Nécrorian

Publié le par Léonox

« Ce qui me fascine dans le gore, c'est que les hommes sont capables des pires paroxysmes. C'est pour ça que je ne fais pas intervenir de monstres ou de créatures abominables venues d'ailleurs, parce qu'alors, ce n'est plus du gore, mais ça vire au fantastique, et moi, dans ce cas-là, je n'y crois plus. »

Nécrorian est un maître, et je ne peux que souscrire, du moins globalement, à ses propos. Comme lui, je pense que le Gore et le Fantastique n'ont pas grand-chose en commun. Je serai néanmoins un peu plus nuancé en ce qui concerne certaines de ses catégorisations. Pour moi, le Gore est à l'épouvante ce que la pornographie est à l'érotisme. Une version paroxystique certes, mais l'un n'exclut nécessairement pas l'autre. Personnellement, je tends d'ailleurs vers une formule graduelle qui me permet de mêler les deux. L'important est de ne jamais perdre de vue que tous les moyens sont bons pour pénétrer l'intimité du lecteur et l'amener à une expérience si extrême qu’il ne pourra pas l’oublier.

Nécrorian a dit par ailleurs : « l'éventration pour l'éventration, ça ne sert à rien ». Je suis d'accord si cette phrase signifie qu'il est impossible de se passer d'un scénario. Peu importe le genre auquel il appartient : un roman doit raconter une histoire, point barre. En revanche, je ne suis pas de l’avis de l’auteur de Blood-Sex quand il prétend qu' « on ne peut pas aller tellement plus loin » (sous-entendu « que la collection Gore »). Des romans comme Nuit Noire et MurderProd apportent à eux seuls le plus cinglant des démentis à de telles assertions. Alors non, je ne crois pas que le Gore soit mort avec la collection éponyme, même si en effet le genre s'est peu à peu affadi en étant récupéré par la littérature fantastique classique.

Néanmoins, je rejoins complètement Nécrorian quand il dit que les genres sont poreux. Ah, vous avez voulu vous accaparer notre jouet ? Qu'à cela ne tienne, nous dénaturerons les vôtres ! S’il veut survivre, le Gore doit accepter d'aller fouiller dans les poubelles afin de retrouver son identité perdue. Ni Dieu ni maître, ni censure ni concession, et les choses redeviendront claires. Il existe une scène Gore cinématographique underground et totalement irrécupérable, à nous de recréer son équivalent littéraire avec du sang neuf, et « longue vie à la nouvelle chair » !

Car si la collection Gore fit beaucoup pour la popularisation du genre, l'aspect « cadence-production » et le rythme de parution effréné contribuèrent dans le même temps à son appauvrissement. Je ne suis pas loin de penser que le Gore a été un peu prisonnier de sa propre surenchère. Il est possible que tout y ait déjà été tenté. Sauf que tenter n’est pas réussir.

Il y a l'art et la manière, le lard et le cochon : ce qu'il faut c'est deux ou trois idées fortes, un scénar musclé sec, un style frénétique, obsessionnel, et la volonté de mettre les mains dedans quand il faut. C'est pour ça que mes bouquins Gore préférés sont l'oeuvre d'auteurs issus du Néo-Polar français. Le Gore, c'est l'intimité profanée, les corps meurtris, la violence, la prédation, et mors ultima ratio. En gros, ni plus ni moins que ce qu'on voit à la télé au journal de vingt heures. J'en écris parce que je n'accepte pas qu'on me tende cet insupportable miroir. J'essaie de désacraliser la mort gore du corps et de garder la main tant que je le peux. Bien sûr, c'est peine perdue.

Mais le désir de briser les tabous est vieux comme le monde, celui de transformer la boue en or aussi. Dans l'Antiquité, les oracles lisaient l'avenir dans les entrailles. Depuis la nuit des temps, le sang coule du ventre des femmes chaque mois. Le Gore a connu ses propres cycles menstruels. Comme tous les genres populaires, il se régénèrera.

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