Le livre sans nom - Anonyme

Publié le par Lester

 

 

 

« Le Livre sans Nom », par un auteur anonyme (et qui fait bien de le rester)

 

 

 

Suis-je anormal ? Peut-être, sans doute même, car comment rester indifférent après la lecture d'une œuvre qui a récolté tant de lecteurs enthousiastes, tant de critiques élogieuses, et qui a suscité tant de spéculations sur l'identité de son auteur ? Peut-être aussi suis-je trop vieux pour ces conneries, comme disait l'autre, mais en refermant ce gros volume, j'ai seulement ressenti l'impression d'avoir perdu mon temps.

 

Pourtant, l'accroche avait tout pour me plaire : sur la quatrième de couverture, il est question d'enquêtes surnaturelles, de cinéma de genre avec des références à Tarantino (bof !) et à Carpenter (le grand maître), et surtout d'un livre sans nom aux mystérieux pouvoirs ! C'est donc confiant et songeant au mythique Necronomicon et au terrifiant Codex DeSoto que j'entamai la lecture de ce pavé à la sombre couverture. Et en effet, les références aux films qui n'entreront jamais à la Cinémathèque y sont nombreuses, presque autant que les cadavres. On passe allègrement du western à « Terminator », du « Silence des Agneaux » à « Seven », du « Vampires » de Big John Carpenter à « Sin City »... Mais amonceler les clins d’œil (trop) appuyés et les références ne suffit pas à écrire un bon livre. Pas plus qu'un amas de clichés ne parvient à construire un polar efficace, avec des personnages qu'on aime suivre, et des méchants qu'on adore craindre et détester. Ici, les poncifs s'accumulent au mépris de toute vraisemblance, et j'ai ressenti plusieurs fois l'impression que l'auteur avançait dans son récit sans plan ni vision d'ensemble de ce que deviendrait le livre une fois achevé. D'où l'ajout de comparses improbables, arrivant sur scène pour se faire dézinguer aussi vite qu'ils ont lâché une réplique, avant de disparaître pour toujours.

 

On tue beaucoup dans ce livre, ce qui ne serait pas pour me déplaire, à condition que les meurtres se révèlent un tant soit peu créatifs. Malheureusement, la lecture de ces divers assassinats finit par devenir lassante : coups de feu à répétition, armes dissimulées dans les manches et munitions à gogo, rien de novateur, si ce n'est qu'il me semble que la quantité de plomb tirée dans ce bouquin dépasse largement celle utilisée par les armées du Mikado un matin de décembre 1941 dans la charmante station balnéaire de Pearl Harbor. Tout ça pourrait devenir amusant par son côté exagéré, cartoonesque, comme quand Elmer Fudd le chasseur gâche un million de munitions pour rater avec constance un canard plus déjanté que mangeable, mais la mayonnaise ne prend pas à cause d'un style aussi plat que l'encéphalogramme d'un militant du (ici, ami lecteur, placez le sigle du parti politique que vous haïssez le plus. Moi, je ne veux me fâcher avec personne).

 

Car, je dois bien l'avouer, notre anonyme écrit sans panache, sans la moindre métaphore rigolote, sans aucune comparaison saugrenue, bref, sans ce petit quelque chose qui secoue un peu le lecteur et lui donne envie de tourner la page. Là où, pour faire passer les multiples invraisemblances, il aurait fallu la verve rabelaisienne, énorme, gargantuesque d'un San-Antonio en forme, l'auteur du Livre sans nom se contente d'aligner les mots sans jubilation ni folie, nous laissant sur le bord de la route sans aucune envie d'embarquer.

 

« Et le fantastique, dans tout ça », me direz-vous, l’œil torve et la bave aux lèvres, assoiffés comme je vous connais de manifestations surnaturelles et de créatures chairdepoulesques ? Eh bien, le courageux anonyme tente d'en fabriquer en convoquant quelques clichés du genre : on croise donc des vampires, une pierre magique censée accorder l'invulnérabilité, une ville où les éclipses solaires se produisent tous les cinq ans, des moines puceaux et anti-alcooliques mais experts en arts martiaux (ah non, ça, ce n'est pas fantastique, juste ridicule) et une voyante extra-lucide. Mais, encore une fois, il ne suffit pas de plaquer sur une histoire des éléments appartenant au genre pour la transformer par miracle en récit fantastique, loin de là. Le seul résultat de ces pénibles ajouts est de conforter l'idée que le lecteur se trouve face à un embrouillamini lourdaud, un brin démagogique, voire putassier, destiné à attirer un lectorat le plus large possible, à condition qu'il ne se montre pas difficile.

 

Je n'évoquerai pas la lourde vulgarité des dialogues échangés par les protagonistes. Bon, juste un peu, mais c'est parce que vous insistez... Alors, je pense qu'il ne suffit pas d'écrire « enculé » à chaque phrase pour se poser en auteur rebelle et rock n' roll, et pour montrer que ses personnages sont des vrais gros durs. Il existe tant de possibilités créatives et rigolotes dans le domaine de l'injure grossière, tant de voies à explorer dans le monde de l'invective humiliante que l'emploi systématique de cette simple interjection passée dans le langage courant dénote à elle seule la faiblesse imaginative de l'auteur.

 

En conclusion, si vous voulez vraiment vous éclater avec une histoire irrespectueuse, choquante, pleine de bruit, de fureur et de boyaux explosés, avec en plus du vrai fantastique pas pour les chochottes et des tueurs qui filent la pétoche à Satan en personne, oubliez « le Livre sans Nom » et procurez-vous « Preacher », le comics de Garth Ennis. Là, au moins, vous en aurez pour votre argent, et en plus, c'est plein de jolis dessins !

 

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C
Et bien moi qui hésitai le lire e vais abstenir, j'aime quand il y a de la vulgarité dans les dialogues... ce n'est pas pour moi ;)<br /> Bonne journée et merci pour cette belle chronique !
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L
C'est toujours délicat de dissuader quelqu'un de lire un livre : après tout, il ne s'agit que de mon analyse personnelle... Mais j'avoue avoir du mal à comprendre le succès de ce bouquin, et même que quelqu'un ait décidé de la publier ! Mais j'attends qu'on m'apporte la contradiction, et la preuve que je suis passé à côté de quelque chose... En attendant, merci de nous suivre et bonne journée !