Le bal des iguanes - Brice Tarvel

Publié le par Léonox

 

La vieillesse est un naufrage : Le bal des iguanes, de Brice Tarvel.

 

 

        

Le bal des iguanes est un roman qui a connu plusieurs vies. Mais, à l’instar de ses protagonistes chenus, force est de constater que ce livre est toujours vert, ainsi qu’en témoigne sa récente réédition chez Lune Écarlate. Une nouvelle jeunesse pour une galerie de personnages au lourd passif et à l’avenir pour le moins incertain. Et ce n’est pas seulement une question d’âge. Car l’espérance de vie des résidents des Myriadines dépend bien plus qu’ils ne le pensent des « bons soins » d’une infirmière aux intentions bien mystérieuses.

 

Lise, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, mène en effet une double vie, et son emploi d’aide-soignante en dissimule un autre, beaucoup moins officiel. Et surtout beaucoup moins légal. Cela étant, la plupart des retraités dont elle s’occupe ne sont guère plus recommandables. Entre Bob Vauquelin l’ancien gangster et Leufroy Nox l’ex-gourou, la jeune femme a tout intérêt à surveiller ses arrières. Au sens propre comme au sens figuré.

 

Et puis il y a le cas de Gilbert Joussin. Plus discret que ses deux congénères, l’homme n’en est pas moins suspecté de s’être jadis adonné au cannibalisme. Une accusation terrible, dont je vous laisserai vérifier le bien-fondé en lisant La chair sous les ongles, du même Brice Tarvel. Ce roman, avant d’être réédité chez Rivière Blanche en 2013, fut à l’origine publié dans la célèbre collection Gore, au Fleuve Noir. Fort possible qu’il s’agisse là d’un indice…

 

Mais Le bal des iguanes n’est pas un Gore. Si l’auteur y fait bel et bien montre d’une saine férocité, il ne quitte pas pour autant le domaine du Thriller et du suspense pour donner libre cours à ses inclinations sanglantes. En revanche, il ne se prive pas d’utiliser un autre élément liquide que je ne suis pas loin de considérer comme constitutif de sa signature. En effet, dans Le bal des iguanes, il pleut. Un peu, beaucoup, passionnément. Comme dans Dépression et Silence rouge, autres livres marquants de Brice Tarvel, il pleut tellement que l’eau en devient presque un personnage à part entière. Un personnage qui, là-haut, ne cesserait de pleurer sur le sort des misérables créatures qu’il a abandonnées et livrées à elles-mêmes.

 

C’est ainsi qu’au fur et à mesure de la lecture, un sentiment diffus vient peu à peu contrebalancer l’atmosphère anxiogène du roman. Car si le ton reste toujours acide, les protagonistes n’en apparaissent pas moins pathétiques. Le spectacle de ces cadavres en sursis, tout ragaillardis par la perspective du bal annuel de l’hospice, a quelque chose de vraiment désolant. De désolant, et de terrifiant, quand on sait que pendant ce temps sont réglées dans les coulisses les modalités des contrats qui concernent certains d’entre eux. Sans compter que le terrifiant Gilbert Joussin semble avoir deviné le secret de Lise. En tout cas, il est résolu à quitter Les Myriadines avec elle. Ce qui bien entendu n’arrange pas du tout la jeune femme…

 

Souvent inquiétant, parfois méchant et toujours sarcastique, Le bal des iguanes est un roman impitoyable. Presque tous les personnages y sont vils, répugnants, voire franchement épouvantables. Et Brice Tarvel, déroulant sa belle mécanique aux rouages grinçants, prend un malin plaisir à les malmener les uns après les autres, n’hésitant jamais, selon l’expression consacrée, à « pousser mémé dans les orties ». Et pas que mémé, du reste. Il paraît que « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ». En tout cas, je vous assure que celle servie ici par Brice Tarvel est délicieuse. Même si elle laisse un arrière-goût amer.

 

Chronique initialement publiée dans La Tête En Noir n° 184, janvier / février 2017.

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