Le projet Shiro - David S. Khara

Publié le par Léonox

 

Duo mortel : Le projet Shiro, de David S. Khara.

 

Après les résultats stupéfiants du Projet Bleiberg (plus de 100 000 exemplaires vendus tous supports confondus, en incluant les traductions à l’étranger et la sortie en poche chez 10/18), David S. Khara ne tarde guère à mettre une suite en chantier. Un deuxième livre écrit en deux mois (!!!) qui, non content de confirmer les espoirs suscités par son prédécesseur, transcende son personnage principal, le supra-ordinaire Eytan Morgenstern, agent du Mossad doté d’un passé décomposé et d’un futur en points de suture…

L’auteur du Projet Bleiberg réussit en effet la spectaculaire performance de délivrer à ce roman ô combien enthousiasmant une séquelle qui, tout en transformant les nombreuses qualités déjà identifiées en véritable « marque de fabrique » (écriture d’une rare fluidité, sens du rythme et du découpage digne des meilleurs films d’action, suspense haletant, scénario en béton armé et dangereux), trouve une densité supplémentaire en plongeant dans l’intimité de personnages aussi singuliers que pluriels…

Car David S. Khara manie l’art de surprendre son lecteur avec une habileté consommée, et les retournements de situation abondent tellement dans Le projet Shiro que même Eytan Morgenstern, notre « super-héraut » humain, trop humain, a parfois du mal à retrouver ses petits… Il faut dire à la décharge du « ronin » israélien que certaines données cruciales, tenues pour acquises à la fin du Projet Bleiberg, se trouvent ici brutalement remises en question, la moindre d’entre elles n’étant pas celle qui concerne le fameux Consortium…

Chausse-trappes, marchés de dupes et faux semblants, le monde de l’espionnage est ici d’autant plus trouble que les organisations en présence ne sont pas toutes gouvernementales… Tout comme son prédécesseur, Le projet Shiro pousse ainsi les portes les mieux gardées de l’histoire « officielle » - ici celles de l’abominable camp 731, où les Japonais s’adonnèrent durant la seconde guerre mondiale à des expériences que jalousa sans doute Mengele - pour parvenir à un présent contaminé par les radiations d’un coupable oubli. Face aux mécaniques de mort qu’il a lui-même inventées, l’homme pourrait bien finir broyé entre les mâchoires de bêtes aussi immondes qu’avides…

Voilà d’ailleurs quasiment le seul vrai point commun « technique » entre Le projet Bleiberg et son successeur car, outre les flashbacks, toujours aussi judicieusement distillés, David S. Khara évite les redites avec brio et opte pour une narration encore plus immersive. Eytan est ici le protagoniste central, et le lecteur va progresser à son rythme au fil d’une intrigue dont il ne maîtrise pas les tenants et aboutissants. Pire, le « kidon » va se trouver contraint de collaborer avec une personne aussi dangereuse que lui, qui a priori ne songe qu’à l’égorger… Véritable révélation du livre, la tueuse Elena trouve ici un rôle à sa mesure et, au fil des pages, dévoilera un tout autre visage que celui, fermé et froid, de l’assassin robotique qu’on a conçu pour elle… Elle et Eytan ont beaucoup plus de points communs qu’ils ne veulent l’admettre, et c’est un pur bonheur de les voir faire la guerre comme d’autres font l’amour…

Une des grandes réussites du roman est d’ailleurs de maintenir en permanence un subtil équilibre entre scènes d’action chorégraphiées comme dans un film de John Woo et séquences contemplatives à haute teneur émotionnelle. Dans Le projet Shiro, Eytan, quand il n’est pas blessé, demeure toujours en mouvement - mention spéciale à son périple tchèque, où il se révèlera aussi efficace que faillible - mais deux de ses trajets retiennent particulièrement l’attention : l’un d’entre eux le mènera vers un lieu retiré du monde, dont l’évocatrice peinture en dit long sur l’homme qui y a élu domicile… L’autre voyage, également effectué par voie maritime vers d’autres temps et d’autres lieux, nous offrira comme un cadeau un souvenir aussi précieux qu’inoubliable, d’autant qu’il est ici restitué avec une justesse et une sincérité qui transperceraient le plus efficace des gilets pare-balles…

Le projet Shiro n’est donc pas un « Bleiberg bis » mais un « Bleiberg plus », c'est-à-dire que l’auteur relève le défi haut la main, en étoffant cette vraie-fausse suite d’éléments nouveaux, de révélations décisives, de prolongements inattendus, de personnages qui se montrent sous un jour différent… Soit le principe même d’une série réussie, qui veut que le dernier élément apporté n’annule ni ne remplace le précédent, mais le complète en l’améliorant. C’est ainsi que le Duo mortel du titre comporte un triple sens : ce fut tout d’abord un grand film d’arts martiaux dû au maître Chang Cheh, et c’est aussi une façon assez juste de présenter le « couple » formé par Eytan et Elena. Mais c’est aussi et surtout une manière de clin d’œil à la « signature » de David S. Khara. À sa plume de fer dans un stylo de velours.

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J
Mon préféré de la trilogie. Supérieur au premier et avec un petit charme que n'a pas forcément le dernier (même si j'aime toute la trilogie, hein, bien sûr).
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