femmes, aussi, et la cruauté de la société envers elles, dans « Le Jour de la Belladone ». Et si l'ensemble du recueil donne au final une impression de mélancolie désespérée, il faut noter cependant que la dame ne manque pas d'humour : dans deux récits au moins, elle parvient à en témoigner, surtout avec « La Hamarsheimt, ou Presque Pareil » où elle réécrit la mythologie nordique de façon hilarante. Et n'oublions pas « Mon Chat est une Purge », un monologue à l'humour grinçant et cruel, où les monstres ne sont pas qu'animaux.
En conclusion, j'ai découvert avec « Vers le Pays Rouge » une styliste confirmée et une nouvelliste capable, en peu de pages, de créer un univers personnel unique. Encore une fois, grâce à Rivière Blanche, la preuve est administrée que les littératures de l'imaginaire ne s'adressent pas seulement à un public restreint d'adolescents attardés, mais à tout lecteur amateur de style et de récits émouvants.
http://www.riviereblanche.com/noire-n116-vers-le-pays-rouge.html