Voyage au bout du jour - Béhémoth

Publié le par Léonox

 

Sea, sex and no fun : Voyage au bout du jour, de Béhémoth.

 

 

Quand Kââ décide en 1988 de suivre Daniel Riche pour tenter l’aventure Patrick Siry, il abandonne le pseudonyme de Corsélien, trop connoté à la collection Gore. De même que le duo composant l’hybride « Éric Verteuil », qui le précède au sein de la collection Maniac sous la nouvelle signature de « Berma », le Serpent change encore une fois de peau. Mais si l’on retrouve dans le roman de ses prédécesseurs le ton badin dont ils sont coutumiers, il apparaît dès les premières pages que celui de Pascal Marignac ne boxe pas dans la même catégorie.

 

Voyage au bout du jour se situe en effet aux antipodes d’Un festin de rats, tant dans le fond que dans la forme. L’auteur, déjà (re)connu pour ses Polars nihilistes et froids et pour ses Gore hallucinés considérés par certains amateurs – parmi lesquels votre serviteur – comme les meilleurs livres de la collection, profite de cette nouvelle mue baroque pour durcir le ton. Car le pseudonyme de Béhémoth n’a bien entendu pas été choisi au hasard : dissimulé derrière l’identité de cet animal mythique synonyme de force brute et de malveillance démoniaque, l’auteur peut ainsi laisser libre cours à un chaos qui ne connaît plus dès lors aucune limite.

 

Autant dire que ce roman, dont le titre fait écho au déjà très noir Voyage au bout de la nuit, de Céline, ne respire pas franchement la joie de vivre et, même si l’on trouve malgré tout de loin en loin des traces d’une ironie mordante, ne vous y trompez pas, c’est juste parce que « l’humour est la politesse du désespoir »… D’autre part, s’il est bien question dans ce livre de pieuvres géantes, on n’est pas chez Lovecraft ; pour Pascal Marignac l’horreur n’est ni innommable ni indicible : elle est humaine. C’est ainsi que, loin de lorgner vers d’aimables séries B comme Léviathan ou Octopus, ce brûlot cinglant et sanglant convoque plutôt les couleurs blafardes de l’hystérique Possession, de Zulawski, allant jusqu’à adapter sa scène d’accouplement contre-nature d’une manière inenvisageable au cinéma…

 

Mais Octopus est aussi le nom d’un mystérieux bateau peint en noir, qui sillonne les côtes bretonnes et semble suivre Philippe. Philippe qui a tué sa femme, et ce souvenir le ronge. Philippe qui rencontre Liane, et l’entraîne avec lui pour une virée sur l’ile d’Ouessant. Ambiance dépressive pour une errance éthylique qui se transforme en aller simple vers la folie. Parce qu’au bout du monde il n’y a plus rien. Et au bout du jour il y a le Mal.

 

Mais ce Mal, Béhémoth-Marignac ne l’interroge plus, contrairement à Kââ dans ses Polars et Corsélien dans ses Gore. Ici, plus de questions. Mais pas davantage de réponses. Juste des faits bruts, et une mécanique de l’horreur si bien rôdée que rien ni personne ne peut – ni ne veut – s’y opposer. Voilà en quoi Voyage au bout du jour est un récit obsessionnel et effroyable. Et voilà pourquoi je le tiens pour l’unique chef-d’œuvre de la collection Maniac.

 

Note un : Madame Elisabeth Marignac, dernière épouse de Pascal et fervente admiratrice de l’œuvre de son défunt mari, m’a confié « ne pas aimer ce roman ». Elle l’estime « trop horrible, trop noir »…

 

Note deux : le tome 2 de Corps et liens comprend la réédition de Voyage au bout du jour. L’illustration de couverture est à l’origine une peinture intitulée Résurgence, due au talentueux Mandy. Un fond vert d’eau strié de rouge, un noyé. La mer et la mort. Comme dans l’unique roman signé Béhémoth.

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