Chair morte - Sarah Buschmann

Publié le par Tak

 

 

 

 

 

 

 

Je dois avouer que j'attendais cette sortie avec impatience, ayant eu un joli de coup de cœur pour Sorcière de Chair, premier épisode de ce viscéral diptyque. Alors, Chair Morte, ça donne quoi ?

 

Déjà, rendons grâce à l'auteure : cette suite est tout aussi bien construite et cohérente que son aînée, toujours dans cette Australie contemporaine, à la fois très réaliste et un peu en marge, avec cette approche fantastique perturbante, tant l'univers mis en place semble crédible.

 

Juste un petit « ajustement » de notre réalité, un pas de côté qui ne fait que mettre en exergue certains travers ou dysfonctionnements de notre société. Je n'irai pas plus loin pour le côté sociologique (bien qu'il y ait assurément de quoi dire, notamment sur la question des aborigènes), mais cela ne fait que souligner l'intelligence du propos général et sa façon d'être traité par la fine plume de miss Buschmann.

 

À la place, je soulignerai plutôt la qualité d'écriture des personnages, toujours aussi solide et maîtrisée. Car si l'on n’accroche pas aux personnages, si l'on ne sent pas en eux un minimum de chair (vivante ou non), comment entrer dans l'histoire elle-même ? De ce côté-là, aucun problème, c'est toujours l'un des points forts de l'instigatrice de ces lignes.

 

D'un côté, avec Arabella, nous découvrons les horreurs du monde carcéral réservé aux Sorcières et cette partie-là fait franchement froid dans le dos... mais je n'en dirai pas plus, pour ne plus pas déflorer le plaisir de la découverte. Sachez juste que si la fin du premier volet se terminait sur une note d'une terrifiante noirceur pour elle, la suite des aventures réservée à l'ex-enquêtrice n'a rien à lui envier. Outre cette dernière, nous faisons aussi la connaissance de deux nouvelles têtes dans cette suite : Chiara et Alcyn. Sans trop en dévoiler là non plus, ces deux-là forment un duo aussi décalé que complémentaire, dont les interactions sont le plus souvent délectables, tout autant qu'elles apportent un relief non négligeable à l'ensemble. Quelques belles saillies absurdes ou embarrassantes – mais néanmoins très drôles – sont également au programme, notamment du côté d’Alcyn, et permettent de faire passer plus facilement la pilule après certains passages particulièrement corsés.

 

C'est aussi à travers cet improbable duo que l'on suit l'enquête qui les mèneront dans les endroits les plus inattendus, soulignant de façon habile les thématiques dont je parlais un peu plus haut. Loin de faire de son roman un pamphlet politique (ce qui n'est par ailleurs pas du tout sa vocation), l'auteure aborde néanmoins des sujets comme l'ostracisation ou le repli des communautés sur elles-mêmes (voire même la radicalisation menant au terrorisme), qui bien que se rapportant ici aux spécificités de l'Australie et au concept des Sorcières, pourrait s'appliquer à nombre de problèmes ou de conflits actuels, de par le monde. Bref, cet aspect-là est tout aussi intéressant que la partie horrifique et démontre encore une fois la pertinence générale du propos.

 

Pour ce qui est de l'aspect plus franc du collier, comme dans Sorcière de Chair, l'auteure nous gratifie ici et là de généreuses saillies gore, qui complètent à merveille le ton général déjà très noir. Certains passages (je pense aux scènes de flashbacks en particulier) vont en effet très loin dans cette noirceur et apportent un côté franchement dérangeant à un récit qui n'avait déjà rien d'une ballade de santé à la base. Mais comme le reste, cet aspect est parfaitement dosé et réfléchi, allant de pair avec les autres éléments, telle une funeste sérénade où le poids des avanies passées forge les désirs de vengeance de toute une vie. L’issue étant une mélasse putride rongeant ce que les personnages ont pu conserver d’humanité... ou d'espoir, comme le souligne fort à propos la quatrième de couverture.

 

Bref, vous comprendrez encore une fois que j'ai été très enthousiaste à la lecture de cet excellent roman. Avec ce Chair Morte de haute volée, Sarah Buschmann confirme tout le bien que je pensais de sa plume et signe à travers cette suite un diptyque à la puissance rare et vénéneuse, dont les images ou les impressions peuvent hanter bien des nuits. Vous avez sûrement déjà lu des histoires de sorcières, mais jamais de ce tonneau-là, je suis prêt à ouvrir les paris !

 

En résumé : à conseiller aux amateurs de sensations fortes aussi bien qu'aux amateurs de profils psychologiques finement troussés, les deux se rejoignant dans une valse mortifère qui ne manquera pas de laisser des traces. Du travail d'orfèvre les amis, si vous voulez mon avis.

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C
Je ne doutais pas de la réussite de ce nouvel opus, mais devant cette chronique, mon idée est confortée. Merci Tak.
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C
Et merci pour ta visite !