Collabo-song - Jean Mazarin

Publié le par Léonox

 

 

 

 

 

 

 

À la guerre comme à la guerre : Collabo-song, de Jean Mazarin.

 

 

 

 

 

 

On ne présente pas Jean Mazarin. En tout cas pas au lectorat de La Tête En Noir. Tout juste peut-on rappeler que Jean Mazarin est un des pseudonymes utilisés par René-Charles Rey, au même titre qu’Emmanuel Errer et Nécrorian. Aujourd’hui âgé de 86 ans, l’homme a signé pas loin d’une centaine de romans sous ses diverses identités depuis le milieu des années 70, et certains d’entre eux sont désormais considérés à juste titre comme des classiques.

 

Collabo-song en fait partie : ce n’est pas un hasard si ce livre a obtenu le Grand prix de littérature policière en 1983 – même s’il ne s’agit pas de littérature policière, au sens strict. Difficile du reste de rattacher ce récit à un genre, car s’il semble prendre le parti du réalisme, les apparences peuvent en l’occurrence se révéler trompeuses, comme l’indique l’avertissement suivant : « Ceci est un roman… Bien que se déroulant à une époque malheureusement historique, parmi des personnages dont certains ont réellement existé, rien n’est exact. Ni noms, ni situations, ni intrigue… Tout a été manipulé par l’auteur pour parvenir à ses fins. »

 

Collabo-song est donc un récit librement inspiré de, selon l’expression consacrée. Et inspiré, il l’est, en effet. Inspiré par la grande Histoire, pour mieux raconter la petite. De fait, ce roman d’une subtilité remarquable est aussi et surtout un portrait de femme. Sans jamais juger Laure Santenac, et encore moins la condamner, Jean Mazarin esquisse par petites touches insidieuses sa trajectoire inexorable. Mais il ne lève qu’un coin du voile, laissant le lecteur faire le reste. Et le reste est de savoir où commence la culpabilité. À quel moment on met le doigt dans l’engrenage. Car coupable, Laure Santenac l’est, sans aucun doute. Mais de quoi, au juste ? D’intelligence avec l’ennemi, comme il se disait à l’époque ? Ou pire (si possible) ?

 

Le grand talent de l’auteur est de ne jamais mélanger la justesse et la justice. L’exactitude et la morale. Chacun son rôle : le sien est de raconter une histoire, et le titre seul indique assez dans quel camp se tient Jean Mazarin. Difficile de faire plus tranché que Collabo-song… Quant à savoir ce que nous aurions fait nous-mêmes dans un tel contexte, la question paraît assez peu pertinente 75 ans après les faits. Ce qui importe ici est de connaître cette femme. Déclassée, étrangère à elle-même, perdue dans un pays qui n’est plus le sien, opportuniste. Oui, Laure Santenac était tout ça. Et sans doute plus encore. Mais elle était faillible, aussi. Et surtout…

 

Dans son fameux Dictionnaire des littératures policières, le regretté Claude Mesplède évoquait Collabo-song en ces termes : « Le portrait de cette femme est aussi celui d'une époque troublée. Avec un minimum d'effets, le romancier a réussi une remarquable reconstitution historique à la chute inattendue. » Je ne saurais mieux dire. Et si je convoque Claude dans le cadre de cette chronique, c’est parce qu’il faudra bien qu’un spécialiste de son acabit prenne tôt ou tard à bras-le-corps l’œuvre considérable de René-Charles Rey. Un jour, il faudra bien que quelqu’un en dise les motifs récurrents et en tire les enseignements (les en-saignements ?).

       

Car des « barbouzeries » du passé (la série des Julien Jendrejeski – collection Espionnage) aux conflits du futur (Le général des galaxies – collection Anticipation) en passant par les traumatismes du présent (Impacts – collection Gore), de Zazou à Handschar, de Djinns à L’hiver en juillet (ce vrai-faux diptyque publié sous le titre générique La mort en partage chez Rivière Blanche), d’Il va neiger sur Venise à Collabo-song, on trouve une constance sans équivalent dans la littérature populaire contemporaine française. Une constance ? Mieux, une obsession. Une signature. À travers ces milliers de pages « entre deux guerres » René-Charles Rey nous raconte finalement toujours la même histoire. La sienne, qui est aussi la nôtre.

 

        Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 198, mai / juin 2019.

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